Propos recueillis par Olivier Francey
Interview. Gilles Pache, directeur des programmes de la RTS, estime que les téléspectateurs seraient les premiers touchés par une réduction des budgets du service public.
Faut-il voir une manœuvre politique de la RTS dans le fait qu’elle publie ses coûts de production, étant donné les résultats très serrés de la votation sur la LRTV?
Non, je ne crois pas qu’il faille le voir comme cela. Il y a une tendance générale aujourd’hui à être plus transparent et la RTS ne l’ignore pas. Il est normal et pertinent de décrire notre manière de fonctionner, d’expliquer comment les décisions sont prises et comment l’argent dont nous disposons est dépensé. En particulier lorsqu’il s’agit d’argent public.
Vous parlez de transparence, or vos chiffres sont lacunaires: aucune donnée sur le nombre de collaborateurs nécessaires, fréquence des émissions pas toujours disponible, aucune audience des programmes, aucune indication non plus sur les moyens techniques engagés. Votre opération n’est-elle pas avant tout publicitaire?
Non. D’abord parce que le nombre de personnes engagées sur la production d’un programme n’est pas très pertinent. Certaines émissions nécessitent beaucoup de collaborateurs mais sur une courte période, alors que d’autres ont besoin de moins de personnel mais sur une durée plus longue. Le même raisonnement s’applique aux moyens techniques. Les audiences, elles, ne sont pas non plus secrètes, nous les publions régulièrement. Quant à la fréquence des émissions, nous n’avons pas de volonté de cacher cette information qui est disponible sur le site internet des émissions.
Les chiffres que vous publiez ne disent rien de l’aspect qualitatif des contenus. N’est-ce pas problématique pour juger du coût «réel» d’une émission?
Est-ce vraiment à moi de juger? (Rire.) Il est vrai que nous ne publions pas spontanément ces informations. Mais nous disposons en interne d’un processus de qualité mené par les professionnels. De plus nous commandons régulièrement des études qualitatives avec des échantillons de public et, enfin, chaque mois le Conseil du public de la RTS procède à une critique générale des émissions.
Cela étant dit, comment définir la qualité? Elle se décline sous différentes formes. Passe-moi les jumelles est un programme haut de gamme, plutôt «papier glacé», contemplatif. Pour d’autres émissions, en revanche, la qualité se trouve ailleurs, par exemple dans le temps que l’on accorde aux journalistes pour approfondir un sujet et mener des enquêtes solides et rigoureuses.
Comment expliquez-vous que le prix moyen de vos émissions par minute dépasse tous vos concurrents?
Encore une fois, le but n’était pas de nous comparer à la SRF ou à la RSI. Mais je constate que si vous prenez des émissions qui jouent le même rôle dans nos grilles respectives, les coûts sont à peu près équivalents. Et la différence de coût par minute entre ces programmes s’explique notamment par leur durée ou par le ratio entre les minutes de plateau et de reportage. Pour vous répondre, je ne crois pas que l’on puisse constater une différence de prix significative entre les chaînes.
Comment justifier le fait que le budget global de la RTS divisé par le nombre de téléspectateurs soit deux fois plus élevé que celui de la SRF?
C’est assez simple. La concession octroyée par le Conseil fédéral stipule qu’un service commun doit être offert dans toutes les régions. Vous pouvez dire exactement la même chose avec les cars postaux ou les trains. Le coût par passager de celui qui part vers la vallée de Joux avec 100 personnes à bord est plus élevé que celui qui fait la navette entre Genève et Lausanne avec des milliers de personnes à bord. A titre personnel, je trouve que c’est aussi ce qui fait la force de la Suisse. Cela s’appelle la solidarité confédérale, un système qui a fait ses preuves.
Les enveloppes budgétaires étant sous pression, la question du rapport coût/bénéfice va devenir de plus en plus brûlante. La RTS va-t-elle réduire qualitativement ses contenus?
Notre réflexion n’est pas de réduire la qualité de nos programmes mais de voir à chaque fois si notre manière de produire est optimale. Mais quand vous êtes en concurrence directe avec les machines puissantes que sont TF1, M6 et France Télévisions, vous êtes contraint de mettre des moyens importants dans les programmes si vous voulez soutenir la comparaison. On dit parfois de nous que nous sommes un mammouth, or nous sommes un nain au niveau européen.
Et si vous étiez contraints de devoir fonctionner avec moins d’argent?
Il y aurait plusieurs leviers sur lesquels nous pourrions agir: diminuer les coûts de production, développer des partenariats avec d’autres ou réduire le périmètre de l’offre des prestations. Le jour où les adversaires du service public obtiendront une diminution de son enveloppe budgétaire, je pense que ce sont les téléspectateurs qui en feront les frais.
Pourquoi?
Il suffit de prendre un exemple très simple, comme celui du téléspectateur qui veut regarder un match de foot à 3 francs et louer un film à 6 francs chaque semaine. A la fin de l’année, sa facture sera plus importante que ce qu’il paie aujourd’hui pour la redevance. Une redevance qui lui donne accès à 7 programmes de TV et à 17 chaînes de radio en 4 langues. Et, au-delà des chiffres, vous pouvez être certain que les minorités n’auront plus beaucoup de programmes qui parlent d’elles.
Aujourd’hui, La puce à l’oreille est une émission itinérante, qui sillonne la Suisse romande. Nous pourrions aussi nous contenter de la réaliser en studio depuis Genève. Autre exemple: si la RTS ne produisait plus de séries de fiction – qui sont écrites, tournées et réalisées en Suisse romande – qui le ferait à sa place? Personne! Ceux qui veulent réduire les coûts tout en espérant que la diversité et la qualité seront préservées sont des naïfs.