Dossier. VW se reconvertit à l’électricité, Tesla construit sa Gigafactory, Dyson et Swatch se lancent: la cathodeet l’anode seront le yin et le yang de la mobilité du futur.
L’évolution avance toujours plus vite lorsqu’elle est stimulée par l’imprévu, l’accident, le hasard. C’est ce qui arrive à la voiture électrique, née avec l’automobile il y a plus d’un siècle, maintes fois promise à un bel avenir mais toujours rangée sur les bas-côtés de la route en raison des faibles performances de ses batteries. Or, voilà que le changement climatique et la pollution qui étouffe les grandes villes contraignent les autorités à réagir, enfin, face aux moteurs à hydrocarbures. Paris se ferme progressivement aux voitures les plus nuisibles à l’environnement. La Norvège, les Pays-Bas, l’Inde, même l’Allemagne songent sérieusement à interdire les moteurs à carburant fossile d’ici à 2030, et dès lors à ne plus vendre que des véhicules électriques.
Le «dieselgate»
Mais le grand catalyseur de changement, l’imprévu majeur, est l’énorme scandale Volkswagen, qui a truqué sans vergogne pendant des années ses voitures diesels. Contraint à la repentance et à se repenser de fond en comble, le groupe aux douze marques mettra à l’avenir toutes ses forces sur l’électricité, que cette énergie secondaire propulse des véhicules, aide la mobilité partagée ou soutienne la conduite autonome. C’est un adieu programmé aux puissants propulseurs multicylindres, compressés ou pas, diesels ou non, bref à des décennies d’acquis technologiques sans équivalents dans cette industrie.
Matthias Müller, le nouveau patron de VW, a annoncé le 16 juin que son groupe commercialisera plus de 30 véhicules électriques d’ici à 2025. Soit 2 à 3 millions d’unités annuelles, ou 25% des ventes totales du mastodonte de Basse-Saxe. VW développera en parallèle des robots-taxis, du transport à la demande, de l’intelligence artificielle. Pour financer cet effort colossal, le groupe renoncera à des dizaines de modèles traditionnels, se séparera de filiales, en fusionnera d’autres. Et trouvera de nouvelles sources de revenus, en particulier dans la fabrication de ce qui s’annonce être le vrai propulseur du XXIe siècle: la batterie.
Sécuriser l’approvisionnement
Longtemps rétif à l’électricité, VW devra sécuriser son approvisionnement en accumulateurs, les éléments clés de ses futures voitures à électrons. François Vuille, directeur du développement au Centre de l’énergie de l’EPFL, explique pourquoi:
«Les constructeurs automobiles pratiquent l’intégration verticale, où ils maîtrisent les étapes et les composants de leurs productions. Historiquement, une bonne part de leurs revenus provient des moteurs thermiques et de tout ce qui les entoure, comme les boîtes à vitesses. Dès lors, une voiture électrique les prive de ces gros revenus puisqu’elle ne contient plus ces éléments. Il y a un important déplacement de valeur vers les batteries, de loin les composants les plus chers de ce type de véhicule. D’où la volonté de nombreux constructeurs de récupérer cette valeur en fabriquant eux-mêmes des batteries.»
Ce qui est loin d’être une tâche aisée, tant la production de ces accumulateurs pour automobiles est concentrée en Asie, avec comme acteurs principaux Panasonic, LG Chem et Samsung. Mercedes-Benz a tenté l’aventure en Allemagne, mais il a dû fermer son usine l’an dernier, le coût de ses batteries étant trop élevé par rapport à celles des Japonais ou des Coréens.
Processus lourd
François Vuille encore: «Une usine de batteries doit être très grande pour être concurrentielle. C’est un processus lourd, fortement automatisé, qui requiert des investissements très importants. De plus, il existe aujourd’hui plusieurs chimies à base de lithium en concurrence, avec des performances très différentes en termes, notamment, de densités énergétiques, de sécurité ou de résistance à la dégradation. Il s’agit donc de bien choisir le type de batteries.
Une fois l’investissement réalisé, le constructeur ne pourra pas revenir en arrière. Il en sera prisonnier. Or les batteries ne sont pas des technologies matures. Elles s’améliorent. De nouveaux types apparaissent, qui pourront être bien plus performants. Opter pour une technologie aujourd’hui représente donc un risque industriel majeur.»
C’est aussi l’avis de Peter Schwarzenbauer, l’un des grands patrons de BMW (voir son interview). Mais pas celui d’Elon Musk, l’évangéliste de la voiture électrique, le messie capitaliste du développement durable. Pour équiper les 500 000 véhicules qu’il compte fabriquer par an en Californie dès 2018, le PDG de Tesla a fait alliance avec Panasonic pour construire dans le désert du Nevada l’une des plus grandes usines du monde (50 hectares lorsqu’elle sera terminée, en 2020).
Modulaire, la Gigafactory de Tesla commence déjà à produire des batteries stationnaires qui peuvent alimenter des maisons ou des entreprises. La fabrication de cellules lithium-ion, d’une technologie éprouvée, pour automobiles commencera en 2017. Avec pour cible d’importantes économies d’échelle et une réduction du coût du kilowattheure de 30% par rapport à la moyenne actuelle. Rappelons que plus de 400 000 personnes ont passé commande du Model 3, la future voiture électrique «bon marché» (dans les 30 000 francs tout de même) de Tesla.
Sir James Dyson
En Grande-Bretagne, un bricoleur de génie songe à imiter Elon Musk. James Dyson, l’inventeur de l’aspirateur sans sac ou du ventilateur sans hélice, a acquis Sakti3, une start-up du Michigan qui a mis au point une redoutable batterie lithium-ion à l’état solide. Maître du moteur à friction ultraperformant, Sir James Dyson travaille actuellement avec ses équipes sur une voiture électrique et sur sa propre fabrication de batteries solides.
L’automobile – mais aussi les montres ou d’autres appareils électroniques – est également dans le viseur de Nick Hayek, directeur général de Swatch Group. Sa filiale Belenos a abandonné la pile à hydrogène au profit de la batterie au vanadium, un métal qui représente un substitut intéressant au lithium (il est meilleur marché, disponible en grande quantité, plus facilement recyclable). Mise au point avec l’aide de Renata, une autre filiale de Swatch, et de l’EPFZ, la batterie intéresse le constructeur Geely, le propriétaire chinois de Volvo, acteur de plus en plus important de la voiture et du deux-roues électriques dans l’empire du Milieu. Un protocole d’accord a été signé en mai dernier, des tests communs seront menés avec l’espoir de produire les batteries Belenos en Chine.
Le groupe Swatch n’a pas voulu nous en dire plus sur son accu au vanadium, qui serait 30% plus performant qu’une batterie conventionnelle et plus rapidement rechargeable. Mais il semble être sûr de son fait. Selon la NZZ am Sonntag, l’usine de Renata à Bâle-Campagne commencera à produire en septembre des batteries-boutons pour montres et autres appareils électroniques qui tireront parti de la nouvelle technologie maison.
Un atout pour Swatch, qui cherche à se diversifier à la suite du ralentissement de ses ventes traditionnelles. Mais aussi pour la Suisse qui, contrairement à l’Asie ou aux Etats-Unis, n’a pas de compétence dans la batterie produite à grande échelle. Des acteurs comme Leclanché sont plutôt spécialisés dans l’offre à la demande, notamment dans le stockage de l’énergie électrique.
C’est aussi la spécificité de Saft, l’ancienne fabrique française de batteries. Celle-ci vient d’être rachetée par Total, qui pense à sa reconversion post-pétrole. La grande bataille de la cathode et de l’anode, le yin et le yang de la mobilité du futur, est lancée. Reste à voir qui seront les vainqueurs.