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Être Suisse. Par Micheline Calmy-Rey

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Jeudi, 28 Juillet, 2016 - 05:57

Ce qui nous unit, c’est la volonté de vivre ensemble avec nos différentes langues, origines et religions. Ce qui nous unit, ce sont des symboles, comme le Grütli; des valeurs, comme la neutralité. C’est tout ce qui lie chacun et chacune d’entre nous à son pays, à ses institutions politiques, à sa tradition pacifique et démocratique. C’est notre attachement à nos paysages, nos lacs et nos montagnes, à un univers de couleurs, de saveurs et d’odeurs. Ce qui nous fait nous savoir chez nous, ce sont les wagons CFF, les panneaux verts des autoroutes, les cars postaux du géant jaune; ce sont nos parlers lents, nos accents, la diversité de nos langues et de nos cultures.

Il était une fois un commentateur britannique qui parla de «swissness» à propos de l’Europe. Elle se serait assoupie, gavée de prospérité et devenue sans influence politique dans le monde. Il illustra sa thèse avec une citation tirée du film d’Orson Welles Le troisième homme: l’Italie sous les Borgia avait vécu de guerres et de sang pendant trente années. Elle produisit Michel-Ange, Léonard de Vinci et la Renaissance.

La Suisse connut cinq cents ans de paix et de démocratie et n’aurait inventé qu’une horloge. Une horloge, oui, qui marque le temps et qui a révolutionné le fonctionnement des sociétés industrielles, une horloge, produit de technologies de plus en plus sophistiquées, comme l’horloge atomique, le meilleur d’une Suisse, moderne et innovatrice, capable de faire valoir son savoir-faire et ses atouts partout dans le monde.

En Suisse, la diversité n’est pas une illusion, mais une réalité; quatre langues nationales, différentes religions, différentes cultures, différentes ethnies. La Suisse n’est pas monolangue, monoculture, monoethnie. Elle est translangue, transculture, transethnie. Le moins que l’on puisse dire est que la Suisse est un pays intéressant à la fois parce que ses citoyens et citoyennes participent directement au processus de prise de décision politique et parce que la Suisse est un modèle unique de fédération dans le contexte européen. La Suisse est une démocratie transnationale qui réussit malgré la diversité de ses langues, de ses ethnies et de ses cultures.

En 2008, la Suisse gagne la Coupe de l’America. Sur le bateau d’Alinghi, un seul membre de l’équipage de nationalité suisse. J’ai été très fière de cette capacité suisse de réunir, de souder des personnes venues d’horizons divers et de faire de cette addition des différences un atout gagnant.

Le monde est interdépendant et globalisé. Cela signifie des mouvements de capitaux, de marchandises, de services et de populations. Comment agir? Comment réagir à ce qui se passe?

Nous vivons dans un monde où les inégalités s’accroissent. Pas seulement les inégalités matérielles, avec une répartition injuste des richesses, mais aussi les inégalités culturelles et religieuses. Ces différences sont vieilles comme le monde et elles comprennent toujours deux côtés, elles nous enrichissent mutuellement mais sont aussi sources de conflits et de mal-être. La présence de l’autre génère souvent un sentiment de perte, perte de soi-même, de son identité, de sa patrie. Et nous réagissons avec peur. Qui a peur bâtit des barrières, renforce les frontières. Ainsi, l’autre devient encore plus autre et la capacité de bâtir en commun s’érode.

Nous sommes des patriotes qui aiment leur pays et celles et ceux qui y vivent. Nous ne sommes pas des nationalistes qui ont fait le choix de haïr les autres et de les exclure. Ce dont nous avons besoin, c’est d’unir et non pas d’exclure. La diversité et la multiplicité des origines et des cultures sont pour nous une réalité familière, vécue au quotidien. Elles sont notre identité. Sur elles reposent les valeurs qui assurent la cohésion de notre pays.

Mais les valeurs ne poussent pas sur les arbres. Elles grandissent au cours d’un processus historique, elles naissent dans le discours, dans la pensée, dans la pratique politique, et dans le dialogue avec la différence. Il nous faut débattre des valeurs, les étudier, les entretenir, les transmettre et, au besoin, les défendre et les assumer.

Un sentiment d’appartenance naît d’une histoire, d’activités, d’événements et de discussions communes à travers un échange permanent entre autorités et population. Cela nécessite de pouvoir interagir et s’influencer mutuellement. C’est la réalité de mon pays, c’est aussi ma vision de l’Europe: une Europe qui motive ses citoyens et ses citoyennes, leur donne le pouvoir de faire, de comprendre leur continent et de le considérer comme étant le leur. Et lorsque l’on se pose la question de savoir comment créer une identité lorsque celle-ci n’existe pas, alors le modèle suisse peut inspirer.

Le XXIe siècle pose la question de l’intégration, de sa voie et de ses moyens. Il me paraît que là se situe le vrai débat de l’identité. 

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