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À Rio 2016, la Suisse en force

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Jeudi, 4 Août, 2016 - 06:00

Lionel Pittet et Laurent Favre

Eclairage. Malgré l’absence des stars Federer et Wawrinka,  la Suisse envoie sa plus forte sélection depuis vingt ans aux Jeux olympiques qui s’ouvrent vendredi 5 août. Revue des troupes, alors que Swiss Olympic table sur cinq médailles. Autour des athlètes, dirigeants des fédérations sportives internationales, juristes du Tribunal arbitral du sport, chronométreurs, fonctionnaires fédéraux et lobbyistes composent l’autre délégation suisse.

L’histoire retiendra peut-être que c’est un soir de fête nationale que tout a commencé. Lundi 1er août, dans le hall des départs de l’aéroport de Kloten, les facettes du tableau d’affichage tournent et se figent pour annoncer le vol Swiss de 22 h 40 à destination de Rio de Janeiro. Le signal du début de l’aventure pour une grosse partie de la délégation suisse aux Jeux olympiques.

Tous portent les effets que, quelques semaines plus tôt, ils étaient venus percevoir à Luterbach, dans le canton de Soleure. Ils avaient alors l’air de recrues touchant le paquetage militaire, les filles et le sourire en plus. La chronique de la Suisse aux JO a toujours hésité entre la tentation de deux clichés contraires: d’un côté des touristes en vacances, de l’autre des soldats en mission. Entre l’idéalisme de Coubertin («l’essentiel est de participer») et le rigorisme protestant (on n’est pas là pour rigoler).

D’une édition à l’autre, d’un extrême à l’autre, les responsables de Swiss Olympic ont souvent tâtonné, louvoyé, imposant tantôt une stricte sélection pour n’envoyer que des athlètes à potentiel de médaille, puis lâchant la bride qu’ils venaient de tirer parce que des standards élevés usent les candidats avant l’heure. Constamment, ils ont cherché la meilleure formule, ne restant inflexibles que sur un point: une tolérance zéro et une vigilance maximale à propos du dopage. Mais quelles que soient les modes, les générations ou les tendances, le résultat est resté invariablement le même: depuis Rome 1960, la moisson suisse tourne à une moyenne de 5 médailles, avec quelques pics (9 en 2000 à Sydney) et quelques gouffres (1 en 1992 à Barcelone).

Cinq médailles, c’est encore une fois l’objectif fixé par Swiss Olympic aux 106 sportifs (47 femmes et 59 messieurs) qui représenteront la Suisse dans 16 disciplines à Rio. C’est une de plus que les quatre ramenées de Londres en 2012, où Swiss Olympic en espérait 10. «Si tous nos candidats aux médailles restent en bonne santé et s’ils peuvent réaliser leur meilleure performance le jour J, alors on peut même envisager plus que ça, espère Ralph Stöckli, le nouveau chef de mission. A Londres, nous avons constaté que tout pouvait se jouer sur un détail. Faire un pronostic est toujours hasardeux.» Essayons tout de même…

Le contre-exemple du tennis

En sport, rien n’est jamais acquis. La débandade de l’équipe de tennis en est l’exemple cuisant. Il y a deux semaines, la Suisse pouvait rêver d’atteindre son quota de médailles juste avec des raquettes. La Suisse brille en tennis depuis vingt-cinq ans et le titre surprise de Marc Rosset aux JO de Barcelone en 1992. A Rio, les chances étaient démultipliées par les combinaisons qu’offraient Federer et Wawrinka chez les hommes, Martina Hingis, Belinda Bencic et Timea Bacsinszky chez les dames. Le double mixte Hingis-Federer semblait imbattable, les paires Hingis-Bencic et Federer-Wawrinka étaient très compétitives.

Le directeur du sport d’élite de Swiss Tennis, Alessandro Greco, s’en réjouissait dernièrement. «Jamais encore nous n’avons été représentés par une délégation aussi forte.» Les forfaits de Federer le 26 juillet, de Bencic le 27 et de Wawrinka le 2 août ont tout remis en question. Aucun garçon n’a le classement suffisant pour remplacer numériquement Federer et Wawrinka; Viktorija Golubic, appelée pour épauler Bacsinszky en double, a été la victime indirecte du forfait de Bencic. Il n’y a plus que deux Suissesses en lice: Timea Bacsinszky et Martina Hingis, qui s’aligneront ensemble en double. Seule la Vaudoise est admise dans le tableau du simple dames.

En VTT, une paire d’as

La sélection suisse de VTT aligne le quintuple champion du monde de cross-country Nino Schurter. A 30 ans, le Grison règne sur sa discipline. Remporter l’or à Rio serait la suite logique de sa progression olympique après avoir décroché le bronze en 2008 et l’argent en 2012. En octobre dernier, il s’était par ailleurs imposé lors de l’épreuve du test préolympique sur le parcours des Jeux de Rio. Chez les dames, Jolanda Neff (23 ans) pourrait aussi laisser ses rivales admirer ses belles boucles blondes de derrière. Elle devra toutefois réussir à oublier des problèmes de dos qui l’ennuient parfois et passer outre la pression des grands événements, elle qui est passée à côté des deux dernières éditions des Mondiaux.

Pour les spécialistes de VTT comme pour la plupart des athlètes présents à Rio, les Jeux olympiques constituent de véritables balises dans une carrière. Il n’y a guère qu’en football, en tennis et dans quelques autres sports que le prestige des Jeux n’écrase pas toutes les compétitions. Dans les autres disciplines, l’avenir se découpe en tranches de quatre ans. La retraite sportive de la judoka Juliane Robra (qui a échoué à se qualifier pour Rio) ou celle, annoncée pour la fin des Jeux, de l’escrimeuse Tiffany Géroudet l’illustrent.

Nino Schurter souligne son objectif olympique dans toutes les interviews qu’il accorde depuis plusieurs années. Même lorsqu’il annonçait une parenthèse «cyclisme sur route» à sa carrière en 2014, il restait «focalisé sur la conquête du titre olympique en 2016». Dernièrement, il soulignait même que la Coupe du monde de VTT était cette année secondaire à ses yeux. Forcément, les attentes et la pression sont maximisées.

L’or dans la continuité

S’il ne fallait pas tenir compte de la glorieuse incertitude du sport, une médaille d’or serait aussi garantie au quatre sans barreur poids léger de Mario Gyr, Simon Niepmann, Simon Schürch et Lucas Tramèr. En aviron, ce quatuor-là domine sa discipline sans partage et reste sur quatre titres européens consécutifs et trois mondiaux. Pas question de se cacher: seule la médaille d’or aurait la bonne couleur à leurs yeux.

«Depuis début 2015, nous n’avons jamais terminé moins bien classés qu’à la deuxième place des épreuves auxquelles nous avons pris part. Une médaille serait donc la continuité logique, explique le Genevois Lucas Tramèr. Et comme nous savons que nous pouvons rivaliser avec les meilleurs, nous visons l’or. C’est pour gagner que nous allons aux Jeux.» Le quatre de couple (Barnabé Delarze, Nico Stahlberg, Augustin Maillefer et Roman Röösli) se contenterait d’une médaille. Après des problèmes de blessures ces derniers mois, l’équipage a démontré son potentiel lors des épreuves de Coupe du monde à Lucerne (3e) et Poznan (4e).

L’histoire de Lucas Tramèr dit toute la diversité des profils amenés à se croiser au village olympique. Il y a ceux qui, par leurs résultats, gagnent (très) bien leur vie. Mais en majorité, les athlètes qui seront au centre de l’attention pendant deux semaines jouent à Tetris pour faire rentrer dans un même agenda les exigences du sport de haut niveau et d’autres occupations. A 26 ans, Lucas Tramèr est étudiant en médecine; pas le moins exigeant des cursus universitaires.

En octobre, il entamera un stage professionnel d’une année. Les JO comme adieux au sport de haut niveau? «Je ne prends aucune décision pour l’instant, avant la fin de la saison. Il y a tellement de facteurs qui entrent en ligne de compte. Mais il est clair que ma motivation à l’avenir dépendra aussi de notre résultat à Rio.»

D’autres belles histoires

Comme en aviron, ils seront quatre à conjuguer leurs efforts pour remporter une médaille en escrime. Max Heinzer, Benjamin Steffen, Peer Borsky et Fabian Kauter forment un quartet à l’épée qui ne se fixe pas de limite. «Si on arrive à appliquer la tactique juste, nous sommes l’équipe la plus difficile à battre au monde, expliquait le dernier cité à la Tribune de Genève en début d’année. Je sais que nos adversaires n’aiment pas nous affronter. Parce qu’on est athlétiquement et techniquement très forts.

On possède un gaucher, deux gars très vifs et un très grand: le mix est parfait. Si on l’est sur la piste, à Rio, la Suisse peut viser l’or.» Depuis les Jeux olympiques de Séoul en 1988, cela faisait vingt-huit ans que l’équipe de Suisse masculine à l’épée n’avait plus décroché sa qualification. Mais les trois titres européens remportés entre 2012 et 2014 lui valent l’expérience des grands rendez-vous et la légitimité d’y croire.

Le rebond de la gymnastique

Ce sont des souvenirs enfouis profondément dans l’histoire du sport du pays. En 1952, la délégation suisse rentre de Helsinki les valises lourdes de quatorze médailles. Pour moitié, elles ont été remportées à la barre fixe, aux barres parallèles, aux anneaux. La gymnastique est – de loin – le sport qui a rapporté le plus de médailles olympiques à la Suisse: 48, contre 23 à l’aviron, 21 à l’équitation, 20 au tir, 18 au cyclisme. Les sportifs suisses les plus médaillés sont des gymnastes, Georges Miez et Eugen Mack (8 médailles chacun, dont 4 d’or pour Miez).

Hormis le titre au cheval d’arçons du Lucernois d’adoption Donghua Li en 1996 à Atlanta, la Suisse n’a plus rien fait depuis sur soixante-quatre ans. Malgré la très forte concurrence internationale, la double championne d’Europe Giulia Steingruber a les arguments pour remettre au goût du jour la vieille tradition gymnique du pays.

La der de Cancellara

Pour la Suisse, la belle histoire des Jeux de Rio pourrait aussi être écrite par Fabian Cancellara. Le cycliste bernois ne devrait pas être là. A 35 ans, il vit la dernière saison de sa riche carrière professionnelle. Et à l’heure de l’aborder, il ne se projetait pas au Brésil. Les classiques, le Tour de France, oui. Mais pas participer à ses quatrièmes Olympiades. Il a changé d’avis en cours de route, requinqué par quelques bons résultats, dont un dixième titre de champion de Suisse du contre-la-montre et une victoire lors du prologue du Tour de Suisse. Double médaillé à Pékin (or, argent), il n’est plus tout à fait le même coureur qu’en 2008. Mais en contre-la-montre, il demeure un redoutable spécialiste. Un vieux lion capable de rugir une dernière fois.

La revanche des champions de Londres

Expérimentés eux aussi, Steve Guerdat et Nicola Spirig seront aussi tout à fait en mesure de rééditer leur exploit d’il y a quatre ans. Depuis les Jeux de Londres, le cavalier jurassien et la triathlète zurichoise sont restés au plus haut niveau. De récentes mésaventures ont perturbé leur dernière ligne droite vers Rio et c’est ainsi avec un supplément d’esprit de revanche qu’ils évolueront au Brésil. Première médaillée d’or suisse dans la capitale anglaise (il avait fallu avoir recours à la photo-finish pour la départager de la Norvégienne Lisa Norden), Nicola Spirig s’est cassé la main en mars, dans la dernière ligne droite vers la défense de son titre.

Elle a dû faire l’impasse sur les récents Championnats d’Europe mais sera bien au rendez-vous carioca. L’histoire de Steve Guerdat est encore plus dérangeante. En mai 2015, il remporte le concours de La Baule, mais les tests antidopage de ses chevaux se révèlent positifs. Il sera vite blanchi, mais l’épisode est un coup à sa carrière – il manque les Championnats d’Europe – et surtout à sa réputation. Lui aussi, à Rio, aura les armes pour briller, tête de proue d’une solide équipe de sports équestres aussi porteuse d’une chance de podium.

Voilà pour la logique. Statistiquement, il faut compter sur trois chances de médaille pour obtenir une médaille. A Londres en 2012, l’équipe de France avait gagné exactement le nombre de médailles prévu (35) mais un médaillé sur deux n’était pas celui escompté. Trop d’attentes, trop de pression? «De savoir que beaucoup plus de gens que d’habitude vont regarder nos courses, nous soutenir, c’est une grande source de motivation et de fierté», assure le rameur Lucas Tramèr. Les Jeux olympiques possèdent un caractère propre et très spécifique, qui décuple les enjeux et magnifie des disciplines d’ordinaire totalement délaissées par le public et les médias.

Le Maracanã, comme le Nid d’oiseau de Pékin, peut être destructeur quand on n’est habitué qu’au Bout-du-Monde de Champel ou à la Charrière de La Chaux-de-Fonds. Il faut maîtriser ses nerfs autant que son corps, et ce n’est pas un hasard si des champions olympiques comme Roger Federer, Nicola Spirig, Steve Guerdat ou Fabian Cancellara ont d’abord déçu lors de leur première participation. A Rio, 75 des 107 athlètes suisses seront des néophytes. Pour eux, l’objectif sera surtout de battre leur record personnel et de préparer Tokyo 2020. Swiss Olympic a prévu une prime de 40 000 francs pour une médaille d’or, mais aussi 2000 francs pour une huitième place. Dans l’éternel mouvement de balancier, la carotte a repris le dessus sur le bâton. 

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