Henriette Kuhrt
Portrait. Elle s’est fait une célébrité avec ses poses lascives. Elle ne s’intéresse nullement à la politique. Si l’idée de voir Donald Trump à la Maison Blanche vous inquiète, c’est que vous ne connaissez pas encore son épouse, Melania.
Depuis la nuit des temps, l’humanité se demande comment faire pour qu’une relation conjugale dure à tout jamais. Melania Trump, elle, a une réponse: «A chacun sa salle de bain!» Bien trouvé. Du moins lorsque le conjoint s’appelle Donald Trump, 69 ans, et qu’il est connu pour formuler ses opinions d’une manière, disons, abrupte: «Ce que j’aime chez Melania, c’est que je ne l’ai encore jamais entendue péter.» Car avec sa précédente épouse Ivana, c’était tout différent: «Elle avait une digestion très animée.» (A vrai dire, dans cette interview à la radio avec l’animateur Howard Stern, Trump utilisait un vocabulaire moins gracieux, que la décence nous interdit de traduire.)
Mais la déclaration d’amour à sa troisième épouse est encore plus éloquente. Howard Stern, connu pour ses interviews sans complexe, demande à Donald Trump comment il se comporterait si Melania avait un grave accident, si par exemple elle perdait un bras ou était défigurée – ce qu’à Dieu ne plaise, bien sûr. Dans cette hypothèse, resterait-il auprès d’elle? «Et les seins?» demande Trump. «Les seins seraient intacts», réplique Stern. «Alors oui, je resterais avec Melania, car les seins sont très importants.»
De ces propos, Melania, 46 ans, ne se formalise pas, ce n’est pas son genre. Elle prend son homme tel qu’il est. «Bien sûr, je lui donne mon opinion. Parfois, il l’accepte, parfois pas. Mais je ne suis pas le genre de femme à ergoter sans cesse et à suggérer à mon mari des solutions pour qu’il s’améliore. Je ne lui dis pas: fais ci, fais ça.» Donald Trump apprécie cette réserve: «Vous savez, disait-il dans un talk-show, je travaille dur toute la journée. Du coup, lorsque je rentre à la maison, je ne veux pas travailler en plus sur notre relation.»
Outre cette indéniable qualité de tolérance, Melania en a une autre: elle n’abuse pas de la carte de crédit de son mari, connu pour être un dur à cuire quand il s’agit de négocier des prix et qui ne manque pas de rappeler qu’il a eu à moitié prix l’alliance à 3 millions de dollars de sa femme. «Je gagne moi-même beaucoup d’argent, explique Melania avec son accent légèrement roucoulant d’Europe de l’Est. Mon éducation ne m’a pas habituée à acheter des choses simplement parce qu’elles sont à la mode, puis à les oublier dans l’armoire.»
Reste qu’il est difficile de brosser un portrait précis de Melania Trump. Lors de la campagne électorale de son mari, elle restait ostensiblement à l’arrière-plan ou était absente. C’est plutôt Ivanka, 34 ans, la fille qu’il a eue avec sa deuxième épouse, Ivana, que l’on voyait à son côté. La tâche de cette entrepreneure et mère de trois enfants est de rendre «The Donald» plus attrayant aux yeux de l’électorat féminin, de lisser ses propos de corps de garde et de diffuser l’intelligence émotionnelle dont il est dépourvu. Melania ne saurait pas le faire: «Mon mari fait de la politique, moi pas.»
Elle a sans doute des opinions mais ne les partage qu’avec lui. Les rares fois où elle s’est résolue à soutenir son mari en campagne, elle s’est contentée de prendre le micro: «Bonsoir. N’est-il pas le meilleur? Il sera le meilleur président de tous les temps. Nous vous aimons.» Point.
Il faut aller sur son site, Melaniatrump.com, pour apprendre comment la Slovène de naissance se considère: un mannequin à succès qui a travaillé avec les plus grands photographes pour les meilleurs magazines; des études d’architecture et de design en Slovénie; une carrière de mannequin dès 1996 aux Etats-Unis; de l’intérêt pour l’art, l’architecture, la mode et la beauté; une notable inclination pour son prochain défavorisé, qu’elle met en œuvre au fil d’innombrables événements charitables. La «beauty» aux yeux turquoise serait une infatigable philanthrope, mère d’un fils, créatrice de bijoux à succès et icône reconnue dans son domaine.
Cette autodescription concorde avec le peu que l’on sait d’elle et qu’elle répète comme une litanie. Du genre: «Je regarde les nouvelles de A à Z.» Ou: «Pour ma ligne de bijoux, j’ai été impliquée dans le développement de A à Z.» A la maison, la répartition des rôles est traditionnelle, elle s’occupe seule de son fils de 10 ans, «de A à Z». Les journalistes slovènes Bojan Pozar et Igor Omerza ont écrit une biographie de Melania Trump. On en apprend davantage sur l’enfance en Yougoslavie de celle qui se nommait alors Melanija Knavs.
À l’image du père
Melania est décrite comme une fillette calme, équilibrée, grande, mince, élève moyenne, s’intéressant déjà à la mode et à la beauté. Elle se montre suffisamment assidue pour être admise au difficile examen d’entrée à l’Université de Ljubljana. Sa famille n’appartient pas à la nomenklatura communiste: son père Viktor travaille comme chauffeur du maire de la ville voisine, puis il vend des voitures. Ce qui frappe chez lui, c’est qu’il ressemble comme un frère à son futur gendre, Donald Trump. Tous deux sont grands et costauds, ont des cheveux d’un blond voyant et affectionnent les costumes bien coupés.
Ils sont tous deux de caractère jovial, ils sont acharnés au travail, ils ont œuvré avec succès dans l’immobilier et ils aiment les femmes. En Yougoslavie, Viktor Knavs avait réussi à construire une maison pour sa famille et il était un des rares à rouler en Mercedes.
Amalija, la maman, travaillait comme couturière et modéliste dans une fabrique de textile et put ainsi vêtir ses filles Ines et Melanija de vêtements à la mode. Après que Melania eut remporté à 22 ans la deuxième place du concours de beauté slovène Look of the Year, elle fut adressée à une agence de mannequins de Vienne. Là aussi, ses camarades la décrivent comme réservée, tellement que cela aurait même nui à sa carrière. En tout cas, son agent de l’époque, l’Autrichien Wolfgang Schwarz, se montre peu enthousiasmé par la jeune beauté slovène: «Elle était plutôt candide et un peu paralysée devant l’objectif. Il était vraiment difficile de travailler avec elle. D’ailleurs, elle avait peu de succès et ne faisait pas partie des top-modèles européens.»
Elle menait d’ailleurs une vie de nonne: pas de fêtes, pas de drogue, pas d’aventures. Mais sa vie changea de façon radicale lorsqu’elle fit la connaissance de Donald Trump en 1998, lors d’une réception à la Fashion Week de New York. Trump avait 52 ans, Melania Knauss – elle avait rendu son patronyme plus prononçable – en avait 28. Trump était accompagné d’une femme mais, lorsqu’il vit Melania, il fut ébloui. Il profita de ce que sa partenaire disparut un instant aux toilettes pour demander à Melania son numéro de téléphone. Elle, connaissant sa réputation de dragueur, demeura sur la réserve et lui demanda plutôt le sien.
«Un test. S’il ne m’avait donné que ses numéros professionnels, je ne l’aurais jamais appelé. Mais il m’a fourni tous ses numéros.» Elle attendit une semaine avant de l’appeler et, peu après, ils formaient un couple.
Que pouvait-elle bien lui trouver? Deux milliards de dollars et un taux de cholestérol élevé, ricanent les mauvaises langues. Ou la protection et le pouvoir d’un homme fort, d’une figure paternelle, comme le pensent d’anciens amis de Ljubljana. Il y eut quelques séparations, puis un happy end sous la forme de fiançailles, puis un mariage fastueux dans la propriété de Trump à Mar-a-Lago, en Floride. La promise portait une robe Dior à 100 000 dollars, les Clinton, Rudy Giuliani, Heidi Klum, Arnold Schwarzenegger étaient de la partie. Hormis les sempiternelles plaisanteries déplacées de Donald Trump sur les femmes en général et Melania en particulier, il n’y eut pas de scandales et le couple semble bien s’entendre.
Melania a pris la citoyenneté américaine en 2006. Elle vit retirée dans leur attique de trois étages à 100 millions de dollars, au sommet de la Trump Tower. La décoration est une divagation rococo inspirée de Versailles, avec des plafonds peints, des angelots et du stuc dorés, des pilastres, des lustres, des fauteuils Louis XV, des copies de vases antiques, un vrai Renoir et une porte d’entrée sertie de brillants. Le règlement de maison exige que les visiteurs portent des chaussons par-dessus leurs chaussures, afin de ne pas griffer le sol de marbre. Dans l’ensemble, on dirait que les Trump ont embauché le même décorateur que Saddam Hussein.
En bikini, menottes aux poignets
Aux côtés de Donald Trump, la carrière de Melania n’est plus celle d’un mannequin mais d’une people: elle n’est plus un modèle parmi d’autres mais une personnalité, une VIP, l’épouse de. Un statut analogue à celui de Paris Hilton ou de Kim Kardashian, qui sont célèbres parce qu’elles sont célèbres. Du coup, les grands magazines, y compris Harper’s Bazaar et Vogue, s’intéressent à elle, mais moins pour de la présentation de mode. Le magazine masculin GQ la photographie en tenue d’Eve sur une fourrure d’ours blanc; elle pose en bikini et menottes aux poignets dans le jet privé de son mari.
Tout cela est bon pour le marketing maison: Donald Trump explique sans qu’on le lui demande à quel rythme ils font l’amour («une fois par jour»), on entend Melania s’écrier au téléphone qu’elle est toute nue, son compte Twitter affiche des photos de son slip de bikini ou de son corps couvert d’un maillot de bain léopard, adressées à @realdonaldtrump: «Honey, see you soon!»
Il est clair que, pour Donald Trump, il peut être réjouissant d’avoir une femme pas gonflante et dépourvue de cellulite qui comble ses besoins sexuels. Mais être une First Lady est plus problématique. Car le fait qu’elle n’éprouve visiblement aucun intérêt pour la politique pèse lourd dans la balance. Si son côté sexy peut être un atout dans le métier de mannequin, dans d’autres circonstances on pourrait la juger futile, superficielle. Un mannequin n’a pas besoin de personnalité, ses habits font son identité. En revanche, l’apparence d’une première dame joue aussi un rôle diplomatique, elle reflète le comportement du gouvernement.
Dans son livre Femmes d’influence – Comment le pouvoir secret des premières dames américaines a fait basculer l’Histoire (Editions Tchou, 2010), l’auteure américaine Kati Marton a analysé la fonction des épouses de présidents et constaté: «Aucun homme au monde n’a un besoin aussi urgent d’une partenaire forte que le président. Il vit isolé dans un cocon, de sorte que la personne qu’il voit en premier le matin et en dernier le soir a une importance cruciale.»
Aux yeux de Kati Marton, le job de président des Etats-Unis est un emploi en tandem pour lequel un conjoint futé et bien informé est incontournable. Il constitue un des rares garde-fous; il est en position de le mettre en garde s’il se comporte comme un idiot. «Le couple présidentiel est un modèle et la First Lady devient un élément du folklore national qui réplique un certain style de vie. Chaque couple présidentiel nous enseigne quelque chose sur l’histoire et l’importance que la femme y prend.»
Que nous enseignerait Melania Trump sur l’importance des femmes? Qu’il n’est pas nécessaire de s’initier aux problèmes politiques; qu’il suffit d’être une jolie vacuité? Ou pire: que Paris Hilton et la famille Kardashian ont ouvert la voie afin que la «sexytude», la richesse et les fondus d’Instagram ne soient plus le mètre étalon pour les starlettes seulement, mais aussi pour les hôtes de la Maison Blanche? Qu’il importe peu qu’une femme soit égocentrique, vaine, frivole et ignorante tant qu’elle a de l’allure en bikini?
Ces arrangements avec la vérité
Les 600 000 «amis» de Melania Trump sur Facebook sont persuadés qu’elle serait une formidable représentante des Etats-Unis. Ils voient en elle une super-femme glamour, en jet privé, à la plage, au régime sans hydrates de carbone, avec de super-phrases du genre: «Ciao, je pars pour ma résidence d’été à la campagne pour le week-end.» De son côté, Donald Trump n’a évidemment pas de doutes: elle ferait une première dame exceptionnelle. «Elle a un cœur immense et la question de la santé des femmes lui importe beaucoup», a-t-il expliqué à la chaîne TV ABC.
Donald Trump est connu pour prendre des libertés avec la vérité. Apparemment Melania aussi. A l’Université de Ljubljana, nul n’a vu son travail de diplôme et les professeurs ne se rappellent pas d’elle. Comme mannequin, elle n’a guère eu de succès en Europe. Ce n’est que lorsqu’elle est devenue l’amie de Trump qu’elle a été très demandée, notamment pour des photos glamours dans des magazines masculins. Son ex-agent à Vienne ne peut pas confirmer qu’elle parle allemand comme elle l’assure. Elle enjolive même le CV de sa mère: selon elle, la modeste couturière en usine était une créatrice de mode.
© NZZ am Sonntag
Traduction et adaptation Gian Pozzy