Décryptage. Pourquoi les médias d’outre-Sarine critiquent férocement Alain Berset depuis qu’il a annoncé vouloir intervenir dans la question des langues.
Lorsqu’il annonce, le 6 juillet dernier, qu’il veut réviser la loi sur les langues pour obliger les cantons à enseigner une deuxième langue nationale à l’école primaire, le ministre de l’Intérieur, Alain Berset, n’a rien d’un va-t-en-guerre. Il ne fait qu’ouvrir une procédure de consultation avec trois variantes, dont le but est de permettre à tous les acteurs d’un dossier de s’exprimer. Et rappelle qu’il est temps pour les cantons de respecter un engagement pris voici déjà douze ans.
Peine perdue. Alain Berset essuie depuis un feu nourri de critiques féroces de la part de la presse, à quelques exceptions notoires comme celle de l’Aargauer Zeitung: «Il est du devoir de la Confédération de résister à l’esprit de clocher des cantons.» Le Bund bernois salue aussi la démarche du ministre de l’Intérieur, de même que le SonntagsBlick. Son éditorialiste Frank A. Meyer y dénonce la tendance que les Alémaniques ont à appréhender cette question des langues sur un plan économique d’abord qui justifierait de privilégier l’anglais. «Sans le français et sans les Romands, il n’y a pas de Suisse.»
Mais dans l’ensemble, les médias alémaniques se déchaînent face à la volonté d’Alain Berset de briser le tabou de la souveraineté des cantons en matière d’instruction publique. Ils voient en lui un «bailli des langues», un politicien qui n’hésite pas à recourir à la «massue» pour imposer son «diktat», un indécrottable centralisateur aussi. La SonntagsZeitung donne la parole à l’ancien conseiller d’Etat Ernst Buschor (PDC/ZH), qui traite le conseiller fédéral fribourgeois de «forcené qui brise la paix des langues». Ironie du sort: c’est précisément ce Zurichois qui a déterré la hache de guerre en décrétant à la fin des années 90 qu’il fallait introduire l’anglais précoce au détriment du français!
En Suisse alémanique, on se demande pourquoi le ministre de la Culture prend le risque de transformer une banale dispute en «guerre des langues». Pourquoi il agit par pure idéologie alors que sa démarche «n’est pas justifiée sur le plan pédagogique». Comment il peut prétendre que la cohésion nationale puisse dépendre du seul apprentissage précoce du français à l’école, alors que la Suisse est divisée par d’autres fronts plus marqués, comme ceux qui opposent les générations ou encore les villes et la campagne.
«Pure hystérie»
«Mes chers compatriotes, ça suffit», résume la SonntagsZeitung, qui traite la démarche d’Alain Berset de «choquante» et de «pure hystérie». En fait, la virulence des critiques trahit un profond malaise outre-Sarine. Les Alémaniques ont triplement mauvaise conscience. D’abord, ils passent sous silence le fait que tous les Romands commencent par apprendre l’allemand à l’école primaire sans en faire un psychodrame. Ensuite, ils attestent à Alain Berset le fait d’avoir perfectionné son allemand en étudiant un an à Hambourg et de répondre à ses interlocuteurs dans leur langue maternelle, ce qui n’est pas le cas de tous les conseillers fédéraux.
Enfin, ils ne cachent plus qu’il n’y aurait rien de choquant si les Suisses se parlaient en anglais. «L’important est de se comprendre», note la Schweiz am Sonntag, qui cherche une raison de plus de ne pas apprendre le français. Et si, contrairement à ce qu’a toujours prétendu le stratège de l’UDC, Christoph Blocher, les Romands étaient de meilleurs patriotes que les Alémaniques?
Dans ce débat qui ne fait que commencer, il est intéressant d’écouter les Tessinois. L’un d’entre eux, le chef du groupe PDC, Filippo Lombardi, parfait polyglotte, a soutenu Alain Berset dans la NZZ am Sonntag. «Les cantons n’ont pas fait leurs devoirs», regrette le politicien auquel on ne peut pas faire de procès en fédéralisme puisqu’il vient de présider la Chambre des cantons. Filippo Lombardi sait de quoi il parle: il a vécu six ans en Belgique. «Ce pays a quasiment explosé en raison de la question linguistique», avertit-il. Pour lui, il s’agit désormais de mener ce débat sans passion. Et de ne pas oublier que celui qui maîtrise les langues nationales aura de meilleurs atouts sur le marché du travail.