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Robert Shiller: "Les gouvernements doivent investir"

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Jeudi, 12 Décembre, 2013 - 05:58

Perspectives.Le professeur américain et Prix Nobel d’économie en 2013 évoque le risque d’un nouveau krach. Des programmes de travaux publics, comme le New Deal, permettraient de relancer l’économie et la consommation.

Propos recueillis par Anne Seith

Lauréat du prix Nobel d’économie avec Eugene Fama et Lars Peter Hansen, le professeur Robert Shiller se montre inquiet face à la hausse continue du cours des actifs financiers alors que l’économie réelle tarde à s’extraire de la crise. Spécialiste de l’immobilier et de la finance comportementale, il s’appuie sur trois décennies de recherche personnelle.

Au début de ce millénaire, vous aviez annoncé l’effondrement de la «nouvelle économie» alors que la majorité pronostiquait encore la hausse des cours. Et vous êtes un des rares à avoir prévu la dernière crise. La prochaine catastrophe est-elle en vue?
Je ne sonne pas encore l’alerte mais, dans plusieurs pays, les cours des actions sont élevés et, sur bon nombre de marchés immobiliers, les prix ont fortement augmenté. Ça pourrait mal finir. Sur les marchés d’actions, les cours ont grimpé jusqu’en 2000 avant de s’effondrer; ils sont remontés en 2004 jusqu’à la chute de 2007; depuis 2009, ils sont de nouveau à la hausse. Il est donc justifié de penser qu’il y aura de nouveau du grabuge, mais je n’en suis pas sûr.

Vous restez dans le vague. Pourtant, vous aviez prédit avec précision l’éclatement de la bulle des dotcoms. Ou était-ce simplement de la chance?
A l’époque, j’avais même demandé à mon éditeur d’avancer la publication de mon livre, afin qu’il paraisse avant le krach. Je me borne à interpréter et analyser des signes. Depuis 1989, je procède régulièrement à des sondages auprès des investisseurs: jugez-vous le marché d’actions sur- ou sous-évalué, ou les prix sont-ils corrects? En ce moment, les réponses ne sont pas univoques. J’ai par ailleurs développé le ratio CAPE, qui compare la valeur de l’action d’une entreprise avec ses gains des dix dernières années. Pour les plus grandes sociétés américaines, il était récemment de 25 en moyenne. Avant la crise financière de 2007, il était de 28.

Et quand ce ratio est élevé, les entreprises sont tendanciellement surévaluées. C’est comme si la prochaine crise menaçait…
On ne saurait l’exclure. Mais, avant l’éclatement de la bulle internet, le CAPE était à 44. Il est hasardeux de dire si et quand une bulle se forme; si et quand elle éclatera.

Comment procédez-vous avec vos propres investissements?
De nos jours, investir de l’argent est une gageure. J’essaie de répartir mes avoirs. J’ai par exemple investi dans des actions que je juge encore bon marché, dans les secteurs de l’énergie et de la santé. Je mise aussi sur des indices dans le monde entier.

Combien de temps les Bourses d’actions continueront-elles de grimper?
Je songe à en sortir. Je me suis déjà retiré de branches surévaluées comme la finance et les technologies. Mais il est difficile de prendre la bonne décision au bon moment.

Vous êtes connu pour tenir compte des émotions en tant que facteur décisif pour les marchés financiers. Est-ce à dire que vos analyses viennent finalement des tripes?
Sûrement pas. Je vois beaucoup de données, mais je lis aussi ce que les sociologues et les psychologues disent des comportements humains. Habituellement, les économistes ne le font pas. Si vous demandez à un expert d’expliquer aujourd’hui les conditions sur les marchés, il vous répondra sur un ton péremptoire: «C’est la faute des banques d’émission!»

Ne partagez-vous pas cet avis? Elles injectent des milliers de milliards dans les marchés.
C’est sûrement une partie du problème. Mais les banquiers centraux ne sont pas des méchants, ils essaient de stabiliser les marchés, c’est leur job, mais il existe des facteurs psychologiques qu’ils ne peuvent contrôler. Prenez les marchés immobiliers. J’y vois un phénomène intéressant: il y a cinquante ans, on ne parlait guère des prix de l’immobilier et les indices étaient rares. Le marché n’a réagi que lorsqu’on a commencé à récolter et évaluer des données, quand les médias en ont parlé. Il y a alors eu plus de spéculation.

On parle de bulles immobilières en Chine, en Russie, au Canada, aux Etats-Unis. Or, ça ne fait que quelques années que la spéculation sur la pierre aux Etats-Unis a jeté le monde entier dans la crise. N’apprend-on rien?
Si, sans quoi la situation serait assurément pire. Mais un investisseur tire aussi l’enseignement suivant: les prix commencent par chuter, puis ils remontent.

Où se niche le plus grand danger pour les marchés financiers?
C’est l’essor des marchés d’actions aux Etats-Unis qui me cause le plus de souci. Notamment parce que notre économie reste souffreteuse, fragile.

Pourtant, nombre d’investisseurs parlent de résurrection économique aux Etats-Unis et en Europe. Avons-nous surmonté la crise?
Je le voudrais bien. Mais on constate que bien des gouvernements économisent toujours, et même les ménages se font du souci quant à leurs dettes. Si bien qu’on consomme et investit peu. Je crois que, dans bien des régions du monde, la croissance restera faible.

Les banques centrales tentent d’y remédier en injectant des montants astronomiques. Ça ne sert à rien?
L’exemple japonais montre en tout cas qu’une telle politique peut se poursuivre des décennies durant sans que cela ne change rien.

Ne serait-il pas temps, alors que Ben Bernanke et ses collègues ferment le robinet?
Il n’y a actuellement pas d’alternative à la politique des taux bas. Je préférerais que les gouvernements stimulent la conjoncture par le biais de programmes de dépenses pour des projets sensés, plutôt que de réduire les taux au maximum, ce qui incite les gens à s’offrir de plus grandes maisons.

Après plus de dix ans de stagnation, le Japon tente de ranimer l’économie à l’aide d’un programme conjoncturel gigantesque, alors même que le pays a une dette record. Vous appelez cela une politique durable?
Il en va de même pour une économie qui marine dans un creux conjoncturel que pour une ferme du Midwest où, l’hiver, il n’y a pas grand-chose à faire. On répare donc les clôtures et on repeint la grange. De la même façon, un Etat peut veiller à ce que, en période de calme plat, de grands travaux soient entrepris. Le train qui relie New York à Yale est très lent: qu’est-ce qui empêche de construire une ligne à grande vitesse? Cela mettrait des chômeurs au travail.

Mais on ne peut pas recycler en quelques semaines des banquiers au chômage en ingénieurs.
C’est bien le problème. Aussi, je soutiens mon collègue Martin Shubik, qui propose une autorité fédérale chargée d’imaginer et de préparer des programmes de travaux appropriés aux temps de crise.

Au fond, vous demandez un New Deal, des projets d’occupation publics du genre de ceux qui ont permis aux Etats-Unis de relancer la conjoncture dans les années 30.
Je n’entends pas faire tout ce que Franklin Roosevelt a fait. Quand l’Etat intervient dans l’économie, cela crée beaucoup de tensions. Mais le New Deal a eu de bons aspects. Il y avait, par exemple, d’épouvantables tempêtes de poussière en Oklahoma en raison de la sécheresse. On a donc lancé un programme de revitalisation des sols et résolu ainsi un problème climatique. Nous devons réfléchir à la manière de retrouver une économie dynamique et penser à nos priorités nationales, aux biens que l’Etat doit financer. Cela n’entraîne pas forcément de nouvelles dettes.

© DER SPIEGEL
TRADUCTION ET ADAPTATION GIAN POZZY


Robert Shiller

Prix Nobel d’économie 2013 pour ses travaux sur l’évolution des prix des actifs, Robert Shiller, 67 ans, enseigne à l’Université Yale, à la Wharton School et aux Universités de Pennsylvanie et du Minnesota. Le fait d’avoir prédit plusieurs crises financières lui vaut sa grande notoriété. Et il est le père de l’indice Shiller et Case, utile dans l’immobilier.

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Michelle McLoughlin / Reuters
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