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Les héros de votre canton: Nicolas Hayek, le patriarche de l’horlogerie suisse

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:46

Entrepreneur (1928-2010). Le sauveur de l’horlogerie n’était pas qu’un industriel visionnaire, mais aussi une figure tutélaire.

Il n’a pas encore sa statue et pour le moment seule la ville de Bienne, où il a exercé son magistère, a baptisé un espace public en son nom. Pourtant Nicolas Hayek a réalisé l’exploit extrêmement rare, en Suisse, de se voir octroyer de son vivant déjà le statut de héros de la patrie. Au début des années 80, Hayek sauve l’industrie horlogère suisse de la ruine vers laquelle l’entraînaient les erreurs que le secteur avait commises les décennies précédentes. Il donne à cette activité, hautement emblématique de l’identité helvétique, de nouvelles raisons de se battre. Et dépassant le strict cadre de son groupe Swatch et de l’horlogerie dans son ensemble, il donne un coup de pied bienvenu dans la fourmilière de l’économie suisse.

Pour autant, chez cet homme qui a tant attiré l’attention en se mettant en scène, qui a si bien su manier les armes du marketing et mettre les médias de son côté, pas de chichi. «Son bureau n’a pas changé pendant des décennies. C’étaient toujours les mêmes meubles bon marché. Sa maison, proche du lac de Hallwil, en Argovie, était certes confortable, mais sans ostentation particulière», se remémore son biographe Jürg Wegelin, auteur de Mister Swatch, paru en 2010.

Né à Beyrouth en février 1928, il arrive en Suisse en 1951 après des études d’ingénierie à Lyon, et épouse Marianne Metzger, fille d’un industriel du Seeland bernois, qu’il avait rencontrée dans la capitale libanaise. Ses débuts helvétiques sont ceux d’un immigrant dans une Suisse encore très conformiste.

Mais il est rapidement appelé à reprendre d’urgence les rênes de la petite fonderie et entreprise de machines familiale à la suite d’un accident vasculaire cérébral de son beau-père. Une mission qu’il accomplit avec beaucoup de diligence malgré des connaissances rudimentaires d’allemand, jusqu’au jour où il est prié de rendre le fauteuil. Aussi crée-t-il, en 1957 à Zurich, sa propre société de conseil en entreprise, Hayek Engineering.

Un homme d’intuition

Les débuts sont modestes, la famille ne roule pas sur l’or. Le consultant se fait progressivement remarquer pour ses compétences en ingénierie et son extrême intuition. Pendant plus de dix ans, ses mandats lui viennent essentiellement de fonderies allemandes. Il se voit même confier au milieu des années 70 par le gouvernement chinois la réorganisation de l’industrie métallurgique de l’Empire du Milieu, gravement malmenée par le maoïsme.

Bien que naturalisé Suisse en 1964 déjà, il doit attendre le début des années 70 pour se voir sollicité par des entités helvétiques: d’abord par la SSR, puis les CFF, les Ecoles polytechniques, enfin le Département militaire fédéral (DMF, actuel DDPS). Ce dernier mandat lui donne une visibilité exceptionnelle. Il juge exagéré le coût d’acquisition des chars d’assaut Leopard, que la Suisse achète en Allemagne avant de les faire construire sous licence en Suisse. Sa conclusion déclenche un tollé: il suggère rien de moins que de renoncer à une fabrication indigène.

En 1982, il est appelé par les anciennes Union de Banques Suisses et Société de Banque Suisse (réunies aujourd’hui dans UBS) pour réorganiser l’Asuag et la SSIH, deux mastodontes horlogers mis à genoux par la crise. Certains préconisent leur fermeture et la vente des marques les plus connues. «Il n’y connaissait rien en horlogerie. Mais il a tout de suite compris le potentiel que réservait encore la renommée des montres suisses», rappelle Jürg Wegelin.

En 1983, il réunit ces deux entreprises dans une entité unique, la SMH (Société de microélectronique et d’horlogerie), qui deviendra Swatch Group en 1998. Il en devient d’abord directeur général, puis prend progressivement le contrôle du capital grâce à l’appui de quelques grandes fortunes indigènes, principalement Stephan Schmidheiny et Esther Grether. Il mise dès 1983 le redressement de la SMH sur une petite montre en plastique développée dès 1977 par deux ingénieurs du groupe, Elmar Mock et Jacques Müller, sous les instructions d’Ernst Thomke. Cette pépite, la Swatch, connaît vite un succès mondial, sauve le groupe et rajeunit complètement l’image de l’horlogerie suisse.

L’aventure Swatch ne sera cependant pas reproductible. Dans les années 90, parallèlement à l’essor de son groupe, Nicolas Hayek tente de lancer une petite voiture économique et électrique, la Swatchmobile. Idée avant-gardiste pour l’époque. Trop, même. Le partenaire industriel, le groupe Daimler-Benz, rétrograde le projet au rang d’une petite voiture à essence, certes stylée, mais privée de plusieurs ambitions technologiques de son initiateur. L’avenir de la voiture se dessinera ailleurs, au Japon, en Californie.

Adulé pour ses succès, à peine critiqué pour ses échecs, Nicolas Hayek vivait sous les projecteurs, sans pour autant s’épancher sur sa vie personnelle. Et encore moins sur sa jeunesse libanaise. Pourtant, «il a cultivé le sens de la famille comme à Beyrouth. Chez lui, jamais de disputes, chacun a su où était sa place. Son fils Nick à la direction générale, sa fille Nayla à la présidence ne remettent pas en cause son héritage», observe Jürg Wegelin. C’est aussi de manière familiale, ou plutôt patriarcale, qu’il a dirigé le groupe Swatch: avec beaucoup de visibilité, adorant notamment se faire photographier avec plusieurs montres aux deux poignets. Avec beaucoup de soutien à ses employés. Mais sans pitié pour ceux qui s’en allaient. Il n’était pas loin de les considérer comme des traîtres. Entrepreneur génial, Nicolas Hayek a gouverné son groupe d’une main de fer, et cela jusqu’à son dernier jour, le 28 juin 2010.


En savoir plus

➤ Situé au bord du lac, autour d’un cèdre du Liban, un parc à Bienne porte le nom de Nicolas G. Hayek. Il a été inauguré en 2012, deux ans après la mort de ce visionnaire. Un panneau d’information à l’entrée de cet espace résume le parcours de vie et l’œuvre de Nicolas Hayek.

➤ Deux biographies lui sont consacrées en Suisse, celle de Friedemann Bartu, «Nicolas G. Hayek. Au-delà de la saga Swatch. Entretiens d’un authentique entrepreneur» (Albin Michel, 2006), et celle de Jürg Wegelin, «Mister Swatch» (Nagel & Kimche, 2010). Une traduction française de ce dernier ouvrage est en préparation.

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