Robert Gloy
Zoom. Le patronyme d’un enfant reflète la culture, les goûts et aussi les origines sociales de sa famille. Une équation complexe qui peut devenir un casse-tête pour les parents. Au point que certains se tournent vers une coûteuse agence bernoise.
Reprendre le nom d’un ancêtre? Consulter les statistiques? Ou s’inspirer des stars? Le choix d’un prénom, les parents devront non seulement l’assumer devant leur descendance, mais aussi devant les autres par le «positionnement» social et culturel qu’il véhicule. L’agence de publicité bernoise Erfolgswelle entend venir au secours des géniteurs qui se sentent submergés par une telle pression. Fondée en 2003 et spécialisée dans la recherche de noms pour les entreprises, elle propose depuis l’année dernière ce même service pour les nouveau-nés à la suite d’une demande venant d’un client américain. Pour environ 28 000 francs, l’entreprise collabore jusqu’à huit semaines avec les parents pour leur fournir plusieurs propositions de prénoms.
«Une des missions principales consiste à assurer une certaine continuité par rapport aux autres membres de la famille. Il faut éviter que le prénom de l’enfant ne ressorte de manière trop évidente», explique Marc Hauser, fondateur et CEO d’Erfolgswelle. Autres critères importants: le prénom doit pouvoir se prononcer facilement, deux à trois syllabes au maximum, ne pas avoir de connotation négative liée à un événement historique, ni une signification qui serait ambiguë dans une autre langue. Pour cela, l’agence travaille avec une équipe d’historiens et de traducteurs.
Un intérêt grandissant
Sur ses clients et les prénoms déjà approuvés, la société ne dira pas grand-chose: clause de confidentialité oblige. Marc Hauser reconnaît néanmoins avoir vendu ses services à des personnes médiatisées avec un mode de vie tourné vers l’international: «Elles ont l’habitude de payer de telles sommes pour avoir des conseils professionnels.» Il est toutefois difficile de mesurer l’ampleur du phénomène, car l’agence ne donne pas de chiffres sur le nombre de ses clients. Seul indice: les Suisses sont encore peu nombreux à vouloir financer la recherche du prénom parfait. Et les marchés principaux se trouvent aux Etats-Unis ainsi qu’en Asie.
Erfolgswelle est un pionnier dans le domaine. On ne trouve que très peu d’offres similaires dans le monde. Même aux Etats-Unis, les agences actives sur ce marché proposent des services de conseil ponctuel et non un accompagnement pendant plusieurs semaines.
Pourtant, l’intérêt autour du choix des prénoms est grandissant, comme l’illustre la médiatisation de la liste des prénoms les plus populaires du pays, publiée chaque année par l’Office fédéral de la statistique. L’un des principaux constats, valable pour l’ensemble des pays occidentaux, est que la gamme de prénoms s’est considérablement élargie. «Il y a cinquante ans, les prénoms les plus populaires étaient beaucoup plus répandus qu’aujourd’hui», précise Baptiste Coulmont, sociologue à l’Université Paris 8 et auteur du livre Sociologie des prénoms. D’après lui, la sélection du prénom donne des indices sur le milieu social et culturel de la famille. «Pour les parents, ce choix est devenu de plus en plus crucial.»
Des choix qui peuvent aussi se révéler inadéquats? Selon Frédéric Rouyard, porte-parole du Service de la population du canton de Vaud, il y a rarement des soucis liés aux prénoms retenus. «L’état civil n’intervient qu’environ une dizaine de fois par an dans tout le canton pour attirer l’attention des parents lorsqu’un choix présente un risque pour les intérêts de l’enfant. C’est par exemple le cas avec Sadik, prénom courant dans certains pays des Balkans mais qui a une connotation négative en français.» Le palmarès des prénoms en Suisse romande laisse également entrevoir une certaine prudence. On y trouve Gabriel, Liam et Lucas pour les garçons et Emma, Eva et Léa pour les filles.