Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Ces vérités que l’Europe n’ose plus dire

$
0
0
Jeudi, 23 Juin, 2016 - 05:55

Richard Werly

Rencontre. Pour l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au Parlement européen, l’Union européenne a besoin d’une urgente refondation. Et le Brexit, quel qu’en soit le résultat, est l’occasion rêvée de passer à l’acte. 

Guy Verhofstadt aurait pu titrer son dernier livre Les raisons de ma colère. Au final, l’ouvrage s’intitule Le mal européen (Ed. Plon), mais chaque page ou presque y sème une graine de révolte envers l’affaissement de l’Union européenne, et l’indifférence coupable qu’elle suscite. «On a récrit l’histoire de l’intégration communautaire, fulmine-t-il lors d’une rencontre avec quelques journalistes organisée à Paris à la veille du vote britannique sur le Brexit du 23 juin.

Les pères fondateurs de l’Europe, les Jean Monnet, Altiero Spinelli ou Paul-Henri Spaak ne voulaient pas de cette construction-là. Ils plaidaient passionnément pour une fédération que le refus français de la Communauté européenne de défense, au milieu des années 50, a brutalement rendue impossible. L’économie a remplacé la politique, et on voit le résultat.»

L’ancien premier ministre belge, on le sait, ne s’exprime pas seulement comme président du groupe libéral au Parlement européen. Il a été, en 2004 puis de nouveau en 2014, candidat déclaré à la présidence de la Commission, à chaque fois rejeté par Londres pour son fédéralisme affiché et opiniâtre. «Je connais tous les étages de l’UE, poursuit-il. L’étage Etats membres. L’étage Commission. L’étage Parlement européen. Et j’affirme que tout l’édifice doit être réhabilité d’urgence. Il y a beaucoup trop de fissures pour qu’il tienne encore tel quel.» 

Passer au crible les institutions

Le Brexit. Tous les regards et les commentaires sont tournés vers ce vote historique. Mais pour Guy Verhofstadt – dont le groupe parlementaire inclut l’unique eurodéputé libéral-démocrate britannique rescapé des élections de 2009 – l’Union doit absolument éviter de refermer le débat si le Royaume-Uni choisit de demeurer en son sein. «Ma proposition est limpide: réunissons très vite une convention de refondation de l’UE en 2016-2017, et ce dans tous les cas de figure. Le fait d’avoir aujourd’hui le dos au mur est en réalité une chance. Quel que soit le vote, l’Europe sera complètement différente après le 23 juin et nous ne pouvons pas l’ignorer.»

Le lieu d’une telle initiative? Rome, pour renouer avec l’esprit du traité originel signé le 25 mars 1957. La méthode? Une convention destinée à passer au crible toutes les institutions, pour en redéfinir s’il le faut les missions et en corriger les dysfonctionnements.

Exemple: «Tout le monde sait que l’Union européenne, à 27 ou à 28, doit se doter d’une politique migratoire cohérente. Il faut une politique d’asile commune, pour que cesse la compétition malsaine entre Etats membres. Voilà ce que le Brexit peut nous permettre de redéfinir et d’obtenir.» Autre exemple? «La mobilité des travailleurs au sein de l’UE est compliquée à gérer en raison des différences de statut et des inégalités de salaire, mais elle peut être en même temps une formidable opportunité. Acceptons de poser cette question et de réfléchir à des solutions en créant les institutions adéquates, dotées de la bonne feuille de route.»

Profitable à la Suisse?

La Suisse observe. Beaucoup de responsables helvètes se réjouissent d’une éventuelle sortie du Royaume-Uni, pariant sur l’ouverture de brèches dont la Confédération pourrait à son tour profiter. Scénario lucide? «Je ne le crois pas, rétorque Guy Verhofstadt en réponse aux questions de L’Hebdo. Ce que le Royaume-Uni obtiendra pour lui-même ne sera pas proposé à d’autres. L’idée selon laquelle le «gâteau européen» sera redistribué au profit de pays qui ont toujours refusé l’intégration – ce qui est leur droit – est illusoire.» Vraiment?

N’écrit-il pas dans son livre que l’Union ferait mieux d’accorder plus d’attention à ce qui a longtemps fait son sel, «le rapport entre la croissance économique et l’intégration» et «les avantages d’un marché intérieur complètement intégré comme remède à la récession économique»? Pourquoi cette obsession fédéraliste à l’heure où les nationalismes ont le vent en poupe, et où le Brexit britannique ne ferait qu’ouvrir une plaie béante? «Parce qu’il existe aussi, sur le terrain, une effervescence européenne qu’il serait criminel de ne pas voir. La montée des nationalistes n’est pas un mouvement uniforme partagé par tous.» 

Refaire l’Union sur de nouvelles bases. Lui redonner ce sens qui semble aujourd’hui tant lui manquer. A 66 ans, le Flamand Guy Verhofstadt ne manque ni d’idées ni de mesures concrètes à proposer pour remplir l’agenda de la fameuse convention de Rome qu’il appelle de ses vœux. Or, toutes ces mesures sont importantes aussi pour l’avenir des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union.

«Je pense à la question des gardes-frontières, qui impose inévitablement un sursaut fédéral, poursuit l’ancien chef du gouvernement belge (1999-2008). Il me paraît clair que nous allons devoir créer un tel corps, dont il faudra ensuite tirer les conséquences. Je pense aussi à l’Union bancaire sur laquelle nous avons beaucoup avancé, sans pour autant convaincre les marchés financiers toujours à l’affût. La réponse est connue: l’eurozone doit se doter d’un budget propre et émettre des euro-obligations. Nous avons perdu un temps fou, depuis la crise financière de 2008-2009, à mettre des rustines. Il faut repenser l’architecture de l’Union et parfois peut-être accepter d’en faire moins, mais mieux. C’est ce qui a manqué pour réussir l’élargissement: un approfondissement ambitieux. Voilà donc le moment venu.»

Le silence des pays fondateurs

Pas d’autocritique chez cet éternel partisan d’un regain d’intégration communautaire, à l’heure où les peuples rechignent à abandonner davantage de souveraineté. C’est d’ailleurs la faille. Comment peut-on, à l’heure du Brexit, ne pas envisager une autre option que l’Europe à 28, dont presque tout le monde éprouve en 2016 les limites et les difficultés? La députée européenne française Sylvie Goulard pose aussi ces questions dans son livre Goodbye Europe (Ed. Flammarion). On sent chez elle, en revanche, plus de lucidité.

«Le drame, ce n’est pas la force du Royaume-Uni, c’est la faiblesse de ses partenaires, écrit-elle. C’est le silence de la France, de l’Allemagne, des autres pays fondateurs, des institutions et de tous ceux qui, par le passé, ont apporté leur pierre à l’édifice commun et s’en désintéressent aujourd’hui. Par leurs hésitations et leurs arrangements opaques, ceux-là mêmes qui devraient fortifier l’Europe sont devenus les artisans de son malheur.»

La future convention de Rome, réunie dans la tempête entretenue par le Brexit ou dans l’accalmie consécutive au Bremain, est-elle vraiment la solution, alors que les précédentes tentatives ont toujours fini par accoucher de compromis trop boiteux pour être durables? Guy Verhofstadt reprend son souffle. Il sait que son projet suppose une volonté politique presque introuvable. Il sait aussi que les fédéralistes convaincus, même si les peuples ne rejettent pas le rêve européen, sont de moins en moins capables de peser sur les débats politiques domestiques. Alors?

«J’ai voulu, en écrivant ce livre, dire les vérités que l’on cache sur l’Europe, car elles rejailliront tôt ou tard et exploseront à la figure des jeunes générations, conclut-il. L’Europe ne pourra pas échapper à ces vérités. Est-ce que les dirigeants européens, cette fois, seront à la hauteur? Si personne ne les pousse, j’en doute. Ma mission, dès lors, est de tout faire pour qu’ils ne se dégonflent pas, et pour que, quel que soit le sort du Brexit, l’Europe puisse un jour dire, en regardant vers l’autre côté du Channel: «Merci les Anglais!»

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Yves Logghe / Keystone
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles