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Martina Hingis, la résiliente

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Jeudi, 7 Juillet, 2016 - 06:00

Laurent Favre

Dossier. Blessures sentimentales, déceptions sportives, suspension pour dopage, retraites anticipées, la Suissesse a surmonté tous les obstacles pour rayonner, à 36 ans, sur les courts du monde entier. Si la résilience est l’art de rebondir, alors Martina en est un des meilleurs exemples.

C’était à Roland-Garros, boulevard d’Auteuil, porte E, l’entrée des accrédités. Une fin de matinée grise et froide. Une queue de cheval dans la foule attend son tour au contrôle de sécurité, tend son badge à l’œil électronique du portique, ouvre son sac à double fermeture éclair, écarte les bras pour la fouille corporelle. Ne l’ont-ils pas reconnue? Apparemment pas, mais la queue de cheval ne s’en formalise pas; elle reprend son sac et sa route. Intrigué, nous marchons sur ses pas.

La queue de cheval remonte l’allée qui longe le court Philippe Chatrier, toujours dans l’indifférence générale. Un spectateur va bien finir par mettre un nom sur ce sourire? Mais non; elle fend la foule sans que personne ne lui prête attention. Si seulement elle se promenait avec un garde du corps à oreillette ou si elle avait des lunettes noires de star voulant passer inaperçue, ou au moins quelqu’un pour lui porter son sac! Il est presque plus gros qu’elle, ce sac, il la rend toute petite, toute frêle. Il la renvoie vingt ans en arrière, lorsqu’elle était adolescente, que le monde s’émerveillait de ses prouesses et de son sourire.

A l’époque, elle n’aurait pas pu remonter l’allée sans déclencher une émeute – elle ne s’y serait d’ailleurs même pas risquée – et il n’aurait pas été nécessaire de se pencher sur l’accréditation qui pendouille du sac pour y lire son nom: Martina Hingis.

Martina Hingis, 36 ans en septembre, joue toujours au tennis, elle participe toujours aux tournois de Roland-Garros et de Wimbledon, elle gagne toujours 90% de ses matchs, mais elle n’est plus une héroïne du circuit tennistique professionnel. Pas totalement une anonyme, en dépit des apparences, mais guère mieux qu’un second rôle. Le double féminin et le double mixte sont des épreuves respectables et souvent intéressantes, mais il faut dire ce qui est: ce ne sont que des compétitions de complément. Pour les organisateurs et les journalistes, c’est la variable d’ajustement.

Les matchs sont déplacés d’un court à un autre au gré des besoins de la programmation, les médias assistent aux conférences de presse s’ils ont le temps, le public est souvent clairsemé. Les gains y sont accessoires: Novak Djokovic, vainqueur du simple messieurs des Internationaux de France, a remporté 2 millions d’euros; Martina Hingis, lauréate du double mixte, a empoché 116 000 euros, à partager avec son partenaire Leander Paes.

Telle est la vie de Martina Hingis aujourd’hui, celle d’une pigiste de luxe du tennis. Une existence heureuse, à en croire les sourires qu’elle diffuse sur les courts du monde entier. La vie, pourtant, n’a pas toujours été tendre avec celle que l’on surnommait «la petite princesse de Trübbach», qui jouait devant 5000 personnes à 9 ans, que l’on baladait dans une Cadillac rose à 16 ans.

Has been à 20 ans

La chronique de ses déboires sportifs, sentimentaux et même judiciaires a émaillé ce début de XXIe siècle. On l’a vue au bras d’un golfeur, d’un hockeyeur, d’un footballeur et de quelques joueurs de tennis dans ce que l’humoriste Nathanaël Rochat a qualifié de «pentathlon de l’amour». Elle a aussi fricoté avec un businessman ukrainien un peu louche, laissé en plan deux fiancés et divorcé avec fracas d’un cavalier français épousé à la surprise générale en 2010. Elle s’est essayée à la mode, au coaching, à l’équitation, elle a perdu un procès contre un ancien équipementier et été suspendue deux ans pour un contrôle antidopage positif à la cocaïne où le mot important n’était pas «dopage» mais bien «cocaïne».

Etalés sur une quinzaine d’années, ces déboires font partie des choses de la vie. Ce qui fait de Martina Hingis une résiliente, une héroïne de la vie, c’est d’avoir survécu à son obsolescence. Conçue, élevée et entraînée par sa mère, Melanie Molitor, pour devenir No 1 mondiale de tennis, elle y est parvenue avec une rapidité et une aisance telles que son règne devait durer dix ans et battre tous les records. Elle n’aura de fait brillé que quelques saisons, entre 1996 et 1999. La joueuse la plus précoce de l’histoire du tennis s’est soudain vue has been à 20 ans.

L’année 1997 est son millésime le plus glorieux. A 17 ans, elle remporte trois tournois du Grand Chelem sur quatre et perd inexplicablement en finale à Roland-Garros, où elle est arrivée en retard de préparation en raison d’une chute de cheval. Elle remporte le mois suivant son seul titre en simple à Wimbledon mais, cette année-là, deux jeunes sœurs afro-américaines font leur apparition sur le circuit de la WTA. Elles ont des dreadlocks à perles blanches, gloussent comme des gamines quand on leur tient la porte dans l’escalier et frappent dans la balle avec une violence alors inédite.

L’avènement des sœurs Williams, d’abord Venus, l’aînée, puis Serena, annonce le règne d’un tennis tout en puissance et en agressivité. Hingis est une star du muet qui voit débouler le cinéma parlant. Elle tient, résiste, mais s’agace et perd la sympathie du public. En 1999, elle gagne son cinquième et dernier grand titre à l’Open d’Australie, mais se discrédite en se moquant des épaules très carrées de la finaliste Amélie Mauresmo. La foule parisienne le lui fait payer quatre mois plus tard.

En finale face à Steffi Graf, une autre résiliente qui a su s’affranchir de la férule paternelle et se faire apprécier du public, Martina Hingis perd plus qu’un match. Elle découvre qu’on ne l’aime pas. «J’avais de la difficulté à accepter des critiques, je les trouvais trop dures pour une adolescente», dit-elle aujourd’hui. Son beau-père et manager, l’ancien journaliste Mario Widmer, rappelle le contexte. «Martina était une star internationale à 16 ans dans un pays qui n’avait jamais connu ça auparavant.»

En 2000, lors d’une exhibition à Santiago du Chili, elle se dispute violemment pour une broutille avec sa partenaire de double, Anna Kournikova. «Tu te prends pour la vedette, mais c’est moi la reine du tennis», lui lance la Saint-Galloise sur le court, avant d’autres échanges d’amabilités et d’objets divers dans le vestiaire. Le charme est rompu. En 2003, après des absences plus ou moins prolongées en raison de blessures à répétition, elle annonce sa retraite. La première. Elle pense alors pouvoir se réinventer en cavalière de saut d’obstacles. Une chimère dont elle prend vite conscience.

En 2006, elle revient au tennis. Elle est encore jeune (26 ans) et, moins d’un an plus tard, la revoici déjà dans le top 10 mais, le 1er novembre 2007, elle est contrôlée positive. Le test antidopage ne démontre pas une volonté de tricher mais trahit l’absorption de cocaïne. Pour un cas similaire quelques années plus tard, le joueur français Richard Gasquet, épaulé par les avocats d’Arnaud Lagardère, obtiendra un non-lieu. Martina, elle, avec une dose cinq fois inférieure, refuse de se défendre, ni même de s’expliquer, et se fait suspendre. Deuxième retraite.

Humilité et maturité

Pourquoi est-elle revenue une seconde fois en 2013, à déjà 32 ans, après s’être essayée à un rôle de coach? Sa réponse classique et évidente est celle-ci: «En entraînant Anna Pavlyuchenkova et Sabine Lisicki, je me suis rendu compte que je soutenais toujours la comparaison avec les meilleures.» Elle avança une raison plus profonde lors de l’US Open 2015. «Le monde du tennis est quelque part un peu ma famille. C’est comme revenir dans un endroit où je suis à l’aise, heureuse, respectée et appréciée. C’est tout ce que vous demandez.»

C’est ainsi que l’équipe de Suisse de Fed Cup l’a vue débarquer en avril 2015, après dix-sept ans d’absence en équipe nationale, pour un obscur barrage de promotion-relégation. «Lorsqu’elle est arrivée, nous étions au petit-déjeuner, se souvient Christiane Jolissaint, cheffe de délégation de l’équipe de Fed Cup et vice-présidente de Swiss Tennis. Tout de suite, elle s’est montrée très ouverte, très abordable, pas du tout «j’me la pète».

C’était pourtant une rencontre assez bizarre, avec plusieurs joueuses un peu blessées. Elle ne devait jouer que le double, elle a disputé les deux simples et pas le double…» Aucune joueuse n’avait le dixième de son palmarès, mais elle s’est fondue dans le groupe avec joie et simplicité. «Après son premier match perdu, elle avait un peu les larmes aux yeux», raconte Timea Bacsinszky.

Prévue pour disputer le double, Hingis s’est finalement retirée de l’équipe au moment décisif. Fatiguée, un peu blessée, elle a eu peur de ne pas être à la hauteur. «Elle s’est souvenue de Patty Schnyder, qui, dans les mêmes circonstances en finale de la Fed Cup 1998 Suisse - Espagne, n’aurait peut-être pas dû jouer le dernier match», dévoile Timea Bacsinszky. A l’époque, Hingis avait froidement désigné Schnyder comme responsable de la défaite. Dix-sept ans plus tard, elle acceptait humblement d’être à son tour le maillon faible. «Après notre victoire, elle était super contente, elle n’arrêtait pas de dire à quel point c’était fort.»

Depuis 2013, Martina Hingis ne joue plus que le double et le double mixte. Depuis deux ans, elle a monté une «joint-venture» à succès avec deux Indiens, Sania Mirza et Leander Paes. Pour elle, cette troisième carrière n’est que la continuité d’un seul et même parcours. Mais elle admet ne plus être tout à fait la même: «Je me rends compte que mon attitude a changé, que ma relation au sport est totalement différente. A 16 ans, je luttais contre la peur. M’entraîner avec ma mère était un stress, je n’avais pas le droit de rater. Mais elle a mis du professionnalisme dans ma désinvolture. Aujourd’hui, chaque victoire est un bonus, je n’ai rien à prouver à quiconque et je peux vivre pleinement le plaisir du jeu.»

«Le fait d’avoir coupé avec le tennis à un moment lui a fait du bien, estime Christiane Jolissaint. Elle a pu faire autre chose, et cela lui a permis ensuite de reprendre goût au tennis.»

La maturité de Martina Hingis frappe également René Stammbach, le président de Swiss Tennis, qui la connaît depuis qu’elle a 12 ans. «Martina a très vite été très mûre, mais elle possède aujourd’hui un vécu, une expérience de femme, pas seulement de joueuse, qui font qu’elle est décontractée en toute circonstance. Cela se reflète dans sa manière de jouer. J’avais été frappé de l’observer lors du double de la rencontre de Fed Cup contre l’Allemagne: il y avait quatre joueuses sur le terrain, mais elle dirigeait tout le jeu comme si les autres étaient ses marionnettes.» Son partenaire de double, l’Indien Leander Paes, fait le même constat.

«Pour moi, elle n’est pas juste une excellente joueuse de tennis. Vous écrivez tous sur la sportive, mais vous êtes en train de décrire la personne, car Martina est une championne de la vie encore plus grande. Elle s’accommode de toutes les difficultés avec une grâce extraordinaire et une facilité déconcertante. Rien ne peut l’atteindre.»

Le retour d’une petite merveille

Si Martina Hingis pratique le yoga depuis son enfance («Ma mère me forçait. Quand on est enfant, on trouve cela ennuyeux mais, aujourd’hui, c’est un recours utile.»), l’explication de sa connexion particulière avec deux joueurs indiens est plus technique que spirituelle. Les doubles sont une vraie tradition en Inde, et Mirza ainsi que Paes d’excellents joueurs qui permettent à Hingis de se maintenir au sommet.

«Elle est très professionnelle et s’entraîne avec beaucoup de sérieux, observe Christiane Jolissaint. Pourquoi est-elle revenue? Je pense qu’elle prend du plaisir, y compris du plaisir à être de nouveau la petite merveille dont on parle. Je me souviens d’avoir été invitée par le Blick à venir taper des balles avec elle quand elle n’avait que 8 ou 9 ans. Sa façon de se tenir à l’intérieur du court, sa justesse technique et son intelligence tactique, c’était déjà impressionnant. Son talent méritait un autre parcours et sa fin de carrière a été chamboulée, c’est sûr. Je ne sais pas comment elle l’a vécu, mais à travers quelques allusions, ou des non-dits, on comprend que cela a été très difficile pour elle. Normalement, avec ce genre de trajectoire, on part sur de mauvais sentiments. Elle a su revenir pour transformer son histoire en quelque chose de positif.»

La fin de l’histoire sera encore plus belle si Hingis remporte, comme elle l’espère, une médaille aux Jeux olympiques de Rio. Elle disputera le double avec sa jeune protégée Belinda Bencic (longtemps entraînée par sa mère) et le double mixte avec Roger Federer. Un vieux rêve, déjà esquissé en 2012. Cette fois, elle a sondé très en avance Federer et Wawrinka, qui a laissé la priorité du choix à son aîné. Ce sera Hingis-Federer, pour le régal des puristes. Et le prestige de la Suisse?

«Tant mieux si le pays en profite, explique René Stammbach, mais les sportifs accomplissent des exploits d’abord pour eux-mêmes.» Dans un sport aussi individuel et individualiste que le tennis, Martina Hingis a finalement trouvé son bonheur dans le partage et le collectif. 

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