Propos recueillis par Ulrich Ladurner
Interview. Le président du Conseil italien, Matteo Renzi, entend modifier la Constitution de fond en comble. Pour y parvenir, il compte sur une femme forte: Maria Elena Boschi, 35 ans, ministre des Réformes constitutionnelles et des Relations avec le Parlement.
Depuis plus de deux ans, vous êtes titulaire du Ministère des réformes constitutionnelles, l’un des plus importants aux yeux de Matteo Renzi. J’ai collecté quelques-uns des surnoms qu’on vous a donnés: l’Amazone de Renzi, la Jaguar, la Fiancée de l’Italie, la Vierge d’Italie…
(Elle rit.) Ma foi, nous sommes en Italie. Mais nous travaillons à nous améliorer.
Comment vivez-vous avec ces attributs?
On trouve aussi sur la Toile des photos de moi qui sont manifestement des photomontages. Evidemment que ça ne me fait pas plaisir. Mais je ne me laisse pas démonter.
Est-ce que ça a changé quelque chose pour vous?
Je lis moins les journaux, j’ai supprimé Twitter de mon smartphone, et je m’en porte beaucoup mieux. Mais il n’en va pas que de moi, il en va des femmes plus jeunes qui doivent encore construire leur vie. Si l’on serine à ces femmes qu’elles doivent avoir un look parfait pour avoir un avenir, on leur nuit. Lorsque le message est «Même si vous travaillez, étudiez, vous engagez, au bout du compte c’est votre apparence qui compte», alors ces femmes se découragent.
Silvio Berlusconi vous aurait dit: «Vous êtes trop belle pour être communiste.»
Oui, il me l’a dit lors de notre première et unique rencontre.
Et vous lui avez répondu?
J’ai répliqué: «Berlusconi, le communisme n’existe plus!»
Parlons de la réputation de l’Italie. L’Europe du Nord aime l’Italie, mais elle n’a pas confiance en ses politiciens.
Grâce au travail de notre gouvernement, quelques raisons de se méfier de la politique italienne ne sont plus d’actualité. Prenez l’instabilité du système politique italien: en septante ans, nous avons eu 63 gouvernements. Pour nos homologues étrangers, c’était compliqué. Mais, depuis deux ans, nous conférons de la stabilité au pays. Nous avons mis en place une réforme électorale et une réforme de la Constitution qui assureront à l’avenir la stabilité et un surcroît de crédibilité. Nous avons mis en œuvre des réformes dont on débattait depuis plus de vingt ans. Exemple: la réforme du marché du travail, qui a permis de créer en une année 398 000 emplois. La réforme de l’administration est en bonne voie, et nous nous attaquons à la réforme de la justice et de l’école.
L’Italie joue un rôle actif en Europe. Nous avons fait des propositions pour le marché intérieur et le marché du travail européen, nous en avons fait sur le problème des migrations. Nous entreprenons tout cela en premier lieu dans l’intérêt de notre population, mais il nous importe également de gagner de la confiance à l’étranger. L’Allemagne, par exemple, a mis en place depuis des années les réformes indispensables mais, dans d’autres pays d’Europe, c’est toujours le règne de l’immobilisme.
Vous parlez de la France?
Oui, je parle de la France. Ou alors voyez l’Espagne. A cette aune-là, l’Italie est extrêmement dynamique. Notre réforme de la Constitution est un exemple. Elle surmonte l’écueil du bicaméralisme, qui était devenu un handicap pour le pays. La réforme a réduit le nombre de sénateurs de 315 à 100.
Votre programme de réformes va très au-delà du bicaméralisme. Il a suscité de violentes résistances au sein de l’opposition et même du gouvernement. On vous reproche de vouloir transformer l’Etat pour gouverner de façon autoritaire. On dit que vous sabotez la démocratie.
Même après la réforme de la Constitution, l’Italie demeure une démocratie parlementaire.
«Et la prochaine étape sera l’élection du président au suffrage populaire direct.» C’est bien vous que je cite?
Je n’ai jamais dit cela. L’élection du président au suffrage populaire direct ne fait pas partie de nos propositions et nous avons rejeté toutes les motions allant dans ce sens.
Toutes les réformes sont liées à Matteo Renzi. En septembre, le peuple votera par référendum sur la réforme de la Constitution. Renzi en a fait une affaire personnelle, cruciale. Le «renzisme» existe-t-il?
J’espère que non. Renzi est le premier à dire qu’il n’y a pas de «renzisme». Ce n’est bon pour aucun parti de se référer à une seule personne.
Mais toutes les réformes sont liées à la personnalité charismatique de Renzi.
C’est sûr, nous avons besoin d’une direction forte. Il est bon que Matteo Renzi soit à la fois président du Conseil et président du Parti démocrate (PD), le plus important du pays. Ainsi, nous travaillons mieux. Et, bien sûr, beaucoup de choses tiennent à la personnalité de Renzi. Il a l’énergie qu’il faut pour prendre les décisions. Dans ce contexte, deux particularités lui profitent: il a été maire et arbitre de football. En tant que maire, on traite tous les jours de problèmes concrets et, en tant qu’arbitre, on a l’habitude de prendre des décisions rapidement. Quitte à parfois liguer tout le stade et tous les joueurs contre soi. Renzi entend faire en sorte que les choses s’améliorent. Et rapidement.
Et apparemment il aime le risque.
Non, je ne crois pas. C’est un homme courageux, c’est tout autre chose. Il est conscient de ses responsabilités. Bien sûr, il ne faut pas avoir peur de prendre des décisions, sans quoi on est paralysé.
«Nous appuyons sur l’accélérateur», «nous avançons», «nous ne nous laissons pas arrêter, nous décidons»: le langage que cultive votre gouvernement est celui de l’urgence. On a parfois l’impression que vous êtes poussés par la peur. Manquez-vous de temps?
Nous n’avons pas peur, mais nous devons être rapides pour deux raisons. Primo, nous devons rattraper tout ce qui n’a pas été réalisé pendant vingt ans. Secundo, nous savons que le temps devient serré pour nos réformes, car en 2018 il y aura les élections. D’ailleurs, en politique, le temps joue un rôle décisif. Pour une masse de gouvernements précédents, ça n’avait pas d’importance. Mais les citoyens nous jugent aussi sur notre rapidité à mettre les réformes en œuvre. On peut instaurer la meilleure loi du monde; si elle arrive trop tard, elle ne sert à personne.
Le schéma gauche-droite joue-t-il encore un rôle selon vous? Où vous situez-vous?
En tant que membre du PD, je suis à gauche. Mais nous entendons surmonter les fossés idéologiques d’antan. Nous le prouvons par nos réformes. Nous avons toujours cherché le dialogue avec l’opposition, y compris avec Forza Italia, le parti de Berlusconi. Après tout, des millions d’Italiens ont élu ce parti. En ce sens, nous sommes postidéologiques. Mais on ne saurait nous confondre avec les gens de droite. Ils ne sont pas des ennemis, mais des adversaires politiques.
Pourriez-vous définir plus clairement ce qui fait la différence?
Il y a les forces qui défendent le système, d’autres qui l’attaquent. Il y a des Européens et des anti-Européens.
En Europe, tous les partis de gauche sont en crise. Ils peinent à définir leur identité et à formuler une politique qui leur est propre. Quelles sont les caractéristiques du parti de gauche PD, indépendamment de ses réformes?
D’abord, ces réformes ne sont pas des détails. Nous nous définissons comme une force progressiste et nous sommes des européanistes convaincus. Nous voulons une Europe forte. L’économie doit être en situation de croître, mais les choses doivent se concrétiser équitablement. Nous ne voulons pas que des gens restent à la traîne. Nous voulons que chacun ait sa chance.
Votre gouvernement est en conflit constant avec la gauche au sein même de votre parti. Pourquoi?
Il y a des états d’esprit divers dans la plupart des grands partis. C’est aussi un enrichissement. Au contraire du Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo: il compte 2 millions d’électeurs, mais il n’y a strictement aucun débat interne. Il n’y a qu’une ligne dictée depuis le sommet.
Vous dites que le M5S est un parti géré de manière autoritaire?
Au sein de ce parti, il n’y a pas de débat démocratique, ce n’est même pas prévu. Chez nous, au PD, le débat est ouvert, il y a des statuts et des lieux où le débat a lieu. Où cela existe-t-il au sein du M5S? Au M5S, si quelqu’un n’est pas d’accord avec la ligne définie, on l’envoie au diable. Chez nous, cela n’arrive pas. Mais quand le débat n’est qu’un prétexte, qu’il est question uniquement d’intérêts personnels, cela nous aliène des électeurs et des membres.
Silvio Berlusconi est devenu président du Conseil pour la première fois en 1994, quand vous aviez 13 ans. Puis il a dominé la scène politique italienne pendant près de vingt ans. Quels sont vos souvenirs de ce temps-là?
Pour moi, Berlusconi reste le président de mon équipe de foot, l’AC Milan. Je suis une milaniste convaincue! Non, sérieusement, je n’ai jamais voté pour lui, nous sommes à des années-lumière l’un de l’autre. Pour moi, le bien-être commun et les institutions sont une priorité. On peut douter qu’il en ait été de même pour lui.
Avant de faire carrière en politique, vous avez travaillé comme avocate à Florence. Pour la plupart des Italiens, la politique est un travail sale. Pourquoi vous y êtes-vous quand même engagée?
Je n’ai jamais considéré la politique comme un travail sale. Mes parents se sont engagés en politique au niveau local. Ils ont été un exemple positif. Reste que je n’avais jamais songé à entrer en politique. Tout cela a changé avec Matteo Renzi. Il a inventé la Leopolda…
C’est le nom de la réunion annuelle que Renzi a convoquée pour la première fois dans une gare florentine du nom de Leopolda (la plus ancienne gare de Florence; elle ne sert aujourd’hui plus que de lieu d’exposition et de congrès).
C’est compliqué à expliquer, mais permettez-moi d’essayer: des milliers de personnes de toute l’Italie affluent à Florence à leurs frais, sans avoir été convoquées par un parti, mais juste parce qu’un type les a invitées. Et ce type est un simple maire qui n’a donc rien à leur octroyer, ni emploi, ni privilège, ni fonction, rien, sauf un projet, un rêve que l’on peut partager… Et à l’époque personne ne pouvait imaginer que ce maire d’à peine plus de 30 ans pouvait devenir premier ministre. Donc, lorsque les gens viennent quand même et disent: «Nous pouvons changer ce pays», le message est limpide: «Désormais, tout dépend aussi de toi, personne ne le fera à ta place.» C’est ce qui m’a motivée.
Il y a peu, la ministre de l’Industrie, Federica Guidi, a dû démissionner pour avoir accordé une faveur à un cadre de son parti qui avait des contacts avec la Mafia. Vous-même êtes accusée d’avoir favorisé votre père, vice-président de la Banca Etruria. Cette banque a été, dit-on, sauvée par l’Etat avec votre aide. Il y a là beaucoup d’Italie ancienne pour un parti qui entend se profiler de manière entièrement nouvelle.
Il n’y a pas eu de trafic d’influence. Nous sommes cette nouvelle Italie où la loi est égale pour tout le monde. Nous n’avons jamais fait de lois ad personam. Nous n’avons jamais interféré dans les enquêtes des juges d’instruction. Notre gouvernement a placé la Banca Etruria sous administration judiciaire, et mon père, à l’instar du reste du conseil d’administration, a dû payer une amende élevée. Nous avons banni la politique des banques régionales. Ce n’est pas le cas dans tous les pays.
Vous aviez dit: celui qui commet une faute doit payer.
Mais c’est aux juges d’en décider. On a parfois l’impression que c’est la télévision qui décide. Et lorsque, quelques années plus tard, intervient le non-lieu ou l’acquittement, on ne l’évoque qu’en quelques mots en page intérieure. Et c’est l’opinion préconçue qui reste gravée dans les mémoires.
© Die Zeit
Traduction et adaptation Gian Pozzy