Sébastien Dubas
Politicien (1845-1928). Après avoir accédé au Conseil fédéral pour rétablir l’unité du pays, il obtient que la Suisse participe à la Société des Nations tout en conservant sa neutralité. Puis, grâce à son engagement, l’organisation installe son siège à Genève.
Gustave Ador résonne de manière familière aux oreilles des Genevois habitués à se promener sur les rives du Léman. Pourtant, peu savent qui est cet homme dont le plus beau quai de la ville porte le nom.
La dernière fois que la question fut posée, c’était en 1995, pour les 150 ans de sa naissance: 42% des jeunes interrogés avaient misé sur un médecin, 23% sur un pasteur. Seulement 35% d’entre eux avaient choisi l’homme politique.
Or Gustave Ador était avant tout un homme politique, un vrai. Avant de devenir un héros national unanimement salué, il fut un membre éminent du Parti démocrate – qui deviendra plus tard le Parti libéral. Il comptait à ce titre de nombreux adversaires, à Genève comme de l’autre côté de la Sarine.
On lui reprocha d’être à la solde des plus aisés ou des Français, d’avoir interdit l’absinthe et défendu les catholiques. On l’accusa surtout, en 1902, d’avoir accepté la Légion d’honneur pour son rôle de commissaire à l’Exposition universelle de Paris. Refusant de céder aux pressions, il préféra démissionner de son poste de président du Conseil national que de rendre la médaille.
Avant de siéger à Berne, Gustave Ador a fait ses gammes chez lui, à Genève. Fils de bonne famille protestante, il s’est très vite tourné vers la politique après des études de lettres et de droit: conseiller municipal à Cologny en 1870, Grand Conseil et, enfin, président du Conseil d’Etat. On se souvient de lui pour avoir géré d’une main de fer les finances du canton à la fin du XIXe siècle.
De nature conciliante, le patriarche – père de cinq filles et d’un garçon – amateur de chasse et de cigares est pressenti à plusieurs reprises pour accéder au Conseil fédéral. C’est finalement l’affaire Grimm-Hoffmann en 1917 qui va le propulser au sommet. Malgré son âge (72 ans), il s’impose comme le candidat naturel pour rétablir l’unité du pays et succéder à Arthur Hoffmann, soupçonné de s’être entremis en secret pour favoriser une paix séparée entre l’Allemagne et la Russie.
Gustave Ador va déployer une intense activité diplomatique durant les deux ans et demi de son mandat. Grâce à ses liens avec la France et les Etats-Unis, il obtient que la Suisse participe à la Société des Nations (SDN) tout en gardant sa neutralité. Il contribue surtout à ce que l’organisation installe son siège à Genève, en 1919. «C’est à partir de là qu’il est devenu un héros national intouchable», souligne l’historien Bernard Lescaze.
Fin 1919, Gustave Ador quitte le Conseil fédéral avec l’impression du devoir accompli. Il va désormais se consacrer au CICR, dont il est aussi le président depuis 1910 (il a succédé à son oncle, Gustave Moynier). C’est sous sa férule que l’institution a pris une envergure mondiale, notamment avec la création de l’Agence internationale des prisonniers de guerre. Une action extraordinaire qui vaut au CICR de recevoir le prix Nobel de la paix en 1917.
«La Suisse lui doit beaucoup, souligne Pierre Maudet, conseiller d’Etat genevois. A l’heure des négociations avec l’Union européenne à la suite du vote du 9 février 2014, elle aurait besoin d’un homme de sa trempe, lui qui a su faire passer les intérêts du pays avant les siens.»
Gustave Ador finit par rendre les armes en 1928. S’ensuivent des funérailles nationales et, cinq ans plus tard, le changement de nom pour le quai des Eaux-Vives. Un quai qui fait face à la SDN et mène à Cologny. Un quai, surtout, qui lui permettra de ne jamais sombrer dans l’oubli.
En savoir plus
➤ En 1933, le Conseil administratif de la ville de Genève décide à l’unanimité de «rendre hommage à la mémoire du grand citoyen que fut Gustave Ador» et de renommer le quai des Eaux-Vives.
➤ En 1995, le Comité Gustave Ador a organisé un colloque dédié à l’homme politique genevois. Un ouvrage, «Gustave Ador, 58 ans d’enga-gement politique et humanitaire», en a été tiré.
➤ En mai 2017 sera célébré le centième anniversaire de l’attribution du prix Nobel de la paix au CICR. La Fondation Gustave Ador prépare à ce titre plusieurs manifestations. Davantage d’informations sur www.ador.ch