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Affaire Tapie: décryptage d’une farce arbitrale

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Jeudi, 4 Juillet, 2013 - 05:59

DROIT. Spécialiste des procédures arbitrales, l’avocat genevois Charles Adams éclaire cette pratique au cœur de l’affaire Tapie.

Sylvain Menétrey

Très pratiqué sur le plan international pour régler des litiges commerciaux, l’arbitrage suit généralement des procédures établies. Celui qui a rapporté 403 millions d’euros à Bernard Tapie semble avoir échappé à nombre d’entre elles. L’avocat genevois Charles Adams, spécialisé en arbitrage international pour la firme Akin Gump, est bien placé pour éclairer le contexte de cette affaire qui vaut aujourd’hui à l’homme d’affaires français d’être mis en examen pour «escroquerie en bande organisée».

«Dès le départ, il est inhabituel qu’un conflit entre un particulier qui dépend du secteur privé d’une part et l’Etat de l’autre soit réglé par voie arbitrale, explique Charles Adams. L’Etat français aurait pu faire en sorte que cette affaire perdure un siècle avant que les ayants droit de Tapie recouvrent leurs intérêts par rapport au Crédit Lyonnais. Au lieu de cela, il a préféré stopper la machine judiciaire pour organiser un arbitrage qui accorde les violons de tout le monde.»

Un choix déconcertant qui s’est révélé désastreux pour les finances publiques, puisque les arbitres ont lourdement pénalisé le Consortium de réalisation (CDR) sous l’égide de l’Etat, chargé de gérer les actifs pourris du Crédit Lyonnais. «La sentence aurait néanmoins dû être imparable, assure Charles Adams, car il est très difficile de casser un arbitrage, d’autant que personne ne remet en question les agissements litigieux du Crédit Lyonnais dans cette affaire.»

Un jugement en béton qui se fissure pourtant en raison du choix des trois juges arbitres, dont l’âge – chacun a plus de 80 ans – semble déjà extravagant. «Même si, à Genève, Pierre Lalive est encore actif dans l’arbitrage à 88 ans, il est rarissime de nommer un panel de juges aussi âgés.» L’un d’eux, Jean-Denis Bredin, a d’ailleurs été victime d’un accident cérébral qui l’a mis en retrait. «Sous l’égide de la Chambre de commerce internationale ou du droit suisse, il aurait dû être remplacé», retient encore l’avocat genevois.

Régularité remise en question. Quant à Pierre Mazeaud, président du trio arbitral, il a confié son travail à son collègue Pierre Estoup car il admettait ne pas connaître suffisamment le domaine de l’arbitrage, ce qui aurait aussi dû le mettre hors jeu. En réalité, seul Pierre Estoup a véritablement contribué à la rédaction de la sentence. Or, différents indices montrent qu’il a eu des contacts avec Bernard Tapie – lequel lui a dédicacé un livre – et avec son avocat avant l’arbitrage. «Dans un arbitrage classique, la partie A choisit un arbitre, la partie B un second, et les deux se mettent d’accord pour élire un président. Il est donc possible que les parties connaissent un des juges, mais celui-ci doit le mentionner. Et en cas de trop grande proximité, la partie adverse peut récuser le juge», expose Charles Adams.

Pierre Estoup s’est bien gardé de communiquer ses liens avec l’homme d’affaires. Selon les enquêteurs, il aurait même pris soin de déchirer les pages de son agenda qui concernent la période de l’arbitrage. Un concours de circonstances qui met gravement en question la régularité de cet arbitrage et laisse planer le doute d’une intervention politique.

Lire aussi les révélations de Guy Sorman.

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Laurent Guiraud, Tamedia publications
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