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De «So Foot» à «Society», Franck Annese fait la nique à la presse

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Jeudi, 9 Juin, 2016 - 05:49

Mehdi Atmani

Portrait. Depuis treize ans, le Nantais presque quadragénaire bâtit petit à petit un empire médiatique: So Press. Il fait le pari insensé d’éditer des magazines papier en pleine sinistrose de la presse. Bilan? De nouvelles publications, des lecteurs en augmentation et la rentabilité cette année.

A priori, Franck Annese relève de la blague vestimentaire et éditoriale. Casquette vissée sur la tête, barbe noire, chemise décontractée, baskets, le look du sémillant patron des publications So Press colle davantage à l’image du hipster californien qu’à celle du magnat des médias. Pour la presse magazine française traditionnelle, qu’il «lit assez peu», le Nantais de 39 ans est surtout une plaisanterie journalistique. Quelle idée d’éditer des publications sur le ballon rond (So Foot), le cinéma (Sofilm), l’enfance (Doolittle), la politique et la société (Society) sur un ton décalé par des journalistes non spécialistes?

Depuis 2003, le groupe So Press se lance à l’abordage des news magazines (papier!), à une époque où les serveurs informatiques tournent davantage que les imprimeries. L’Express, L’Obs et Le Point peuvent se moquer. Englués dans un spleen tenace par le déclin de leurs ventes, ils rient jaune aujourd’hui face à l’empire médiatique de Franck Annese.

Le succès de So Press tient donc du pari insensé. Si Franck Annese est un look, c’est aussi et d’abord un ton, une gueule que l’on voit un peu partout à chaque nouvelle audace de la «So Sphère». «Un peu trop à mon goût. J’aimerais bien que d’autres prennent le relais.» En bon VRP, il vient présenter et défendre son nouveau bébé. La recette fonctionne depuis treize ans puisque So Press écoule plus de 220 000 magazines chaque mois auprès d’un public âgé de 25 à 49 ans.

La panoplie de ce groupe de niche se complète par la régie publicitaire H3: l’histoire, l’humour, l’humain, c’est-à-dire le trio de H gagnants si chers à Franck Annese. Mais aussi par une société de production de films (So Films), un label musical (Vietnam), une structure d’événementiel (Doli Events). So Press a ainsi généré un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros en 2015, mais une perte de 1 million. «On espère être rentables en 2016», commente le barbu. Il faudra donc encore un peu de patience avant de parler de success story.

Rien ne laissait pourtant présager que Franck Annese aurait un tel destin. Le Breton, né en 1977, a fréquenté l’Ecole supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), à Cergy. Durant ces années, il bosse un peu dans la pub et la télé. En 1999, alors qu’il est encore étudiant, Franck lance le magazine culturel Sofa. Faute de rentabilité, le fanzine se plante. En bon supporter du FC Nantes, Franck a l’idée «de cette fin de siècle»: So Foot, le mensuel du sport qui parle de football. Le menu est simple, mais copieux. Des reportages fouillés, des enquêtes, des interviews.

Avec Guillaume Bonamy et Sylvain Hervé, ses deux compères de l’ESSEC, Franck Annese invente le football «cultivé», réalisé par des passionnés. Sans évoquer les résultats. Le trio derrière So Foot multiplie les passerelles avec la culture en publiant des interviews d’acteurs et de personnalités qui livrent leur passion du football. La publication qui ambitionne de marcher sur les platebandes de L’Equipe et de France Football voit le jour en 2003. Au départ, elle s’écoule à 4000 exemplaires. Aujourd’hui, c’est la poule aux œufs d’or de So Press avec 53 000 exemplaires vendus chaque mois. Il faut dire que So Foot bénéficie des soutiens médiatiques de Libération et des Inrocks.

Regard décalé

En 2012, Franck Annese remet le couvert et s’attaque cette fois-ci au cinoche en créant Sofilm, un mensuel sous la direction de Thierry Lounas, débauché des Cahiers du Cinéma. La recette est toujours la même: un regard «décalé». Sofilm ne dépend pas directement de So Press, mais à moitié des Editions nantaises détenues par Franck Annese et Capricci (éditeur), fondées notamment par Thierry Lounas, devenu directeur de la rédaction de Sofilm.

«Le magazine applique le ton de So Foot au cinéma, explique Thierry Lounas. A l’époque, j’avais l’urgence de parler de cet art différemment. Les lecteurs et spectateurs sont assommés par la multiplication des sorties. Il faut à nouveau les intéresser, renouer le contact avec eux pour qu’ils retrouvent du plaisir. J’avais le besoin d’une autre presse, mais me sentais seul dans la démarche. Alors je suis allé voir Franck.»

«Un marketing de branleurs»

Entre So Foot et Sofilm, la force de frappe de So Press est constituée. Entre les deux, le groupe avait déjà décliné la formule dans d’autres thématiques, avec le magazine sur l’enfance Doolittle (2010) puis Pédale! (2011), une publication dédiée au cyclisme. «Tout le monde nous parle d’un concept. Mais la vérité, c’est qu’il n’y en a pas, souligne Franck Annese. Cela s’est construit lentement, de manière naturelle. A So Press, nous n’avons pas fait de grandes études pour théoriser nos projets. Depuis treize ans, on fait un marketing de branleurs, c’est-à-dire pas de marketing.» Et si le vrai plan com de So Press était de prétendre qu’il n’y en a pas?

En mars 2015, c’est le grand oral avec le lancement de Society. Un quinzomadaire qui s’inspire largement d’un journal phare de l’underground des années 70-80: Actuel. Franck Annese confie les rênes de Society à son ami de toujours Stéphane Régy, un ancien de Sofa. A l’époque, l’open space de So Press dans le XIe arrondissement de Paris, près du Père-Lachaise, fourmille de journalistes venus découvrir les traits de cet ovni dans le paysage médiatique francophone. En fait, rien de bien effrayant: un bimensuel qui traite de politique et de société. Et des rédacteurs qui «écrivent comme ils parlent», ajoute Franck Annese.

Un journalisme à l’ancienne

Ce nouveau bébé, c’est son rédacteur en chef Stéphane Régy qui en parle le mieux, avec modestie: «Nous avons une démarche plus humble qui ne donne pas de leçons aux autres.

D’ailleurs, la question ne s’est jamais posée. Society, c’est le magazine que j’ai toujours voulu faire en tant que journaliste, en rédigeant des articles que j’aimais lire.» Rien de révolutionnaire donc: «On pratique un journalisme très classique, voire à l’ancienne. Nous ne sommes pas dans le journalisme d’opinion avec des tribunes, des éditoriaux et des prises de position. En faisant ce magazine, on s’est rendu compte qu’on appréciait de prendre le temps d’aller voir les gens et de leur donner la parole. Cela nécessite de se déplacer beaucoup et de l’espace, avec des papiers assez longs… peut-être parfois trop.»

Il n’empêche. Depuis plusieurs couvertures, Society tente le grand écart entre les sujets long read distinctifs et les autres traités par la concurrence. D’ailleurs, comment le magazine compte-t-il couvrir la présidentielle française qui débute? «Nous avons notre plan de bataille, mais on ne vous le dévoilera pas, plaisante Stéphane Régy. Nous avons l’ambition de raconter ce qu’est la France en 2016. Comment les gens vivent, quelles sont les figures de l’époque. Et il y a des moments, comme celui-ci, dans l’actualité qui nous permettent de nous pencher sur les enjeux de notre pays.» Un travail d’introspection qui fera fi des «ficelles politiques et autres calculs».

Après plus d’une année d’existence, le quinzomadaire parle de tout et n’épargne personne. En s’attaquant par exemple au microcosme du PAF parisien (BFM TV). Et, au mois de mars dernier, il publie six pages d’enquête sur les dessous peu reluisants de Touche pas à mon poste!, l’émission phare de D8 animée par l’omniprésent Cyril Hanouna. Le magazine le dépeint en patron exécrable. Piqué au vif, l’animateur démonte en direct le travail des journalistes de Society, pas très attachés – à en croire l’animateur et ses chroniqueurs – aux règles déontologiques (faux témoignages, propos déformés, anonymat non respecté).

Il s’ensuit un ping-pong de SMS à l’antenne entre Cyril Hanouna et le magazine. Sur les réseaux sociaux, c’est la déferlante. Franck Annese et Stéphane Régy signent là un joli coup de pub.

Changement de division

Avec Society, Franck Annese confirme la place de So Press dans le paysage médiatique français. En changeant de division, le barbu doit endosser de nouvelles responsabilités. Parmi la vingtaine de pigistes des débuts, beaucoup ont depuis été titularisés. «Comme cela marche, on embauche. Nous avons tout de même envie qu’ils vivent sereinement en pérennisant l’aventure», souligne Franck Annese. Provocateur, le patron confesse: «Depuis le début, tout était fait pour que ça ne marche pas. Nous espérions en vivre et on n’en vit pas trop mal. On s’achète même des baraques.»

Un jour, So Press s’arrêtera. «Il le faut. La vie d’un magazine est courte. Elle s’inscrit dans une époque. Un journal vieillit avec ses journalistes et son public. Les news magazines traditionnels ont peut-être un peu perdu leur tout générationnel avec le temps. Il faut donc savoir s’arrêter.» On croit rêver.

Il est cependant trop tôt pour tirer la prise. Au mois de septembre prochain, So Press lancera Running Heroes, un semestriel dédié à la course à pied. Puis, en 2017, un site d’actualités qui mettra en avant les multicompétences dans la vidéo, la musique et la production de contenus de la marque So Press. Le groupe va encore inaugurer une nouvelle société de production. «Nous avons pris cette décision en quinze minutes autour d’un café dans le XVIIIe arrondissement, raconte Franck Annese. Si on se plante, on se plante; mais, au moins, on aura tenté l’expérience. J’aime cette spontanéité.» So easy! Vraiment? 

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