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Livetrotters: City Plaza Hotel, squat pour réfugiés

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Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:45

Nina Seddik

Reportage. Livetrotters, deuxième semaine. A Athènes, des activistes prennent en charge des migrants.

City Plaza, un trois-étoiles abandonné, à Athènes. L’hôtel a fait faillite, autre cadavre de la crise grecque. Mais le cadavre a retrouvé vie et, surtout, une vocation. Depuis le mois d’avril, l’établissement est squatté par des activistes d’extrême gauche, grecs et venant d’autres pays. Il héberge des réfugiés. Le quartier alentour est populaire au possible, le taux d’immigrés y est l’un des plus élevés de la capitale hellène. Proche de la place Victoria, là où des centaines de réfugiés et de migrants s’étaient rassemblés, en mars, avant d’en être évacués par la police.

Sur la façade du City Plaza, ni banderoles, ni tags. Le seul changement visible indiquant qu’on est passé d’une activité hôtelière classique à autre chose, ce sont les habits suspendus aux balcons. En effet, à moins que les clients n’aient soudainement décidé de laver leur petit linge en même temps et de l’étendre aux fenêtres, cette vision-là, pour un tel endroit, n’est pas habituelle.

Je dois dire que, au moment de pénétrer dans le City Plaza, je n’en mène pas large. Cela fait maintenant quelques jours que je suis à Athènes et j’ai du mal à prendre de la distance, à ne pas me laisser atteindre par l’émotion de ces familles et individus qui ont tout quitté, la guerre, la misère, souvent les deux à la fois, au péril – et ce n’est pas qu’une formule – de leur vie. J’ai par exemple partagé un long moment avec une famille afghane dans le camp du port du Pirée, avant de repartir comme je suis arrivée, sans pouvoir faire grand-chose pour les aider. Un vaste sentiment d’impuissance.

Il faut que je me reprenne, ce n’est pas le moment de flancher.

Première impression en arrivant à l’«hôtel»: le squat est bien gardé. Tous les visiteurs sont tenus de s’annoncer et de justifier leur présence dans les lieux. Les résidents disposent quant à eux d’une carte d’identification avec leur nom et numéro de chambre, qu’ils doivent présenter aux volontaires postés à l’entrée, à chaque fois qu’ils pénètrent dans l’établissement. C’est un mur de méfiance qui s’élève devant moi. Je sens bien que les journalistes ne sont pas forcément les bienvenus ici. C’est en prenant le temps de dire qui je suis et d’expliquer ma démarche consistant à observer le fonctionnement du squat, que les volontaires se détendent.

Lina, jeune activiste grecque d’une vingtaine d’années en charge de la communication, me donne alors rendez-vous au bar du City Plaza. Avant de commencer l’interview, elle commande un café glacé au «barman», un jeune Afghan. «Ici, tout le monde participe. Il y a un planning pour chaque jour de la semaine attribuant à des chambres définies une tâche bien particulière, comme la préparation des repas, le nettoyage des zones communes, le service au bar ou encore la sécurité pendant la nuit.»

Je me rappelle que j’ai une fonction enregistrement sur mon téléphone, très utile pour ne pas perdre une miette de la discussion que voici, avec Lina.

Comment l’idée d’occuper le City Plaza est-elle née?

Ça faisait un moment que j’étais impliquée dans la cause des réfugiés et que je faisais du volontariat avec d’autres Grecs. Un jour, on a entendu parler d’un hôtel abandonné et on a décidé de le transformer en un centre d’accueil qui permette aux migrants et réfugiés de vivre dans des conditions décentes avec une chambre, une salle de bain, un peu d’intimité, quoi!

N’importe qui peut donc venir et demander une chambre?

On privilégie plutôt les cas vulnérables comme les femmes enceintes, les personnes âgées, les adolescents non accompagnés ou les familles avec des enfants en bas âge. Mais pas que. En tant que structure autogérée et auto-organisée, on a également besoin de compétences bien précises, utiles au quotidien. Il y a par exemple ici un couple de profs syriens qui donnent des cours d’anglais aux enfants. Et pour l’instant, avec environ quatre cents individus pour une centaine de chambres, on est complet de chez complet.

J’imagine que pour le financement, ça ne doit pas être facile. Comment faites-vous?

On est une organisation illégale aux yeux du gouvernement, on ne reçoit donc aucune aide pécuniaire de sa part, et on n’en veut pas, d’ailleurs! Pour l’instant, on arrive à tourner grâce aux dons. Les Grecs, pour qui la situation n’est pourtant pas facile, nous apportent de la nourriture, des habits et des jouets. C’est vraiment génial. Par contre, l’été on reçoit nettement moins de choses et ça devient un petit peu compliqué. Avec nos réserves, on devrait tenir jusqu’à début septembre, donc on compte beaucoup sur le bouche à oreille. Demain, si tu veux, tu peux venir un moment ici pour voir comment ça se passe.

Je me retrouve donc le lendemain à 8 h 45 dans la cuisine du City Plaza, avec mon appareil photo autour du cou, un peu penaude, alors qu’une équipe est en pleine préparation du petit-déjeuner, des tartines au Nutella pour être exacte. Je suis en train de lorgner dessus lorsque Cédric m’en propose une avec un léger sourire en coin. Il m’a grillée mais cela m’a au moins permis de pouvoir sympathiser avec ce réfugié gambien d’une quarantaine d’années, aujourd’hui chargé de la préparation des repas avec deux autres chambrées du squat. C’est l’effervescence en cuisine, je reviendrai voir Cédric plus tard et en profite pour aller me balader dans les couloirs de l’hôtel.

Prouver que c’est possible

A côté des ascenseurs condamnés, une jeune femme d’une vingtaine d’années est assise sur une chaise avec un adorable bébé d’environ 18 mois. Je craque complètement et m’approche d’eux: Awa et la petite Maria s’avèrent être la femme et la fille de Cédric. Qu’est-ce que fabrique au juste la mère sur sa chaise, en bas des escaliers? «Je serai assise ici aujourd’hui pendant les repas pour m’assurer que personne ne monte dans les chambres avec les assiettes, car c’est interdit, explique Awa. Pour l’instant, ça se passe bien. Il y a juste eu un problème avec un homme qui n’a pas voulu m’écouter et m’a vraiment manqué de respect.» Syriens, Afghans, Irakiens, Gambiens. Avec autant de nationalités différentes sous un même toit, les tensions sont fréquentes.

Le petit-déjeuner terminé, Cédric nous rejoint un moment avant d’attaquer la préparation du repas de midi avec le reste de l’équipe. L’occasion pour moi d’en apprendre un peu plus sur lui et sa famille.

Cédric, quand êtes-vous arrivés en Grèce avec Awa et Maria?

On est à Athènes depuis environ cinq mois. On logeait au sein d’une famille grecque jusqu’à il y a trois jours, date de notre arrivée ici.

Vous avez déposé une demande d’asile en Grèce?

Oui, et maintenant on attend. Et toi, tu viens d’où?

De Suisse.

Tu connais l’Afrique?

Pas vraiment, juste l’Algérie, car mon père vient de là-bas, mais c’est tout. C’est comment la Gambie?

C’est magnifique. J’avais un boulot là-bas, j’étais carreleur. On avait tout, on y était bien.

Pourquoi vous êtes partis, alors?

(Son regard se voile.) Je n’aime pas trop en parler, mais disons que si je ne craignais pas pour ma vie, je ne serais jamais parti. (Je n’insiste pas.)

Sans trop vraiment comprendre pourquoi, l’accès aux cuisines me sera tout d’un coup interdit par un volontaire de l’encadrement, très méfiant à mon égard. Je suis un peu frustrée, car cela m’empêche de continuer l’échange entamé avec Cédric. Je passerai donc le reste de la journée à me balader dans l’hôtel et à discuter avec les résidents, dont le maître-mot est l’attente. Celle des repas, qui rythment leur journée, celle du lendemain et surtout celle d’être enfin fixés sur leur sort.

Dans l’immédiat, les bénévoles grecs et étrangers présents dans ce squat se démènent pour leur offrir des conditions de vie décentes. Par leur mobilisation, dans ce qui était un hôtel il y a quelques mois encore, ils entendent prouver qu’il existe d’autres solutions que les camps et que l’intégration des réfugiés au quotidien des Grecs est possible. Je ne peux tout de même pas m’empêcher de me demander s’ils ne risquent pas d’avoir des problèmes avec les autorités sur le long terme, et je repense à Lina: «On est en permanence sur le fil et dans une peur constante de se faire mettre dehors. Mais pour l’instant, on tient.» 


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Régis Colombo
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