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Jean-Marie Cavada: «Les Européens veulent une Europe qui les protège pour peser dans le monde»

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 05:52

Interview. Pour Jean-Marie Cavada, député européen, une Union à deux vitesses pourrait répondre aux préoccupations des Européens. D’un côté l’Europe des politiques régaliennes, de l’autre le marché unique auquel la Suisse pourrait s’associer.

Au sujet du Brexit, Jean-Marie Cavada a des mots très durs contre David Cameron, qu’il accuse d’avoir instrumentalisé le référendum. Mais s’il déplore les dégâts considérables que le scrutin du 23 juin dernier a causés de part et d’autre de la Manche, il veut croire que cette page noire de l’Europe peut être l’occasion d’un sursaut.

David Cameron, Boris Johnson, Nigel Farage, les démissions se multiplient au Royaume-Uni. La classe politique est-elle la première victime du Brexit?

Cette séquence politique est proprement stupéfiante dans l’histoire britannique et européenne. On assiste à la fuite des couards, avec ces débandades en cascade. Le référendum a fait l’effet d’une bombe qui aurait manqué sa cible et dont les effets collatéraux, innombrables, laissent un pays déchiré, entre les villes et les campagnes, les jeunes et les vieux, les riches et les pauvres, l’Ecosse et l’Ulster d’un côté, l’Angleterre de l’autre. Quant aux états-majors politiques, ils sont décimés.

A cause de ce piètre premier ministre qu’a été David Cameron, qui a osé soulever une question essentielle sur l’Union européenne pour servir ses desseins de politicien, les dégâts sont considérables des deux côtés de la Manche. Je vois mal comment ils pourront dépasser leurs divisions sans aller vers des élections générales anticipées. Ces dernières seront peut-être à même de purifier un climat pourri.

Le Brexit est-il inévitable?

Les Britanniques ont voté et leur décision doit avoir des conséquences. Il ne s’agit pas de punir le Royaume-Uni, ni de le mettre en quarantaine. C’est un partenaire économique essentiel. Cependant, l’Europe doit impérativement se protéger pour éviter la contagion. Elle a touché le fond de la piscine et peut maintenant donner un coup de talon pour remonter. Pour cela, elle doit changer en tenant compte des critiques. Car si le Brexit a constitué une surprise, les frustrations et le mécontentement qui l’ont rendu possible minent le Royaume-Uni et même l’ensemble des pays européens depuis de longues années.

Réformer l’UE, en allant vers plus d’intégration?

Les conséquences à tirer vont dans deux directions. Il faut tenir compte de la volonté des peuples européens et leur offrir le choix: un cercle large qui serait le marché unique, un supermarché où le monde entier vient vendre ses produits et acheter les nôtres, ou un cercle étroit qui comprendrait un noyau dur de pays qui veulent poursuivre l’intégration. Les pays qui tiennent absolument à n’avoir de l’UE que le marché unique doivent être entendus et pouvoir le faire, selon leurs vœux. La Grande-Bretagne pourrait être concernée, la Norvège, la Suisse aussi, ainsi que des pays membres de l’UE qui rechignent à abandonner ne serait-ce qu’une part de leur souveraineté.

En quoi consisterait une Europe plus intégrée?

L’UE ne répond pas aux attentes des Européens. Son projet est désormais confus et, surtout, il est mal expliqué. Les citoyens réclament une meilleure protection de la part de leurs autorités nationales respectives: être protégés contre le danger terroriste, contre les risques économiques, contre une immigration massive. Ce sont des demandes légitimes, auxquelles l’UE peut répondre d’autant mieux si elle fait le choix d’une plus grande intégration. Cela implique que les Etats mettent ensemble en œuvre des politiques communes.

Concrètement, quels seraient ces domaines de collaboration renforcée?

Pour la sécurité, il faudrait mieux contrôler les frontières extérieures pour lutter efficacement contre l’entrée illégale dans l’UE. Cela permettrait de maintenir la libre circulation au sein de la zone Schengen. Il faudrait aussi que dans les domaines policiers et judiciaires, l’UE ait des prérogatives supplémentaires pour mieux combattre les réseaux criminels et terroristes internationaux. En ce qui concerne l’immigration, il faudrait mettre en place une vraie politique migratoire pour répondre aux besoins des entreprises. Contrairement à ce qui existe aujourd’hui, elle devrait être claire et assumée.

Dans le domaine économique, il faudrait privilégier la production européenne par des mesures incitatives coordonnées et globales grâce à un budget dédié et autonome. De même, il faudrait planifier des mesures de relance, relever les taux hypothécaires pour attirer les investisseurs. L’UE doit aussi imposer progressivement un alignement fiscal harmonisé aux entreprises, basé sur une moyenne raisonnable entre la fiscalité la plus haute et la plus basse. Elle doit encore favoriser l’échange d’informations entre les pays pour endiguer l’évasion.

Dans le domaine de la sécurité sociale, on pourrait prendre comme modèle des pays du nord de l’Europe, le Danemark par exemple, où les citoyens sont bien protégés, que ce soit s’ils se retrouvent au chômage ou s’ils sont malades. La liste n’est pas exhaustive…

Alors que l’euroscepticisme marque des points partout en Europe, comment convaincre des électeurs tentés par les promesses des partis populistes qu’une plus grande intégration européenne leur serait bénéfique?

C’est justement la mise en place d’une bonne couverture sociale et de mesures économiques incitatives qui pourront à terme réduire les poches de pauvreté. La relance économique, les mesures pour éliminer la misère et les injustices sociales, ainsi que la lutte contre l’insécurité et l’évasion fiscale coupent l’herbe sous le pied aux eurosceptiques.

Quels pays formeraient le cercle restreint?

Quatre, cinq ou six pays autour de la France et de l’Allemagne au départ, davantage par la suite. L’Italie, la Belgique et le Luxembourg doivent en être, l’Espagne aussi, plus quelques autres. A moyen terme, la Pologne devrait en faire partie aussi si elle revient des tentations nationalistes et populistes qui la traversent aujourd’hui. Si les pays du noyau arrivent à répondre aux préoccupations des citoyens, d’autres voudront les rejoindre. L’Europe des politiques régaliennes, c’est la construction d’une puissance politique qui préservera son économie, ses salariés, son poids géopolitique dans le monde. Si cela marche, il y aura beaucoup de candidats. Dans tous les cas et dès le début, l’adhésion doit se faire sur une base volontaire.

Cette Europe à deux vitesses, n’est-ce pas le début du démantèlement de l’UE?

Non, l’UE a tout à gagner à clarifier son projet. Le noyau dur sera le moteur de l’UE et le moteur fait partie de la voiture. A long terme, cet ensemble de pays constituerait une sorte de Confédération à la suisse.

La France peut-elle encore assumer un rôle majeur dans cette nouvelle construction européenne?

Oui, mais pour cela elle doit doublement relancer son leadership. A l’interne, en faisant un effort de pédagogie pour expliquer aux Français ce qu’est l’UE, en réformant la sécurité sociale et en créant le cadre pour un nouveau dialogue avec les partenaires sociaux. Ces prérequis lui permettront d’avoir une voix plus audible sur la scène européenne et d’être crédible auprès de ses partenaires pour accélérer l’intégration. Dans ces conditions, un axe Rome-Paris-Berlin pourrait constituer l’épine dorsale d’une Europe des politiques régaliennes.

N’est-ce pas très utopique, car cela impliquerait une réécriture des traités existants avec dans certains pays la nécessité de consulter le peuple, improbable dans le contexte actuel?

Idéalement, il faudrait en effet rouvrir les traités. Je pense notamment à l’édifice législatif qui rendrait possible un mariage entre les parlements nationaux et européen. Mais pour être pragmatique, les Etats qui le veulent peuvent signer des accords entre eux, qui iraient dans le sens d’une coopération renforcée, sans accord préalable du Parlement européen et sans passer par des référendums nationaux.

Cette nouvelle Europe dont vous rêvez, aurait-elle agréé à Michel Rocard, décédé samedi 2 juillet dernier?

Michel Rocard était un ami très proche. Je crois que oui, évidemment, il aurait souscrit à ce projet qui s’adosse à une Europe sociale. A ses yeux comme aux miens, deux paramètres donnent potentiellement sa force à l’Europe: sa capacité à attirer de la richesse et sa capacité à organiser des conditions sociales décentes. Et cela est au cœur de mes préoccupations européennes. 

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François Guillot / AFP
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