Décryptage. Après le Brexit, un accord avec l’Union européenne sur la libre circulation des personnes est devenu improbable. Passage en revue des trois principaux scénarios.
Quelle image retenir? Celle d’un président de la Confédération affichant une mine d’enterrement en «prenant acte» du Brexit le 24 juin? Ou celle d’un Johann Schneider-Ammann requinqué, dévoilant deux jours plus tard son plan pour arracher à l’Union européenne son accord sur la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse? Une semaine après le choc historique, la situation reste chaotique à Bruxelles et il est difficile de dire dans quelle mesure le Brexit affectera la Suisse.
Mais les plus réalistes ne cachent pas leur inquiétude. «La situation est grave. Il faudra au moins deux ans pour clarifier la relation entre l’UE et la Grande-Bretagne et pour retrouver une stabilité politique et économique», déclare Katja Gentinetta, philosophe et auteure d’études sur l’avenir de la Suisse en Europe.
Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, le processus de dialogue entre Berne et Bruxelles n’a pas été interrompu pour s’entendre sur l’explosive question de la libre circulation des personnes (LCP). Ce lundi 27 juin, le négociateur helvétique en chef, le secrétaire d’Etat Jacques de Watteville, a pu rencontrer son homologue européen, Christian Leffler, et même Richard Szostak, le chef de cabinet du président de la Commission, Jean-Claude Juncker.
Mais aucun calendrier n’a pu être établi. Et le fait que la Grande-Bretagne ne soit pas pressée de quitter l’UE complique encore la donne, car elle pourrait inciter Bruxelles à geler le dossier suisse. Dans cette hypothèse, la Suisse a beaucoup à perdre: à court terme, sa participation en tant que membre à part entière au programme de recherche Horizon 2020, et tout le régime du bilatéralisme à plus long terme.
Si ce scénario du pire n’est pas certain, le secret espoir caressé par la Suisse de trouver cet été encore une solution concertée avec l’UE pour mettre en œuvre l’initiative contre l’immigration de masse s’est cependant envolé définitivement. L’UE a désormais d’autres priorités que de s’occuper des problèmes d’un pays tiers, d’ailleurs très prospère. La Suisse devra probablement se débrouiller seule tout en veillant à ne pas froisser l’Europe sur deux points tabous pour elle: les contingents et la préférence nationale. Voici les trois scénarios les plus plausibles.
1. La solution concertée
Une solution agréée par l’UE reste le plan A du Conseil fédéral. Reste à savoir laquelle, car cette question déchire le gouvernement. Dans une interview accordée à la SonntagsZeitung dimanche 25 juin, Johann Schneider-Ammann a déclaré privilégier le modèle développé par l’ancien secrétaire d’Etat Michael Ambühl: une clause de sauvegarde qui serait déclenchée uniquement en cas de problèmes survenant dans certaines régions ou branches économiques. Dans cette hypothèse, la Suisse pourrait prendre des mesures ponctuelles pour limiter l’immigration.
Ce modèle recueille l’appui de l’association faîtière Economiesuisse ainsi que celui du centre droit, du PDC au PBD en passant par le PLR. «Une telle clause de sauvegarde va dans la bonne direction, car elle ne constitue par une attaque frontale contre l’accord sur la libre circulation des personnes que nous avons passé avec l’UE», veut croire le président du PDC, Gerhard Pfister. Quant à son homologue du PLR, Petra Gössi, elle ajoute: «Le plus important est de ne pas inclure dans cette clause de chiffre précis sur un plafonnement de contingents.»
Cela dit, Johann Schneider-Ammann a tout de même surpris ses collègues en donnant sa préférence à ce modèle, car le Conseil fédéral n’en a pas encore fait «sa» solution. Ainsi, Simonetta Sommaruga ne le soutient pas: dans une note, l’Office fédéral de la justice l’estime incompatible avec l’accord sur la LCP. Didier Burkhalter est aussi réservé, trouvant ce modèle peu libéral et compliqué à mettre en œuvre.
En tant qu’observatrice attentive de l’évolution du dossier, Katja Gentinetta reconnaît que la clause imaginée par Michael Ambühl est jusqu’ici «la meilleure idée» pour mettre en œuvre l’initiative de l’UDC. Mais elle reste dubitative sur l’avenir de la relation entre l’UE et la Suisse. «Sur le fond, il demeure impossible de concilier le principe de la LCP, intangible pour l’UE, et les contingents désormais ancrés dans la Constitution suisse, ce qui met en danger la voie bilatérale.»
2. Le plan B, la clause unilatérale
En cas d’absence d’accord avec l’UE, le Conseil fédéral a déjà présenté son plan B le 4 mars dernier: une clause unilatérale de sauvegarde respectant la teneur du nouvel article 121a de la Constitution. «Lorsqu’un certain seuil d’immigration sera dépassé, le gouvernement devra fixer des nombres maximaux annuels», a-t-il proposé au Parlement. Tout en précisant qu’il tiendra aussi compte «des intérêts économiques globaux de la Suisse».
L’UDC applaudirait des deux mains. Elle n’a jamais compris que le Conseil fédéral ait perdu tant de temps dans de «vaines palabres» avec Bruxelles. «Si l’UE n’a pas été prête à négocier durant deux ans, elle ne fera pas de concessions pour la Suisse en trois mois», relève son président, Albert Rösti. «C’est désormais au Parlement de réviser la loi sur les étrangers de manière unilatérale», renchérit-il.
3. Le contre-projet à l’initiative RASA
L’an dernier, un mouvement de citoyens a fait aboutir en six mois l’initiative «Pour sortir de l’impasse» (RASA, selon son acronyme en allemand). Son seul objectif: biffer le nouvel article constitutionnel issu de la votation du 9 février 2014. Mais sa démarche ne se veut qu’un autre plan B. Son message: «A vous, les élus, de présenter un meilleur contre-projet.»
C’est cette piste que privilégient le Parti socialiste et les Verts. Pour le chef de groupe du PS aux Chambres fédérales, Roger Nordmann, le Parlement a jusqu’au 16 décembre 2016, dernier jour de la session d’hiver, pour approuver une double modification constitutionnelle: d’une part biffer le délai de trois ans pour mettre en œuvre l’initiative de l’UDC et, d’autre part, ajouter un alinéa permettant de déroger à l’introduction de contingents. «Après le Brexit, il est naïf de croire que la Suisse obtiendra rapidement des concessions de l’UE. Celle-ci va d’abord régler le cas de la Grande-Bretagne et ensuite seulement le problème avec la Suisse.»
Dès lors, c’est à la Suisse de «faire ses devoirs», comme le souligne la présidente des Verts, Regula Rytz. C’est-à-dire mettre en place des politiques afin de renforcer la formation continue, concilier vie professionnelle et familiale, de même que renforcer les mesures d’accompagnement à la LCP pour lutter contre le dumping salarial.
Un nouveau vote sera inévitable, mais Roger Nordmann se veut confiant. «Tous les sondages ont montré que les Suisses tenaient au maintien de la voie bilatérale avec l’UE.»