Li Edelkoort, l’une des chasseuses de tendancesles plus réputées au monde, livre ses prédictions pour l’an prochain. Place au nomadisme, au rouge massaï, à la décontraction et à moins de marketing.
Elle travaille pour les marques de luxe, de volume (H&M, Zara), de biscuits, de cosmétiques, avec un credo: «Comprendre les consommateurs de demain.» Installée depuis vingt-cinq ans à Paris, la Néerlandaise Li Edelkoort est l’un des grands augures de la mode et des tendances. Elle et son équipe décryptent les signaux avant-coureurs de la consommation de masse, sondent l’évolution de la société et informent les professionnels sur les concepts, couleurs et matières qui seront plébiscités dans deux ou trois ans.
Li Edelkoort, également enseignante à l’Académie de design d’Eindhoven et commissaire d’expositions, a été classée par le magazine Time parmi les 25 personnalités les plus influentes au monde. Elle était de passage cet automne à Vevey, au Centre d’enseignement professionnel dont la section Visual Merchandising Design compte parmi les plus réputées. Cette formation ES prépare les étudiants à la direction artistique dans la communication visuelle, avec un accent sur le design et le marketing. Soit les domaines de prédilection de Li Edelkoort, qui nous livre ici une vision tonique de 2014.
Comment voyez-vous l’année 2014, en particulier dans la mode?
Ce sera l’année du nomadisme. Grâce aux smartphones ou aux tablettes, on se rendra de plus en plus compte qu’il est possible de travailler n’importe où. Dans un lit, une cuisine, un café, un bateau, partout. On réalisera du coup l’inflexibilité de nos habitudes quotidiennes. Pourquoi suis-je toujours assis à la même table à la même place? Cette liberté nouvelle nous encouragera à en prendre d’autres. Comme de voyager de manière improvisée, à pied, avec un sac à dos, en partant demain ou dans une semaine.
Cette idée de nomadisme a conditionné notre cahier de tendances pour l’été 2014. Elle nous a guidés en Afrique, chez les Berbères, les Touaregs, les Massaïs. L’Afrique sera l’an prochain l’une des grandes sources d’inspiration de la mode. Cette tendance nomade est aussi celle d’un monde plus décontracté. On le voit déjà en Asie aujourd’hui: les talons hauts sont remplacés par les chaussures de sport. Les shorts sont de plus en plus adoptés par les hommes. Ainsi que les sacs à dos, les parkas, les cache-poussière, etc. La mode est en passe de changer d’allure. Elle sera moins formelle, plus casual, plus couvrante aussi.
Qu’en sera-t-il de nos habitudes de vie?
Le nomadisme entraînera une autre manière de manger. Les produits que l’on peut ramasser soi-même seront privilégiés. Les fruits, les noix, les plantes, la pêche, la chasse, bref, les aliments non agricoles seront favorisés. Le nomadisme conditionnera également le tourisme, facilement orienté sur la marche, le vélo, la caravane, le «glamping», c’est-à-dire le camping glamour. On se dirige vers une société qui s’accordera tous les jours un peu de vacances. «Holiday everyday!»
Cela revient à se laisser la possibilité quotidienne de s’échapper, de prendre un moment pour soi. D’autant que l’économie s’améliorera vers la fin de l’année 2014 et en 2015. Nous en avons tous assez de ce climat de récession, de mauvaises nouvelles, de retenue, de mesure, de correction. Ce sera le moment de se lâcher, d’adopter des idées, modes et comportements plus ludiques. Avec de la couleur et du volume. L’année 2014 nous regonflera à bloc!
Une couleur pour 2014?
Plusieurs couleurs. Le rose toujours, surtout dans les cosmétiques. Le rouge massaï pour la mode de l’été. Et le marron pour l’hiver, ce marron qui se marie si bien avec les autres couleurs, tout en étant moins dur que le noir.
Pour le design?
On finalisera l’alliance du monde virtuel et de l’artisanat. Nous allons vers un monde hybride, entre hommes et femmes, jeunes et vieux, l’excellent et le très mauvais pour la santé, la décontraction et la concentration. La notion de choix va s’effacer. Il sera alors possible de créer un nouveau langage de design, enfin digne du XXIe siècle. L’actuel est encore ancré dans le siècle précédent.
Et le luxe?
On continuera à consommer des objets de luxe à condition qu’ils aient davantage d’âme, et moins de marketing. Celui-ci est trop présent actuellement. Le consommateur n’est pas dupe. Il est bien trop informé pour accepter aveuglément ces campagnes dominées par le marketing, par la déclinaison incessante des mêmes produits. Donnez-nous quelque chose de nouveau!