Analyse. Figure de l’islam politique, le Genevois souhaite acquérir la nationalité de sa femme, une Française. Manuel Valls s’y oppose. Les paris sont ouverts.
Vous ne voulez pas de moi? Eh bien, vous allez m’avoir, et plutôt deux fois qu’une! Le Suisse Tariq Ramadan veut devenir Français. Il l’a fait savoir le 4 février sur sa page Facebook. Seulement voilà, Manuel Valls s’oppose à sa naturalisation. «Quand on aspire à être Français, c’est qu’on aspire à partager des valeurs», a objecté le premier ministre, dimanche 22 mai sur les ondes de Radio J, une radio juive parisienne. Pour le chef du gouvernement, le message du Genevois, incarnation d’un islam moderne et présentable aux yeux de nombreux jeunes musulmans francophones, est «contradictoire». Autrement dit, double, dangereux, selon ses détracteurs, qui sont légion également.
Riposte à peine codée, le même jour, de l’intéressé, toujours via Facebook: «Manuel Valls: au bon moment au bon endroit! Juste avant de se rendre en Israël, sur Radio J, le premier ministre outrepasse une fois encore les limites de sa fonction.» Le «bon endroit»: sous-entendu, un média communautaire juif, comme pour enfoncer le clou d’un prétendu «philosémitisme d’Etat». Lourd reproche, adressé aux pouvoirs publics et singulièrement à Manuel Valls par la frange dite islamo-gauchiste, à laquelle le théologien suisse est souvent rattaché en raison de ses liens avec la mouvance tiers-mondiste et les milieux propalestiniens.
Devenir Français? Pour Tariq Ramadan, une simple formalité, se dit-on, tant son «dossier» paraît solide. On s’étonne même qu’il n’ait pas entrepris plus tôt des démarches en ce sens. «Ma femme est Française (originaire de Bretagne, convertie à l’islam, ndlr) et mes quatre enfants sont tous Français. En Grande-Bretagne (il est professeur d’études islamiques contemporaines à Oxford, ndlr), j’ai voulu que ma fille étudie dans une école française», expliquait-il le 7 février dans le quotidien Libération, comme plaidant son cas devant une commission chargée d’examiner les demandes de naturalisation.
Il y a un loup. Les adversaires du petit-fils de Hassan al-Banna, l’Egyptien fondateur en 1928 des Frères musulmans, creuset de l’islamisme, estiment que cet intérêt soudain pour la nationalité française renferme une ambition politique. «Tariq Ramadan se rêve-t-il en héros de Houellebecq?» interrogeait le journaliste Alexandre Devecchio le 9 février sur le Figarovox, le site d’opinion du Figaro. «A le voir ainsi devant un public communautaire fasciné (lors d’un meeting à Lille, ndlr), on songe irrésistiblement à Mohammed Ben Abbes, le président musulman qui islamise pacifiquement la France dans Soumission, le dernier roman [du sulfureux écrivain]», écrivait-il.
Un acte militant
Les prétentions politiques, voire le destin suprême qu’on lui prête, doivent amuser et flatter Tariq Ramadan – Mohammed Ben Abbes ou, plutôt, Nicolas Hulot d’un post-islamisme? Injoignable depuis vendredi et en ce début de semaine encore, indique son secrétariat, nous n’avons pas pu lui faire commenter sa démarche et les oppositions qu’elle suscite. Mais son intention déclarée de devenir un citoyen de France, pays qu’il laboure depuis le début des années 1990, en compagnie de son frère Hani dans les premiers temps de ses pérégrinations hexagonales, est clairement un acte militant.
Factuellement, elle est d’abord sa réponse à l’interdiction qui lui a été signifiée de participer à une conférence mi-janvier à Paris, intitulée «Emergence d’une élite musulmane française: enjeux et défis». Elle témoigne ensuite d’un certain pouvoir de nuisance de sa part, inversement proportionnel aux bienfaits pacificateurs dont il serait porteur. On a affaire, en quelque sorte, à un chantage de basse intensité: face à l’obscurantisme dévastateur, il serait le seul recours. S’il pense l’être, son heure n’est-elle pas passée?
Quoi que puisse cacher le désir de France de Tariq Ramadan, il semble très difficile de lui refuser le passeport bordeaux, qu’il acquerrait par mariage. Seul un «défaut d’assimilation» ou autre manquement carabiné aux «valeurs de la République» pourrait l’empêcher de faire partie de la nation française. Chanterait-il La Marseillaise lors de la cérémonie d’adoubement?