Serge Jubin
Révolutionnaire (1891-1971). Quand il rejoint Moscou en 1919, le Chaux-de-Fonnier devient l’un des secrétaires de l’Internationale communiste. Puis il connaîtra la disgrâce.
Un parcours extraordinaire, «compliqué», raconte Alain Bringolf, la mémoire communiste des Montagnes neuchâteloises. Né en 1891 et mort en 1971 à La Chaux-de-Fonds, Jules Humbert-Droz a eu un destin qui force le respect. Proche de Lénine et de Trotski dans les années 20, il laisse pourtant un goût amer aux communistes d’aujourd’hui, en raison de son retour au Parti socialiste dans la dernière partie de sa vie. «Ses doutes sur l’autoritarisme soviétique furent précurseurs, son virement à la social-démocratie destructeur», commente Alain Bringolf, qui reconnaît qu’Humbert-Droz fut un personnage exceptionnel, tombé dans l’oubli après son louvoiement. «Au POP, plus personne ne fait référence à lui.»
Fils d’anarchiste, Jules Humbert-Droz devient pasteur. Ses sermons sont considérés comme subversifs. Il doit exercer son ministère en France puis à Londres, avant d’être renvoyé et de revenir en Suisse.
L’emprisonnement
En 1916, il se marie avec Eugénie (Jenny) Perret qu’il a connue aux Jeunesses socialistes à La Chaux-de-Fonds, l’un et l’autre partageant les mêmes idéaux socialistes, chrétiens, pacifistes. Au cours de la même année, cet objecteur de conscience, sa thèse de théologie appelant à la dissolution de toutes les armées, est condamné à six mois de prison, puis de nouveau interné après la grève générale de 1918.
Rédacteur au quotidien La Sentinelle, il se froisse avec les socialistes, crée de nouvelles revues. Et fonde le Parti communiste suisse.
Le couple Humbert-Droz part à Moscou en 1919. Jules devient l’un des secrétaires de l’Internationale communiste, chargé des pays européens latins et d’Amérique du Sud, Jenny traductrice au Komintern. Ils rencontrent régulièrement Lénine et Trotski.
Opposé à la fraction Trotski-Zinoviev, Humbert-Droz se range du côté de Staline, avant de se retourner contre lui. En 1931, le Komintern envoie Jules en mission en Espagne, espérant qu’il se fera assassiner par la dictature militaire. Humbert-Droz est démis de ses fonctions en 1932, puis réhabilité en 1935. Lorsqu’il retourne à Moscou, le climat ne lui est plus favorable, son ami Boukharine a été exécuté. Humbert-Droz figure aussi sur la liste de la purge stalinienne.
En 1938-1939, alors secrétaire du Parti communiste suisse, il siège au Conseil national comme député zurichois. Le passage sous la coupole fédérale est bref, le parti perd ses mandats en 1939.
Puis, alors qu’il participe à des actions d’espionnage contre les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, après avoir été en disgrâce auprès des communistes russes, Jules Humbert-Droz est exclu du PCS, pour abus de confiance et divergences politiques.
Visiblement dégoûté par ce qu’il a appelé la «dégénération de la révolution russe, la plus grande déception de ma vie de militant», le Chaux-de-Fonnier aux épaisses lunettes de myope retourne au Parti socialiste. Il est secrétaire national de 1946 à 1959, puis de la section neuchâteloise jusqu’en 1965.
Après le décès de Jules en 1971, Jenny offre en 1980 à la Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds l’imposante masse des archives de son mari, plus de 5000 documents, lettres, rapports politiques, photos, brochures, périodiques et bouquins. Devenue doyenne des Neuchâtel, Jenny décède en janvier 2000, à l’âge de 107 ans.
En savoir plus
➤ Il n’y a aucun lieu à visiter consacré à Jules Humbert-Droz, ni musée ni rue ou lieudit à son nom.
➤ Pour celui qui voudrait étudier le personnage, la source la plus accessible est ses mémoires publiés en quatre volumes aux Editions La Baconnière, entre 1969 et 1973, le dernier opus ayant été achevé par sa veuve, Jenny. Riches en anecdotes, ils se lisent aisément. Il existe également des actes du colloque sur l’Internationale communiste organisée en 1992 en l’honneur du centenaire de sa naissance.
➤ La Bibliothèque de la Ville de La Chauxde-Fonds dispose d’un fonds regroupant les archives du couple Humbert-Droz, accessible sur rendez-vous, consulté avant tout par des chercheurs et des historiens.
