Yelmarc Roulet
Hôtelier (1840-1917). Par sa passion du tourisme, il a fait de Montreux la rivale de Cannes et de Nice. Le palace de Caux, c’est lui.
«Sur cette terre suisse et vaudoise, libre par tradition, française par la langue, dans ce pays vraiment beau, comme un rêve, on constate avec une joyeuse surprise qu’il n’est pas besoin de courir vers les bords méditerranéens pour se réchauffer en hiver au soleil.» Si la publicité touristique de la Belle Epoque chante ce coin du Léman qu’on a fini par appeler Riviera, c’est à Ami Chessex qu’on le doit. Hôtelier, entrepreneur, réseauteur omniprésent et infatigable, il n’a poursuivi qu’un seul but: faire de son hameau natal une «station climatérique», hisser Territet au rang de Cannes et de Nice.
Il a 20 ans quand s’ouvre, avec ses promesses d’Orient-Express, la ligne ferroviaire du Simplon. Il s’est formé au métier d’hôtelier sur le tas, avec son père, qui a transformé en établissement moderne la modeste auberge familiale du Chasseur des Alpes. Territet, qui n’est pas encore Montreux, a un gros retard à rattraper sur Vevey pour l’accueil des riches étrangers.
La construction d’un empire
La famille Chessex n’est pas sans biens, elle est l’une des rares dans le coin à posséder sa voiture. Mais c’est en acquérant au coup par coup une multitude de petites parcelles qu’Ami va constituer le patrimoine immobilier qui lui permettra, au gré des échanges, de réaliser ses ambitieux projets. Le Grand Hôtel de Territet, fier de sa galerie marchande, sera le premier du pays entièrement éclairé à l’électricité.
En 1893, Ami Chessex y reçoit l’impératrice d’Autriche, c’est une forme de triomphe. Sissi assassinée, il préside la souscription pour lui ériger une statue. Ce n’est pas encore assez. Avec un partenaire, il se lance dans la construction de tous les superlatifs. Le Caux-Palace, navire amiral et croyait-on insubmersible de l’hôtellerie lémanique, est inauguré en 1898.
Chessex collabore aussi, non sans rivalité, avec un autre pionnier de la Riviera, son beau-frère Alexandre Emery. Mais les hôtels ne sont pas sa seule passion. Il rêve aussi rail et crémaillère. Il est partie prenante de l’Aigle-Leysin, pour desservir la station des sanatoriums dont il est promoteur. On lui doit les funiculaires de Mont-Fleuri, de Glion, puis des Rochers-de-Naye, sans oublier le premier tramway électrifié de Suisse, qui relie Vevey à Chillon à partir de 1888.
1914, un coup fatal
Député radical, actionnaire de 60 sociétés, Ami Chessex est partout. Il rachète les Ateliers de Vevey, préside la Société romande d’électricité qui vient de naître. Il reçoit dans sa belle villa de Beauregard, mais c’est un homme de goûts simples, travailleur, dur avec lui-même d’abord. Pour autant qu’on puisse le dire, car il ne subsiste que de rares témoignages de sa personnalité, note Sabrina Monnier dans le mémoire de licence qu’elle lui a consacré.
La déclaration de guerre de l’été 1914 porte un coup fatal au tourisme de la Riviera. Les hôtels se transforment en infirmeries pour blessés de guerre. Ami Chessex doit renoncer à relier Chillon à Sonchaux par funiculaire. Il meurt en 1917 d’une crise cardiaque. L’un de ses six enfants, Lucien, assume la succession. Mais le conflit armé, les dettes et la complexité des sociétés en jeu auront vite raison de l’héritage.
En savoir plus
➤ Principales réalisations d’Ami Chessex, le Grand Hôtel de Territet et le Caux-Palace sont tous deux signés par l’architecte Eugène Jost, éminent représentant vaudois du style Beaux-Arts. Tous deux sont classés biens culturels d’importance nationale, mais ni l’un ni l’autre n’a conservé sa vocation hôtelière d’origine.
➤ En 2003, Sabrina Monnier a consacré son mémoire de licence en histoire à la vie et à l’œuvre d’Ami Chessex. A lire aux Archives cantonales vaudoises et aux Archives communales de Montreux.