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Suisse-UE: l’année de tous les dangers

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Jeudi, 19 Décembre, 2013 - 05:53

Trois votes européensmenacent la rénovation de la voie bilatérale. Revue des enjeux en six questions cruciales.

Textes: Michel Guillaume et Chantal Tauxe
Dessins originaux: Matthias Rihs

Trois, deux, un, partez! C’est un vrai parcours du combattant qui débute dans la rénovation de la voie bilatérale entre la Suisse et l’Union européenne (UE): initiative UDC «contre l’immigration de masse» le 9 février prochain, initiative Ecopop pour limiter la croissance démographique, en novembre probablement, et extension de l’accord sur la libre circulation des personnes en 2015. Trois échéances aussi cruciales pour l’économie que délicates à négocier pour le Conseil fédéral, sans parler d’une votation sur un éventuel accord institutionnel entre Berne et Bruxelles.

C’est donc l’année de tous les dangers, mais de tous les espoirs aussi. Après la nette détérioration du climat bilatéral – pour ne pas parler de glaciation – vers la fin du règne de Micheline Calmy-Rey aux Affaires étrangères, l’atmosphère s’est réchauffée depuis l’arrivée de Didier Burkhalter et de son secrétaire d’Etat Yves Rossier. Une belle fenêtre d’opportunité s’ouvre jusqu’aux élections européennes de mai prochain pour régler le différend institutionnel.

Si la Suisse a toujours plébiscité la voie bilatérale jusqu’ici, les trois prochaines échéances n’ont plus rien à voir avec les précédentes. Pour la première fois, le peuple connaît tous les effets de la libre circulation des personnes (LCP), alors qu’il avait voté jusqu’à présent sur des régimes transitoires avec des clauses de sauvegarde. Il en sait les côtés très positifs: un regain de prospérité sans hausse du chômage, une hausse des salaires trois fois plus forte que dans les années 90. Mais il a aussi découvert le prix à payer pour ce succès: un pays de 8 millions d’habitants qui se densifie, des loyers en forte hausse dans certaines régions, des infrastructures parfois saturées, une concurrence accrue sur le marché du travail.

L’Hebdo décrypte en six points les enjeux des trois prochains scrutins.

01. La Suisse et l’UE parviendront-elles à parapher un accord institutionnel avant les élections européennes de mai 2014?

C’est le scénario le plus optimiste, mais oui, cette chance existe. D’ici à mi-janvier 2014, les deux partenaires auront approuvé un mandat pour commencer la négociation aussitôt après. Parallèlement, ils devraient aussi mettre sous toit un accord sur l’énergie… après cinq ans de fastidieuses palabres.

Alors que les fronts s’étaient figés en 2012, les deux sherpas Yves Rossier pour la Suisse et David O’Sullivan pour l’UE ont bien déblayé le terrain en rédigeant, fait rare, un document commun. C’est nouveau: à Bruxelles aussi, l’on affiche également une volonté de conclure rapidement: «Nous avons tendu la main à la Suisse pour l’inviter sur la piste de danse. Mais ce n’est pas encore un slow», sourit un diplomate européen. Un accord avec la Suisse permettrait au président de la Commission José Manuel Barroso de conclure son deuxième mandat en beauté. Avec son successeur, tout redeviendrait plus laborieux.

Le calendrier est ambitieux, car les dossiers à ficeler sont aussi nombreux que complexes. Il faut régler la question institutionnelle afin de déterminer qui jouera le rôle du juge-arbitre en cas de différend entre les deux parties. Mais il y a aussi d’autres dossiers sur lesquels l’UE attend de la Suisse de gros progrès, même s’ils ne seront pas bouclés aussi vite: les régimes fiscaux cantonaux et la fiscalité de l’épargne. Enfin, même si elle ne l’a jamais formulé officiellement, l’UE escompte bien que la Suisse débloque une nouvelle contribution de solidarité de plus d’un milliard de francs destinée aux nouveaux membres de l’UE.

Le délai du premier semestre paraît d’autant plus ambitieux que l’UE consultera probablement la Cour de justice – qui devra dire le droit en cas de différend sans que cet avis ne soit contraignant – à propos de cet accord institutionnel l’impliquant directement. Cela risque fort de retarder l’aboutissement de la négociation.

02. Une acceptation de l’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse» le 9 février 2014 permettrait-elle à la Suisse de négocier des contingents?

L’UDC est bien la seule à penser cela. Cette initiative, qui vise à réintroduire des contingents restreignant l’immigration, viole clairement un principe sacro-saint au sein de la communauté, soit la libre circulation des personnes. C’est la première des quatre libertés du grand marché intérieur. De José Manuel Barroso à l’ambassadeur de l’UE à Berne Richard Jones, tous les Européens ont déjà donné le même signal. «Ce principe n’est pas négociable.»

Pas besoin d’être grand clerc pour l’affirmer: une approbation de l’initiative affaiblirait la position du Conseil fédéral face à Bruxelles. Le gouvernement pourrait se dégager astucieusement une marge de manœuvre en proposant à l’UE de fixer des contingents au moins équivalents à la moyenne des années précédentes. De leur côté, assurément, les Européens ne se gêneraient plus pour remettre en question les mesures d’accompagnement de la LCP décrétées par le Parlement helvétique. L’UE n’a ainsi jamais digéré la règle imposant aux entreprises étrangères venant travailler en Suisse de s’annoncer huit jours avant, une mesure qu’elle juge «disproportionnée et discriminatoire».

Au bout du compte, la Suisse risque d’être deux fois perdante avec des pseudo-contingents pour satisfaire l’initiative et un démantèlement des mesures d’accompagnement. Elle pourrait peut-être renégocier mais la probabilité que le résultat soit plus satisfaisant que le système actuel est un leurre.

03. L’UE actionnera-t-elle la clause guillotine?

C’est évidemment ce que clament urbi et orbi le Conseil fédéral et l’ambassadeur de l’UE à Berne Richard Jones. Théoriquement, comme cette initiative viole l’accord sur la LCP, le Conseil fédéral devrait le dénoncer immédiatement. Corollaire: comme une clause lie les sept premiers accords bilatéraux – des marchés publics aux transports terrestres en passant justement par la LCP –, tout l’édifice de la voie bilatérale s’effondrerait. Un véritable cataclysme!

En réalité, il est fort probable que les choses se passeraient différemment, ainsi que le révèle notre enquête dans les arcanes bruxellois. «Nous serions bien sûr choqués par l’acceptation de l’initiative, mais nous allons attendre de voir comment la Suisse l’appliquerait concrètement», confie un diplomate européen. L’eurodéputé allemand du Bade-Wurtemberg Andreas Schwab ajoute: «L’activation de la clause guillotine créerait d’énormes problèmes dans les zones transfrontalières comme la mienne.» C’est dire que même en supposant que l’Europarlement tape sur la table et demande la dénonciation de l’accord sur la libre circulation, la Commission se cantonnera plutôt dans une position d’expectative. Elle ne dénoncerait donc l’accord sur la LCP que lorsque la Suisse le violera concrètement dans les faits. L’initiative prévoit un délai de trois ans pour renégocier – une période de marasme et d’incertitude juridique est programmée.

04. Quels seraient les effets de l’initiative Ecopop?

Tout comme celle de l’UDC, cette initiative viole l’accord sur la libre circulation ratifié avec l’UE. Mais elle est encore plus dangereuse que la première pour l’économie. Elle veut d’une part limiter la croissance démographique à 0,2% par année et d’autre part consacrer 10% de l’aide au développement – environ 170 millions de francs – à des mesures de régulation des naissances dans les pays en voie de développement.

Ecopop donnerait un sérieux coup de frein à la croissance. Actuellement, la bonne conjoncture provoque un solde migratoire positif oscillant chaque année entre 70 000 et 80 000 personnes en Suisse. En le réduisant à moins de 20 000 personnes, les initiateurs le ramèneraient au niveau de la moyenne des pays de l’UE, dont la majorité d’entre eux est en douloureuse panne de croissance.

Soumise au peuple au plus tôt en novembre 2014, cette initiative sera aussi plus difficile à combattre pour le Conseil fédéral. Elle rallie les faveurs de tous ceux qui considèrent la Suisse à 8 millions d’habitants comme «surpeuplée» et ratisse donc très large sur l’échiquier politique: de la droite populiste à des écologistes comme l’ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement Philippe Roch ou Franz Weber.

Même si les initiateurs posent d’intéressantes questions sur les limites de la croissance, ils occultent complètement les défis qu’une Europe – y compris la Suisse – vieillissante devra relever pour continuer à faire fonctionner son économie à moyen terme, relève encore l’eurodéputé allemand Andreas Schwab. «Une étude a révélé que, dans notre seul land, il nous manquera quelque 500 000 personnes à l’horizon 2020 déjà pour occuper des emplois qui existent aujourd’hui. Comment y parviendrons-nous sans recourir à l’immigration?», interroge-t-il.

05. Pourquoi l’extension de la libre circulation à la Croatie sera-t-elle le plus gros obstacle à surmonter?

Sur le papier, l’enjeu est dérisoire. Il s’agit d’étendre l’accord sur la LCP à la Croatie, un petit pays de 4,5 millions d’habitants, et de lui accorder une aide à la coopération de 45 millions de francs. Et pourtant! Des trois scrutins européens à venir, ce sera la mère des batailles. Cet objet est explosif dans la mesure où, en s’y opposant, le peuple suisse discriminerait le dernier membre de l’UE, qui y a adhéré en juillet 2013.

De surcroît, cette votation interviendra en 2015, soit en pleine année électorale. C’est dire qu’elle incitera les partis à maintenir une pression maximale – pour ne pas parler de chantage – sur le Conseil fédéral.

L’UDC a déjà annoncé le référendum, prétendant sans rire que cette extension «provoquera une vague d’immigration encore plus forte» que toutes celles vécues jusqu’ici! Quant aux socialistes, ils conditionnent leur soutien à un renforcement des mesures d’accompagnement. Même si, en leur for intérieur, ils ne souhaitent guère remettre en question la voie bilatérale, ils s’adonnent là à un jeu dangereux.

Car si l’UE pourrait se contenter d’attendre la mise en application des initiatives UDC et Ecopop, elle se verrait ici contrainte de réagir au quart de tour. Jamais elle ne tolérera la discrimination d’un de ses membres. «C’est comme si vous les Suisses signiez un accord qui ne profiterait pas à l’un de vos cantons», dit un diplomate européen. Il y a fort à parier que l’UE menacerait très vite de dénoncer l’accord sur la LCP.

06. Que se passera-t-il si la Suisse et l’UE trouvent un accord institutionnel, mais qu’ensuite le peuple dise oui à Ecopop ou non à la Croatie?

Pour le patron des Affaires étrangères Didier Burkhalter, ce serait le scénario catastrophe. Deux ans d’intenses efforts diplomatiques réduits à néant. La victoire d’étape de l’accord institutionnel serait reléguée aux oubliettes dans la mesure où le processus de sa ratification serait immédiatement interrompu à Bruxelles.

Cette décision du peuple suisse aurait aussi des répercussions négatives dans des secteurs où la Suisse est associée à des programmes européens, comme la recherche par exemple. L’UE verserait-elle le milliard d’euros promis au projet de l’EPFL Human Brain Project? Pas sûr, ou en tout cas pas dans les délais prévus.

Quant aux Etats membres, ils pourraient prendre individuellement des mesures de rétorsion, plus ou moins discrètement. Certains seraient tentés de défavoriser les travailleurs suisses en les considérant comme des citoyens d’Etats tiers; et d’autres de retarder le transit des produits suisses aux douanes.

De manière générale, le danger reste le même en cas d’échec, ne serait-ce qu’à l’un de ces trois votes européens. «Dans le scénario catastrophe, la Suisse et l’UE risquent de retomber dans une relation de libre-échange qui ne garantit pas l’accès au marché intérieur, soit comme après leur accord de 1972», résume l’ambassadeur Luzius Wasescha. Avec, à la clé, une instabilité juridique qui pourrait coûter de nombreux emplois à l’économie helvétique. 


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