Laurent Favre
Coup de griffe. Surprotégés, inhospitaliers, chers et souvent dépeuplés, les emplacements dédiés aux amateurs de football sans billet concentrent les mauvais côtés du stade sans les bons.
Après une semaine de compétition, le premier bilan du Championnat d’Europe des nations en France est mitigé. Beaucoup de couleurs dans les stades, des débordements d’un autre âge à Marseille, pas trop de grèves, peu de buts, encore moins de stars en évidence et des scores étriqués, comme si toute l’Europe s’était mise à jouer comme la Ligue 1 pour faire plaisir à son hôte.
Aucune équipe n’est encore éliminée, mais on connaît déjà le premier grand perdant de l’Euro 2016: la fan-zone. Conçus pour prolonger la fête en dehors des stades, ces sites dédiés à la compétition qui permettent de suivre les matchs sur des écrans géants attirent davantage les critiques que les supporters. Le temps pourri et les menaces d’attentats n’incitent pas à venir s’entasser dans des espaces en plein air. A Paris, le Champ-de-Mars n’est rempli qu’au tiers de sa capacité et l’écran géant a planté au premier orage lors de Pologne - Irlande du Nord. Lille peine à faire le plein sur l’esplanade entre les deux gares et craint l’arrivée des Britanniques et des Russes cette fin de semaine.
La fan-zone de Marseille, sur la plage du Prado, était déserte pour Suisse - Albanie. La veille au soir, le concert de Cerrone, légende disco des années 1970, a été annulé au dernier moment… pour ne pas troubler le sommeil de l’équipe de Russie, logée juste à côté. Enfin, celle de Toulouse n’est ouverte que pour les matchs de l’équipe de France et ceux disputés dans la Ville rose. Le reste du temps, circulez! En Suisse romande, le match Suisse - Albanie n’a été suivi que par 5000 personnes sur la plaine de Plainpalais (qui peut en accueillir 12 000). Il faut dire qu’il pleuvait et que les parapluies étaient interdits. Ils étaient moitié moins nombreux le lendemain pour Angleterre - Russie, toujours sous la pluie.
Business organisé
Bref, ce n’est pas la grosse ambiance. L’idée de vivre collectivement les grands matchs de football, de recréer sa tribune devant un écran géant, n’est plus considérée comme une expérience à vivre. La lassitude peut-être. Connue depuis longtemps par les passionnés de formule 1, la fan-zone a surgi dans le foot lors de la Coupe du monde 2006. Le sens de la fête populaire des Allemands fédère des millions de personnes dans les centres-villes. La compétition y gagne en chaleur humaine et en sympathie. Présente comme observatrice, l’UEFA bondit sur l’idée et, dès l’Euro 2008, organisé conjointement par la Suisse et l’Autriche, la fan-zone fait partie du cahier des charges.
Comme tout ce qui est gratuit et spontané, la bonne idée devient vite un business organisé. On monte des palissades, des stands, des banderoles publicitaires. L’entrée est contrôlée et limitée, la sécurité devient omniprésente, oppressante. Bien sûr, c’est gratuit. Gratuit jusqu’à la caisse. Trois euros cinquante la petite bouteille d’eau et seule la bière officielle de la compétition (le géant danois Carlsberg) est autorisée. Elle est même quasi obligatoire, puisqu’il est interdit d’introduire des liquides dans les fan-zones (toujours cette logique d’aéroport…), autrement dit de venir avec son verre. Il faut rentabiliser l’investissement, car un emplacement coûte cher (37 000 francs à Plainpalais selon Bilan, le double des Fêtes de Genève).
Bonne idée dénaturée, la fan-zone est devenue une zone que les vrais fans évitent. Debout, mal placé, avec le soleil couchant dans les yeux, on y voit mal le match, mais pas grave: comme à Paléo, on est là pour l’ambiance. Sauf que personne ne chante parce que c’est quand même un peu idiot d’encourager des joueurs qui courent à 800 km d’ici.