Zoom. Le jeu a conquis le monde en deux semaines, mais son développement a nécessité beaucoup de tâtonnements.
Le succès le plus fulgurant de l’histoire du jeu en ligne a commencé comme une blague. Le 1er avril 2014, Google et The Pokémon Company, filiale de Nintendo, diffusaient une courte vidéo présentant un jeu fictif de réalité augmentée. Un randonneur y chassait les célèbres créatures japonisantes dans une forêt avec son téléphone portable. En quelques heures, le clip affichait des millions de vues, suscitant la curiosité des internautes amateurs de jeux en ligne.
Ce jour-là, à Lausanne, le sol se dérobait sous les pieds de Soufian Mahlouly. A 27 ans, ce jeune diplômé en communication venait de démissionner de son poste de digital marketing manager dans un groupe hôtelier pour se consacrer au projet auquel il songeait depuis des années: un jeu sur téléphone mobile utilisant la réalité augmentée et la géolocalisation pour faire apparaître un univers de fiction dans le monde physique. Après deux ans de travail à plein temps, Soufian Mahlouly prévoit de lancer son jeu en automne. Pas de chance: un géant mondial vient de le coiffer au poteau. A trois mois près.
Lancé le 6 juillet, le jeu Pokémon Go a déjà battu tous les records. L’application a été téléchargée 30 millions de fois en deux semaines, écrasant à plates coutures le précédent détenteur du titre, Candy Crush Saga. Dans Pokémon Go, les joueurs se déplacent à la recherche des célèbres petits monstres et se retrouvent autour de points de rassemblement appelés Pokéstops ou Arènes.
Où que l’on se trouve, dans chaque rue de chaque ville, sur les places de chaque village et jusque dans les coins de campagne les plus reculés, ces points de rencontre sont habilement placés, toujours à proximité de petites ou de grandes curiosités locales: un monument, une sculpture, un tag sur une façade ou une fontaine. Dès les premières minutes de jeu, une curieuse impression se dégage, comme si les concepteurs avaient eux-mêmes sélectionné ces lieux. La formule est si addictive que les joueurs passent en moyenne plus de 30 minutes par jour sur l’application, soit plus que sur Facebook, Instagram et Twitter.
L’immense succès de Pokémon Go repose sur un cocktail parfaitement dosé d’innovations techniques et de marketing. «Il a fallu des années pour faire mûrir les technologies et pour trouver la formule qui a permis cette réussite», observe Soufian Mahlouly. Le jeune homme est bien placé pour le savoir, lui qui avait approché en vain les studios de l’industrie du jeu, en 2009, alors que le terme de réalité augmentée ne parlait à personne.
La recette de Pokémon Go tient en deux mots: big data. La société à l’origine du projet, Niantic, a été fondée par John Hanke, un vétéran de Google qui travaille depuis près de vingt ans sur les outils de géolocalisation. Sa première entreprise, Keyhole, avait été rachetée par Google en 2004 pour développer Google Earth. La plupart des employés de Niantic, qui fonctionnait comme une start-up interne à l’empire Google, ont travaillé sur Google Maps.
Brèche ouverte
A force de développer des algorithmes capables de détecter les points d’intérêt géographiques comme les commerces, les monuments ou les distributeurs de billets, une idée vient à l’équipe de Niantic: user des mêmes outils pour créer un jeu. En 2011, l’entreprise tente une première incursion dans le domaine avec Ingress, une application ouvrant des «portails» placés en des points stratégiques du monde réel et permettant d’accéder à une réalité parallèle.
Avec une dizaine de millions de joueurs, Ingress a permis à Niantic de récupérer les coordonnées de 15 millions de lieux photographiés et sélectionnés partout sur la planète par les utilisateurs comme des points de jeu intéressants. En août 2015, Niantic quitte le giron de Google et se lance en entreprise indépendante. L’opération était le prélude à une alliance avec Nintendo, détentrice de la franchise de jeu vidéo la plus connue au monde: Pokémon.
«La sortie de Pokémon Go crée d’immenses opportunités, s’emporte Soufian Mahlouly. Elle familiarise les joueurs à la géolocalisation et offrira un immense écho à ceux qui se présenteront en concurrents. Les studios vont enfin se lancer dans la brèche, et ils tenteront tous d’adapter leur univers à ce mode de jeu interactif, prédit-il. Mes nuits étaient déjà courtes avant la sortie de Pokémon Go, elles le sont encore plus maintenant.»