Eclairage. Comment comprendre la tuerie homophobe d’Orlando? Dans le monde musulman, une passion anti-occidentale anime de nombreux détracteurs plus ou moins radicaux des homosexuels.
Omar Mateen est mort «en soldat». C’est l’Etat islamique qui l’affirme dans un message radio diffusé lundi 13 juin. La veille, dans la nuit, l’Américain de 29 ans, armé d’un pistolet et d’un fusil automatique qu’il avait récemment achetés, a tué une cinquantaine de personnes et fait autant de blessés dans une discothèque gay d’Orlando, en Floride. Le plus grand massacre perpétré aux Etats-Unis depuis les attentats islamistes du 11 septembre 2001. L’attaque a duré trois heures, elle a pris fin, peu avant l’aube, avec l’assaut des forces de l’ordre et la mort de l’assaillant.
Né à New York de parents afghans, agent de sécurité quand il aurait voulu être policier, Omar Mateen, de confession musulmane, habitait Port Sainte-Lucie, au bord de l’Atlantique, à 200 kilomètres d’Orlando. Il disait du mal de beaucoup de monde, des Noirs, des juifs et des homosexuels, ont affirmé quelques-uns de ses collègues de travail. Homosexuel, il l’était peut-être.
L’assassin aurait fréquenté le Pulse, le night-club pris pour cible. Des témoins assurent l’y avoir vu, le décrivant comme un habitué des lieux, il utilisait le réseau social gay Jack’d, aurait fait des avances à un ancien élève de l’académie de police où il a étudié en 2006, rapportent différents journaux américains, cités par l’Agence France-Presse. Gay, Omar Mateen? Avatar identitaire? Couverture opérationnelle, obéissant à la taqiyya, l’art de la dissimulation djihadiste? Tout cela à la fois?
Mal dans sa peau, manifestement, déclarant, par téléphone, à un numéro d’urgence, et alors qu’il agissait dans la discothèque, son appartenance à l’Etat islamique. Individu «bipolaire», selon son ex-femme, qui indique qu’il la battait. Un jour qu’il était à Miami, la vision de deux homosexuels s’embrassant dans la rue devant son ex-compagne et son enfant l’aurait «énervé», a expliqué le père.
Une personne elle aussi visiblement tiraillée, le père, qui semble hésiter entre allégeance à un islam rigoriste et aux lois du pays d’accueil, celles, en l’occurrence, plutôt libérales, de la Floride. Après le drame, le père du tueur a enregistré une vidéo dans laquelle il dit que l’homosexualité est punie par Dieu mais que seul Dieu a le droit d’infliger la punition. Il paraît vouloir exonérer l’islam de toute responsabilité dans le geste meurtrier de son fils, et ne retenir qu’un motif: l’homophobie. Curieux distinguo, quand on sait ce que certains discours religieux, chrétiens, juifs ou musulmans, renvoyant au mythe biblique de Sodome et Gomorrhe, peuvent produire de hargneux à l’encontre des homosexuels, hommes et femmes.
Interdit en Suisse
Dans le cas de l’islam, l’hostilité à l’homosexualité s’accompagne généralement d’un argument civilisationnel anti-occidental – ce biais «anticolonial» trouve un écho en France chez une partie de la mouvance antiraciste en lutte contre la «domination blanche», accusée de vouloir imposer ses codes (et ses codes homosexuels) aux Noirs et aux Arabes. L’Occident serait cet empire cherchant à propager ses mœurs dissolues au monde musulman.
Omar Mateen se sera peut-être senti souillé par ces mœurs et aura cherché à s’en laver en tuant des «homos». La «documentation» de l’Etat islamique, ses vidéos macabres, est remplie de références religieuses (de présumés hadiths, les paroles attribuées à Mahomet) détaillant les diverses manières de mettre à mort les homosexuels. Paraît-il radicalisé sur l’internet, le tueur d’Orlando a probablement eu accès à cette propagande mortifère.
Ancien membre de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), auteur du livre Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans. Retour éclairé vers un islam apolitique (Michalon, 330 pages), Mohamed Louizi constate, pour le déplorer, que «l’homophobie, présente dans une large littérature islamique, est un acte de foi. Haïr l’homosexuel parce qu’il est homosexuel aide à se rapprocher de Dieu, semble-t-il.»
Le cheikh syrien Mohamed Ratib Al-Nabulsi devait prendre part en février à Lille, en France, à la Rencontre annuelle des musulmans du Nord, organisée par l’UOIF. Mohamed Louizi s’y est opposé, a mené campagne sur les réseaux sociaux contre la venue de ce prédicateur islamiste au meeting lillois. «Je savais que, dans une vidéo, il prônait la peine de mort pour les homosexuels», explique-t-il.
Son action a porté ses fruits, les organisateurs ont déprogrammé le Syrien, ainsi que deux autres prédicateurs étrangers au lourd passif verbal. La Suisse, en tout cas, n’aurait pas laissé entrer le cheikh Nabulsi sur son sol. Ce dernier, qui se trouvait alors peut-être en Turquie, a en effet demandé à pouvoir passer par le territoire helvétique pour se rendre en France, mais les autorités fédérales, via une ambassade, ont «annulé [son] visa Schengen», lit-on dans une capture d’écran réalisée par Mohamed Louizi.
Dans la vidéo en question, datée du 28 avril 2011 et apparemment tournée par le Hamas à Gaza, le prédicateur syrien, dont les propos en arabe sont sous-titrés en anglais, décrit les homosexuels comme des gens «crasseux» et ne pouvant avoir de «progéniture». «L’homosexualité conduit à la destruction de l’homosexuel. C’est pour cette raison, mes chers frères, que le châtiment de l’homosexualité est la peine de mort», assène-t-il sur un ton serein.
La suite se veut une illustration des méfaits de l’Occident et de ses élites. Le cheikh Nabulsi s’offusque de ce qu’un ministre britannique se déclare gay, qu’un étranger puisse acquérir la nationalité canadienne en raison de son union avec un Canadien, etc. Il conclut: «C’est effrayant, nous sommes extrêmement heureux dans nos pays.»
Religieux et politique
Nos pays? Les pays arabo-musulmans. Le religieux syrien ne peut naturellement ignorer que l’homosexualité y est présente, comme partout ailleurs, depuis des temps immémoriaux. Son combat contre l’homosexualité, ce «cheval de Troie» de l’Occident, est aussi religieux que politique. En avril dernier à Tunis, des commerces ont affiché sur leur devanture des messages portant la mention «Interdit aux homosexuels».
En mars, à Beni Mellal, dans le centre du Maroc, deux jeunes homosexuels ont été battus jusqu’au sang à l’intérieur d’un logement avant d’être jetés nus dans la rue. En juin 2015, le magazine Maroc Hebdo titrait en une, d’une façon provocatrice et très peu gay-friendly: «Faut-il brûler les homos?» Mais en Tunisie comme au Maroc, des associations de défense des droits des gays et lesbiennes ne se laissent pas faire et répliquent à ces violences réelles ou symboliques.
Vivant en France, l’écrivain marocain Abdellah Taïa, auteur, notamment, d’Une mélancolie arabe, confiait en juin 2008 au Bondy Blog: «Dans mon quartier [au Maroc], il y avait trois hommes qui jouaient le rôle de la femme pour d’autres hommes. Comme ce devait être très dur pour eux à supporter, ils n’avaient sans doute d’autre choix que d’accepter de se féminiser. Moi, à l’époque, j’avais l’intuition que je ne voulais pas [de cette féminisation].»
On est à la fois loin et proche de la tragédie d’Orlando. La détestation de soi «blanchie» par Daech peut provoquer des catastrophes.