William Türler
Analyse. Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement vise à créer la plus grande zone de libre-échange au monde. L’économiste Philippe Fontana propose l’introduction d’une taxe spéciale sur les produits agricoles pour remplacer les barrières tarifaires suisses. Débat.
Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) ne fait pas que des heureux, notamment du côté des paysans. En effet, si cet accord de libre-échange de large portée actuellement discuté entre l’Union européenne et les Etats-Unis voit le jour et que la Suisse y adhère, l’agriculture helvétique devra être libéralisée en profondeur. Pour sortir de l’impasse, l’économiste suisse Philippe Fontana, qui a notamment travaillé au FMI et au SECO, propose une solution originale: remplacer les barrières tarifaires protégeant l’agriculture par une TVA spéciale sur les produits agricoles.
Financer les paiements directs
«Malgré leur poids au Parlement, les milieux agricoles ne pourront pas empêcher les autres milieux économiques exportateurs de se joindre au TTIP si l’opportunité se présente, vu l’importance majeure d’un tel accord pour éviter la discrimination de notre économie en Europe et aux Etats-Unis, estime-t-il. Cela d’autant plus dans le contexte actuel du franc fort.» La question consiste, dès lors, à savoir comment réformer l’agriculture de manière à lui permettre de surmonter le choc de la suppression de la protection à la frontière, tout en évitant un coût excessif pour les finances publiques, étant entendu qu’il s’agira de compenser la disparition de la protection douanière par des paiements directs.
La TVA proposée par l’économiste porte à la fois sur les importations et la production domestique de produits agricoles: «Une telle mesure respecterait le principe de non-discrimination requis par les accords de l’Organisation mondiale du commerce et permettrait de financer les paiements directs additionnels accordés aux paysans en limitant le coût budgétaire pour la Confédération. Par ailleurs, TVA et paiements directs pourraient être modulés en fonction du rythme de libéralisation.»
Cette solution entraînerait, selon lui, une baisse des prix des produits agricoles importés et domestiques, favorisant à la fois les consommateurs et les exportateurs. «Il s’agit d’un avantage non négligeable dans une situation de franc fort qui s’ajouterait à l’accès facilité au marché américain, souligne Philippe Fontana. La baisse des prix aurait aussi des effets positifs pour des secteurs actuellement à la peine comme le tourisme hôtelier et la gastronomie, mais aussi pour la distribution et l’industrie alimentaire.»
Du côté de l’Union suisse des paysans, on ne se déclare pas opposés par principe à l’accord. «Nous demandons que les concessions soient effectuées dans le cadre des contingents tarifaires d’importation définis au niveau de l’OMC et que les standards de production exigés dans notre pays, notamment dans le cadre de la qualité, du bien-être animal et de la protection de l’environnement, soient respectés aussi pour les produits importés», souligne Jacques Bourgeois, son président.
Une faible baisse des prix
En ce qui concerne les organismes qui pourraient, le moment venu, également s’opposer au TTIP, il cite trois catégories: les organisations estimant que ces accords réduisent le droit des Etats par rapport à celui des entreprises commerciales, les organismes de défense des consommateurs, qui estiment que ce type de traité pourrait apporter une dégradation de la qualité de l’alimentation, et les organisations agricoles, confrontées à un différentiel de coûts de production élevé. Il relève cependant que l’idée de l’économiste mérite d’être analysée: «De nombreuses questions se posent néanmoins: cette idée est-elle réaliste, serait-elle acceptée par les citoyens et par les consommateurs et pourrait-elle se concrétiser au niveau politique?» demande-t-il.
Pour ce qui est de la baisse des prix mise en avant par Philippe Fontana, Jacques Bourgeois estime qu’elle demeurera très faible pour les consommateurs car les secteurs de la transformation et de la commercialisation continueront de travailler à des coûts suisses. «Au niveau de l’exportation, le différentiel de prix par rapport à l’Union européenne ne variera que très peu, dit-il. Le TTIP n’apportera pas d’avantages significatifs pour le secteur agroalimentaire de notre pays. Notamment car les baisses de prix seront compensées par une pression beaucoup plus forte des produits importés.»