Le fait d’être Suisse implique-t-il une identité?
La Suisse n’est plus tout à fait celle du propre en ordre, des trains à l’heure et d’un secret bancaire inexpugnable. Elle n’est pas non plus le pays d’un peuple unique, mais une terre où se côtoient 26 régionalismes. Notre fédéralisme nous détermine mais, n’en déplaise à Victor Hugo qui écrivait que, dans «l’histoire des peuples, la Suisse aura le dernier mot», la Confédération semble plus assujettie que jamais à la rumeur du monde.
Denis de Rougemont rêvait d’un fédéralisme universel, mais l’univers n’est de loin pas peuplé uniquement des héritiers d’une histoire faite de consensus, de négociations et de pas de deux ayant largement orienté les mentalités et les réactions de nous autres les Suisses. Il s’est embrasé, estompant les rêves d’antan, donnant au mot liberté une tonalité que nous ne percevons sans doute pas encore bien distinctement.
De facto, nous sommes les légataires des stratégies de neutralité adoptées au cours de notre histoire, provoquées par la situation et l’étendue de notre pays, et qui constituent l’un des fondements de notre identité. De là provient notre prudence, notre tiédeur. Les votations fédérales en sont l’ultime démonstration, décisions d’un souverain qui boycotte l’audace et qui donne sa préférence à une circonspection garante de notre longévité autant que de notre absence de panache. Faut-il s’en réjouir? A chacun de répondre à cette question!
Certes, la Suisse symbolise une terre de liberté, baignée à la lumière d’une trinité identitaire dont le credo fédéraliste concurrence depuis longtemps une mystique forgée entre l’enclume d’une neutralité forcée il y a cinq siècles et d’un marteau scandant depuis lors notre nanisme. Mais combien de temps pourrons-nous rester «au-dessus de la mêlée», pour plagier Romain Rolland, dans notre «cité de l’Exigence morale et spirituelle» qui dissimule ruelles borgnes, impasses et arrière-cours putrides?