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Être Suisse. Par Sylviane Roche

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Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:53

Je suis devenue Suisseà l’époque où épouser un Suisse donnait automatiquement le passeport. Mais la réciproque n’était pas vraie. Les femmes helvétiques étaient en quelque sorte des citoyennes de seconde zone, puisque leur nationalité n’était transmissible ni à leur mari ni même à leurs enfants. Tandis que l’Helvète, lui, nationalisait d’un trait de plume toutes ses possessions, femme comprise…

Alors, cette nationalité, je l’ai vécue comme l’expression d’une bizarre infériorité: j’étais, en tant que femme, tellement insignifiante qu’on me donnait automatiquement le passeport à croix blanche sans s’assurer au préalable que mes connaissances en histoire, en cuisine ou en langue répondaient de mon intégration, comme on le fait pour ceux qu’on naturalise.

Le passeport, c’est un peu comme le permis de conduire. Tout le monde sait que seule l’habitude fera de nous un conducteur correct. On peut dire que c’est après l’avoir obtenu que j’ai commencé à apprendre à devenir Suisse, du moins autant que je pouvais l’être.

Suis-je Suisse? J’ai passé plus des deux tiers de ma vie en Suisse. Je vote en Suisse. Je publie en Suisse. J’ai découvert avec intérêt, et même avec passion, l’histoire suisse, si inconnue hors des frontières, si fondamentale pour comprendre le monde et surtout l’Europe d’aujourd’hui. Inlassablement, j’explique la Suisse aux Français, et ce n’est pas une petite tâche, car personne ne comprend rien à ce pays si original, si exemplaire dans bien des aspects, si méconnu…

J’ai appris à aimer ce français vaudois, si riche et si particulier, si imagé et si savoureux, au point que je comprends presque tous les mots de la belle chanson de Michel Bühler Les beaux lourdauds. Ramuz est devenu un de mes écrivains préférés et Raison d’être un des livres fondamentaux de ma vie.

Le Département politique m’a envoyée en Amérique, en Europe centrale, pour expliquer la francophonie helvétique, promouvoir nos écrivains, notre français…

J’ai pour ce pays qui m’a accueillie avec ouverture et générosité une reconnaissance absolue. Je suis Suisse… Mais pas seulement…

C’est une question d’enfance, sans doute, de souvenirs enfouis, de choses oubliées qui font le terreau de ce que nous sommes. Et moi, mes racines ont poussé à Paris.

Mais je ne suis pas fière d’être née Française, je n’y suis pour rien. Pas plus fière d’être devenue Suisse, je n’y suis, on l’a vu, pour pas grand-chose. Mais je comprends ces deux pays, ces deux peuples, ces deux cultures, peut-être mieux que si je n’avais pas un pied de chaque côté de la frontière.

Le sentiment d’appartenance dont on parle tant est quelque chose de si mélangé, de si multiple. Les identités se doivent d’être plurielles, sinon elles deviennent vite meurtrières.

Je suis Suisse. Je suis Française. Je suis une femme (c’est peut-être d’ailleurs par là que je commencerais). Je suis née dans une famille juive athée… Je suis tout cela et plein d’autres choses.
Le 1er août, je pense à la Suisse. Le 14 juillet à la France. Le 16 juillet à la rafle du Vél d’Hiv. Le 11 novembre à l’Armistice. Le 28 mai à la Semaine sanglante. Le 9 novembre à 1932…

Que de raisons d’aimer, d’espérer, de pleurer aussi!

Je suis peut-être juste une Européenne, et en cela, sûrement, une vraie Suissesse d’aujourd’hui! 

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