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L’opaque opération de transparence de la SSR

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:52

Olivier Francey

Enquête. S’inspirant d’un exercice de transparence de la chaîne allemande ZDF, la SSR a publié le coût de ses émissions. Notre enquête montre pourquoi les chiffres dévoilés ne disent rien de l’efficacité du service public et ne permettent qu’une comparaison très partielle entre les différentes chaînes nationales.

Plus de transparence pour enfin pouvoir mesurer l’efficacité de la SSR? Voire – allez, soyons fous – pour permettre la comparaison des coûts des programmes du service public avec ceux du secteur privé? En déposant une motion à ce dessein, trois jours après un scrutin qui a vu les électeurs suisses s’écharper autour de la question du mandat mais surtout de la place de la SSR dans le paysage médiatique suisse, le conseiller national bernois Christian Wasserfallen espérait voir ce doux rêve devenir réalité.

Cet espoir ne s’est pas éteint, le Conseil fédéral ayant recommandé deux mois plus tard l’adoption du texte, rappelant par la même occasion que la SSR s’est spontanément engagée à publier «des informations sur ses émissions, […] au-delà de ses obligations légales». Sur ce point, le service public a tenu parole. A la fin de l’année, la Schweizer Radio und Fernsehen (SRF) dévoile le prix de certaines de ses émissions, suivie dans cette pieuse opération de transparence* par ses petites sœurs, la RSI et la RTS. C’est ainsi que le Conseil fédéral put se déclarer satisfait, que le parlementaire bernois put se déclarer satisfait et que la SSR put se déclarer satisfaite.

Emporté par cette euphorie, L’Hebdo a souhaité lui aussi se plonger dans ce bain de transparence en agrégeant tous les chiffres publiés par les trois chaînes nationales, sur le modèle de la chaîne allemande ZDF, première et unique télévision publique européenne à lever (un peu) le voile sur le prix de ses programmes. Et l’analyse est sévère: en l’absence de données solides, et à quelques exceptions près, rien ne permet aujourd’hui de comparer les coûts de production entre les antennes romande, alémanique et tessinoise du service public. Pas plus qu’il n’est possible de les comparer avec le secteur privé ou la ZDF. Explications.

Des données lacunaires

La motion de Christian Wasserfallen – désormais adoptée depuis le 14 juin 2016 par les deux Chambres – stipule que le Conseil fédéral «exigera l’établissement d’une comptabilité analytique complète et transparente par émission, par domaine et par chaîne». Ces conditions sont-elles remplies? Pas vraiment.

D’abord, les coûts des programmes n’ont pas été publiés exhaustivement. A titre d’exemple, la RTS ne révèle pas les prix de ses émissions de divertissement (Les coups de cœur d’Alain Morisod, Générations!, Un air de famille), préférant donner une fourchette de prix, soit «de 225 000 à 340 000 fr. par édition». Concernant le coût de l’information télévisuelle, les trois chaînes nationales ne publient que des enveloppes globales, arguant de la quasi-impossibilité de chiffrer un montant par programme.

Une difficulté qui s’explique par le nombre de collaborateurs qui participent le plus souvent de manière fragmentée à la production d’une émission (journaliste, caméraman, ingénieur du son, monteur, recherchiste, étalonneur, programmateur musical, etc.). L’absence de données détaillées est encore plus vaste pour les chaînes de radio, qui font appel peu ou prou au même argumentaire. Elles ne divulguent donc qu’une enveloppe budgétaire globale, sans qu’aucun coût des émissions soit indiqué.

En matière de transparence, il faudra donc se résoudre à l’opacité la plus totale. Parfois, ce sont les fréquences des programmes ou leur durée qui sont absentes des publications de la SSR. Toujours à titre d’exemple, seules deux émissions d’information sur les cinq affichées sur le site de la RSI comportent des indications temporelles. Si le service public ne renâcle pas à divulguer ces informations – nous les avons facilement obtenues auprès de la RTS –, rien ne permet au téléspectateur lambda de se forger un avis critique sur le véritable coût d’une émission et de juger, le cas échéant, de sa cherté.

Dommage, car c’est un critère pertinent pour expliquer, par exemple, le prix plus élevé d’une poignée de programmes (Les coulisses de l’événement, Specimen, C’était mieux avant) par rapport aux émissions hebdomadaires dont les investissements sont rentabilisés sur l’année. Autre donnée manquante mais néanmoins cruciale pour relativiser la cherté d’un programme: son prix par minute. Si l’émission hebdomadaire Toutes taxes comprises coûte presque deux fois moins cher que Mise au point (70 000 contre 120 000 fr.), le programme économique dure deux fois moins longtemps (27 contre 50 minutes), de quoi faire grimper son coût par minute à 2593 fr., soit légèrement plus que Mise au point.

Champions toutes catégories des programmes les plus onéreux par minute? Les coulisses de l’événement (4167 fr.) et Specimen (4583 fr.). Ces montants très élevés – en comparaison d’une émission comme Infrarouge, qui coûte 750 fr. par minute – ne s’expliquent pas uniquement en fonction de leur faible fréquence de diffusion mais aussi par l’intégration de reportages ou d’enquêtes dans ces programmes.

Alors, onéreux ou pas?

En considérant le coût par minute des émissions d’information et de société, labellisées comme telles par les trois chaînes nationales, la RTS emporte la première place (3295 fr./min), suivie par la SRF (2389 fr./min) puis par la RSI (1579 fr./min). Or, là encore, cette comparaison demeure biaisée, chaque télévision choisissant elle-même la présence ou non d’un programme dans cette catégorie. En clair, la RTS aurait pu décider de son propre chef de ne pas communiquer le coût de ses émissions les plus onéreuses et ainsi diminuer le prix à la minute de ses programmes. Mais les absents notoires de l’opération «transparence» de la SSR se révèlent être les données qualitatives des émissions et de leurs audiences respectives (que le service public semble délivrer à celui qui a pris la peine de les lui demander). Ce sont pourtant des critères suffisamment importants pour autoriser, une fois n’est pas coutume, l’ouverture d’un vrai débat sur le ratio coût/bénéfice des programmes du service public. Sans cela, impossible de remettre en question, par exemple, la pertinence de la présence à l’antenne de l’émission politique Infrarouge, un programme qui réalise de faibles audiences (43 000 spectateurs, 13,1% de part de marché) mais qui coûte peu (45 000 fr.) en regard de l’émission la plus chère de la RTS (Specimen, 275 000 fr.), qui emporte 29,8% de part de marché (165 000 spectateurs). «Halte au SSR bashing», militait Gilles Marchand dans les colonnes du Temps en juin 2015. Pour cela, le service public devrait pousser la transparence à l’excès. Faute de quoi, les fantasmes de ses adversaires continueront à être nourris. A juste titre. 

http://rg.srgssr.ch/fr/2015/service-public/couts-des-emissions-de-radio-et-de-television


Trois critères pour juger les programmes de la RTS

Si l’audience réalisée par les programmes de la RTS ne peut être considérée comme le critère qualitatif absolu, il n’en demeure pas moins le reflet de la satisfaction du téléspectateur du service public. Tout comme le rapport entre le coût d’une émission et son audience peut être un indicateur pertinent lorsqu’il s’agit de décider de la survie ou de la suppression d’une émission.

Pour compléter cette tentative de mesurer l’opportunité de diffusion d’un programme, L’Hebdo a lancé un sondage en ligne portant sur la capacité de ces mêmes programmes à répondre à la mission du service public, telle que les internautes l’imaginent. Une seule réponse par adresse IP a été retenue, 54 provenant de celle de la RTS ont été écartées. Au final, 330 réponses ont été prises en compte. 


Cette poignée d’émissions comparables

Comparer ce qui est comparable? Poser la question, c’est y répondre. La nature hétérogène d’une grande partie des programmes produits par les trois chaînes nationales (SRF, RTS, RSI) exclut toute tentative sérieuse de comparaison des coûts de production.

Cela s’explique notamment par le type de production retenu (propre, externe ou coproduction; en studio ou en extérieur; direct ou émission préproduite), par le temps nécessaire à sa réalisation (temps de planification et de recherche; complexité de la matière et de l’émission elle-même) ou encore par la durée et la fréquence du programme. Néanmoins, une poignée d’entre eux – par leur format similaire – autorise une telle comparaison. Laquelle ne révèle pas de différence significative de prix entre les programmes selon qu’ils sont produits par une chaîne alémanique, romande ou tessinoise. 

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