Adriá Budry Carbó, Yves Genier et Valère Gogniat
Zoom. Les grands noms des entreprises helvétiques se bousculent à la Maison suisse à Rio pour réseauter. Mais elles ont très peu bénéficié de la préparation des Jeux.
Pas besoin de parler portugais pour comprendre: «Concorra a um encontro com Roger Federer!» Les 20 gagnants du concours organisé par Lindt & Sprüngli devaient trépigner d’impatience à l’idée de discuter quelques minutes avec le champion suisse de tennis lors d’une «rencontre exclusive» en marge des Jeux olympiques de Rio. Or l’événement a dû être annulé à la suite du forfait de la star aux JO. Si les 20 Brésiliens sont certainement déçus, pour Lindt & Sprüngli, rien de trop grave.
La marque pourra toujours se rattraper en distribuant ses douceurs à la Maison suisse. Le chocolatier fait partie de la vingtaine de sociétés qui prendront leurs quartiers à Baixo Suíça, véritable vitrine du savoir-faire helvétique en marge des Jeux. Au menu notamment: concert de Bastian Baker et boule à neige géante (avec de la vraie neige).
Premier constat, en amont des JO, le succès n’a pas été au rendez-vous. Des quelque 10 milliards de francs investis dans les travaux d’aménagement et d’équipement, pratiquement aucun n’a été attribué à des entreprises industrielles helvétiques, observe-t-on à la Chambre de commerce Suisse-Brésil à São Paulo. ABB n’a décroché aucun contrat. Schindler et Stadler Rail non plus. Les usines suisses de Siemens n’ont pas bénéficié des retombées de la prolongation d’une ligne de métro de Rio effectuée par le géant allemand en prévision des Jeux.
Mais tout n’est toutefois pas perdu pour les entreprises suisses. Car il reste l’investissement pendant l’événement. «Pour les entreprises, il y a là deux catégories de présence possibles», commente Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse. La Maison suisse et le terrain. Dans le premier cas, il faut se débrouiller pour trouver une place dans ce petit village installé au bord du ravissant Lagoa Rodrigo de Freitas, à 12 kilomètres au sud du stade Maracanã.
Budget: 6,3 millions de francs, payés à hauteur d’un tiers par les sponsors, le reste par la Confédération. Entre 400 000 et 500 000 visiteurs y sont attendus par une septantaine d’employés. «Sur la trentaine de maisons du genre, nous sommes l’une des seules à être ouvertes au public, gratuitement», soutient Nicolas Bideau par téléphone.
Les entreprises suisses qui ont décroché leur ticket d’entrée dans ces 4100 mètres carrés s’adresseront d’abord aux consommateurs finaux. Nestlé y proposera cafés et bouteilles d’eau mais sera surtout visible grâce à une exposition qui retracera les 150 ans de sa présence au Brésil, son quatrième marché en termes de ventes. Il y aura aussi Curaprox, fabricant lucernois des brosses à dents Swiss made dont Martina Hingis est l’ambassadrice. «Méconnu chez nous, mais hyperconnu au Brésil», précise Nicolas Bideau. Convaincue qu’il y a de la place en Amérique latine pour son chasselas, l’Association des vignerons de La Côte vaudoise fera également le déplacement.
Le tourisme n’est pas en reste: Saint-Moritz, Jungfrau, Lucerne et la région du Léman s’afficheront aussi dans la Maison suisse. «Attention, on ne veut pas qu’il y ait juste une ou deux photos de montagnes. La présence de ces destinations doit faire vivre la Suisse», martèle le directeur de Présence Suisse. Avec, par exemple, une patinoire de 200 mètres carrés, une boule à neige «avec de la vraie neige» et une cabine réfrigérée «pour prendre le frais».
De plus petites sociétés comme Feuerring (spécialiste zurichois des grils haut de gamme) profiteront de cette plateforme pour tenter de se faire connaître sur le marché brésilien. Victorinox, Vitra, Kühne + Nagel… Nicolas Bideau pourrait citer encore 50 entreprises. Il y aura même certaines sociétés brésiliennes, comme la marque de bière Skol. Qui ont reçu la permission de rejoindre la Maison suisse à condition, bien entendu, qu’elles n’entrent pas en concurrence avec des entreprises déjà présentes sur place.
Relations d’affaires et énergies renouvelables
Tout un secteur de la Maison suisse sera réservé aux relations d’affaires. «Les terrasses privées (dont l’une est sponsorisée par la compagnie aérienne Swiss) peuvent être louées par des entreprises qui invitent par exemple des clients importants», relève Nicolas Bideau, qui cite la présence de l’assureur Zurich et d’UBS dans ce secteur.
C’est aussi là que se dérouleront les événements du Swiss Business Hub Brésil. Le représentant de l’organisme de promotion des exportations Switzerland Global Enterprise (S-GE) coorganise avec le réseau d’échanges scientifiques Swissnex une journée consacrée aux énergies renouvelables le 8 août. Un secteur où la Suisse «a un tour d’avance, explique son directeur Thomas Foerst. Il y a des opportunités, notamment au niveau de la production d’énergie renouvelable ou du traitement des déchets.»
Plusieurs start-up ont été invitées à venir présenter leurs logiciels de gestion énergétique ou autres systèmes photovoltaïques. C’est le cas d’Urban Flow, qui développe des éoliennes en milieu urbain. Objectif pour ce spin-off de l’EPFZ: tester son prototype sur un grand marché international. «Avec ses nombreuses installations hydroélectriques, le Brésil possède déjà une bonne prédisposition envers les énergies renouvelables, explique Paul Westermann, cofondateur et étudiant de master. Mais le potentiel éolien, notamment autour de la région de Fortaleza (nord-est du Brésil), est encore largement inexploité.»
Omega, envié par Seiko
On trouvera également des entreprises suisses sur le terrain, au contact des sportifs. Mais elles y sont nettement moins nombreuses. Le statut privilégié du chronométreur officiel est trusté par Omega depuis 1932, selon sa communication. Il s’agit de l’unique entreprise suisse jouissant du statut de «partenaire olympique» aux côtés de McDonald’s, Toyota ou General Electric. Un partenariat qui permet à la marque horlogère entre les mains de Swatch Group de s’afficher partout (des rebords des piscines au cœur des stades).
Cette année, la préparation des Jeux, qui passe notamment par l’envoi de 450 tonnes d’équipement dont 79 panneaux d’affichage géants et 200 kilomètres de câbles et de fibre optique, s’est révélée plus compliquée que prévu. «Nous avons dû renforcer nos équipes», nous explique notamment le patron de Swatch Group, Nick Hayek. Entre les tensions politiques, la bureaucratie, la corruption, «c’est un défi de taille».
Outre le fait qu’il y ait davantage de disciplines à chronométrer par rapport aux éditions précédentes, les «conditions locales» et la «situation très difficile au Brésil» sont également pointées du doigt dans le communiqué présentant les résultats semestriels du groupe biennois. Et comme «beaucoup plus de ressources étaient nécessaires par rapport aux précédents Jeux», les dépenses supplémentaires se sont élevées à un montant à deux chiffres en millions.
Malgré toutes ces difficultés, la position d’Omega reste très enviée par ses concurrents horlogers. Et notamment par Seiko. Un bref rappel: en 1964, à l’occasion des JO qui se sont tenus à Tokyo, le groupe japonais pionnier des montres à quartz a pu prendre la place d’Omega comme chronométreur officiel. Dès lors, à l’heure des premiers préparatifs des Jeux 2020 qui se tiendront de nouveau au Japon, la marque fondée par la famille Hattori espère réitérer cet exploit.
Selon nos informations, lors de la foire de Bâle de 2014, le président de Seiko a offert une montre mécanique à Nick Hayek, gravée à son nom, pour souligner la bonne entente entre l’horloger japonais et Swatch Group. Il a par ailleurs saisi l’occasion de lui demander si, en 2020, Omega ne pourrait pas laisser un peu de place à Seiko, d’une manière ou d’une autre. Sans confirmer ni infirmer cette information, le patron de Swatch Group répond simplement que «cela serait un peu difficile, comme on peut aisément l’imaginer».
Plus modestement, d’autres sociétés suisses seront également présentes sur les stades. C’est par exemple le cas d’On, start-up zurichoise active dans la chaussure et fournissant de nombreux athlètes internationaux à l’instar de la Suissesse Nicola Spirig, médaille d’or de triathlon aux Jeux de Londres en 2012. Le cofondateur d’On, David Allemann, rêve d’améliorer la visibilité de ses chaussures sur le plan mondial. Mais qu’attend-il concrètement, au-delà du marketing et de ses effets de manches? «En fait, très peu de chose.» Car ce n’est pas dans une enceinte olympique que l’on noue des contrats, tout au plus des contacts.
Barrières à l’entrée élevées
Pour ceux qui sont restés aux portes de Rio, la partie est loin d’être jouée. Le Brésil reste réputé «très difficile pour les exportateurs suisses, très protectionniste, avec une fiscalité pénalisante», fait remarquer Philippe Cordonier, responsable pour la Suisse romande de Swissmem, l’association faîtière de l’industrie des machines. Sans parler de la corruption, qui grippe la machine et alourdit les coûts. Le Brésil a chuté à la 76e place à l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
Stratégie à long terme
Du côté d’Urban Flow, on avoue ainsi avoir eu du mal à faire entrer son matériel dans le pays. «Entre les taxes douanières et la logistique, on nous demandait près de 8000 francs pour faire transiter nos prototypes de turbines entre la Suisse et le Brésil. Une somme exorbitante quand on sait qu’elles entrent dans le coffre d’une voiture.» C’est finalement l’adoption d’une procédure facilitée pour l’importation temporaire de biens qui débloquera la situation… trois semaines avant les JO.
Des difficultés admises par le patron du Swiss Business Hub au Brésil, Thomas Foerst: «Les barrières à l’entrée sont élevées. Les entreprises qui s’intéressent à ce pays doivent avoir une stratégie de long terme. Mais une fois l’accès au marché garanti, le potentiel est énorme.»
Pendant trois semaines, un petit coin de Suisse sera ainsi ouvert au Brésil. Et, même si cela ne suffit pas pour réconforter les lauréats du concours Lindt & Sprüngli, ces derniers ne sont pas à plaindre. Le groupe de Kilchberg se rattrape en invitant les 20 Brésiliens en Suisse pour une nouvelle rencontre avec Roger Federer. Et une visite de sa fabrique de chocolat.
Suisse-Brésil en chiffres
La Suisse n’est pas un Petit Poucet au Brésil. Avec 13,6 milliards de francs d’investissements, la patrie de Heidi représente l’un des plus gros investisseurs du pays latino-américain. Une performance liée notamment à la présence du groupe pharmaceutique Novartis, de l’agroalimentaire Nestlé ou du géant de l’électrotechnique ABB. Conjointement, les entreprises suisses emploient 68 484 personnes au Brésil.
En 2015, la Suisse a importé pour 1,43 milliard de francs de marchandises brésiliennes, principalement de l’or, du café et de l’aluminium brut, tandis qu’elle exportait au Brésil pour 2,04 milliards de francs de produits pharmaceutiques, de produits chimiques ou des machines, selon les données du Secrétariat d’Etat à l’économie. Bien que d’autres pays latino-américains possèdent des traités de libre commerce avec la Suisse, c’est le Brésil qui reste le premier partenaire économique de la Suisse sur le continent, fait valoir le patron du Swiss Business Hub au Brésil, Thomas Foerst.