Le mâle de 2014avancera masqué, avec de nouvelles armes. Voici ses cinq atouts, en cinq mots clés.
L’autodérision
Alors que le macho était lourd et sans esprit, que le métrosexuel, trop narcissique, manquait d’humour, l’homme de 2014 distillera une seine autodérision. Sans le ridiculiser, elle le mettra à son avantage. Comme l’humoriste Norman Thavaud, qui se montre sous un jour peu flatteur sur l’internet. Norman, c’est le profil type du loser qui n’arrive pas à la cheville des beaux gosses. Et pourtant, le succès de ses vidéos (visionnées des millions de fois), en fait un modèle de «coolitude».
Tout comme le très sérieux «faux sérieux» affiché par Vincent Veillon dans 120 secondes, sur Couleur 3. James Franco, lui, vient de parodier finement le clip pompier Bound 2 de Kanye West et Kim Kardashian. Sur une moto, l’acteur fait des mamours au rondelet et pileux Seth Rogen. Ils sont drôles et presque émouvants. Non seulement les deux stars du cinéma indépendant jouent avec leur image, mais elles déjouent le sexisme. La classe.
L’écoute
Changement notable, l’homme a compris que l’empathie était une solution avantageuse pour résoudre les conflits… Cela a pris du temps, mais «l’intelligence émotionnelle» et «la communication non violente» font désormais partie de son arsenal pour mieux se «vendre» dans les domaines professionnels et amoureux. Laurence Bachmann, sociologue, chercheuse associée en études genre à l’Université de Genève, a étudié ce glissement du macho à l’homme empathique. Des hommes en transition, un livre qui découle de ses recherches menées à Berkeley, paraîtra l’an prochain.
«J’ai choisi de m’intéresser à 30 hommes vivant à San Francisco car c’est un lieu qui est une référence du point de vue des transformations du genre, explique la chercheuse. J’y ai constaté une mutation de la masculinité qui se diffuse déjà en Europe.» Le modèle de l’homme autoritaire, peu à l’écoute et qui a un rapport sclérosé à ses émotions est dépassé. «Pour les hommes que j’ai rencontrés, issus de la classe moyenne cultivée, l’empathie est un mot-clé. Ils sont à l’écoute d’eux-mêmes et des autres.» Cette nouvelle «capacité» vient directement des techniques de management des grandes entreprises californiennes. «La façon de communiquer s’est transférée dans d’autres domaines, par exemple au sein du couple.»
L’élégance
Ce n’est pas compliqué, il s’agit d’être «swag». D’avoir une attitude décontractée qui permet de se distinguer tout en se faisant respecter. Dominer, sans avoir l’air de faire d’effort et surtout sans écraser l’autre. L’apollon de 2014 continue de s’amuser avec les pièces et les accessoires du vestiaire masculin classique. Ce n’est pas de la parodie, ni de la citation: c’est de l’appropriation. Depuis le revival de la mode preppy (bon chic, bon genre années 50, inspirée du look des élèves en classe préparatoire des grandes universités américaines, côte est), on a exhumé de la naphtaline à peu près tout ce qu’il y avait de plus ringard et de plus «papy». Tout ce que le métrosexuel et le b-boy avaient fui: gilets, pardessus, duffle-coat, tweed, nœud papillon et ces (agaçants) renforts sous les coudes des vestes. Pire, le revival des chaussettes, portées avec des shorts, est annoncé pour l’été prochain.
Les hipsters, du nom des amateurs de jazz et donc du cool des années 40, ont bien sûr contribué à cette panoplie (y ajoutant moustache, barbe, chaussures en cuir, sac à dos en tissu années 30). L’ensemble s’apparente à un nouvel uniforme, largement repris par la grande distribution. Mais parfois, c’est plus personnel et inventif, comme chez Stromae, zazou moderne high-tech et rétro. En résumé: Mister 2014 sera toujours nostalgique de l’élégance traditionnelle, mais il la mâtinera, en été, d’un peu de glam seventies. Une excentricité bienvenue, pour un dandy années 70 toujours très «relax».
La nonchalance
C’est une douceur qui ne dit pas son nom. Elle peut aller de la légère négligence (un air de Caliméro au saut du lit, comme l’humoriste Norman), à la barbe un peu hirsute des hipsters. Un brin loser et timide, ce «boy next door» attachant, qui cache sa sophistication et semble presque vous appeler à l’aide. C’est la technique du cheval de Troie. On le dirait calme, vaguement las. Il semble surfer sur une modernité liquide n’offrant plus de prises. La nonchalance comme valeur esthétique ne date pas d’hier. Rembrandt, peintre cool par excellence malgré ses sujets sombres, cachait sa technique parfaite sous un négligé apparent (ses toiles «bâclées» où la peinture semblait jetée sans préméditation). Le nonchalant ne cherche pas à séduire et séduit plus sûrement.
L’autoanalyse
Il se pose des questions sur lui, grâce notamment aux coups de boutoir des études de genre. Qu’est-ce qu’un homme? Quel mâle veut-il être? «La masculinité dépasse largement ce qu’est un homme. Il y a toutes sortes de relations possibles entre le sexe biologique, le genre et le désir!» rappelle Cynthia Kraus, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne, traductrice du célèbre Trouble dans le genre de Judith Butler. «Et d’abord, c’est quoi un homme? Quelque chose qui est donné de nature? Penser cela nous ferait revenir avant Simone de Beauvoir… On ne naît pas femme, on le devient. On pourrait ajouter qu’on ne le devient pas toujours. De même pour les hommes. Cela dit, être une femme ou un homme ne relève pas du choix individuel.»
S’il ne conteste pas encore frontalement les catégories sociales imposées, Monsieur 2014 y réfléchit. «Sera-t-il toujours nécessaire d’indiquer le sexe à l’état civil? Je ne le pense pas», continue Cynthia Kraus, qui rêve d’une société «où il y aurait autant de sexes que d’individus, où l’on ne serait plus assigné à un genre». L’homme de demain, hybride, pluriel et libre, est en germination. Laissons la conclusion à une femme, l’écrivain romand Barbara Polla: «Un homme qui se cherche est déjà, en tant que tel, une réussite.»
Visions croisées sur la masculinité et l’homme de 2014
Georges Vigarello, philosophe français, spécialiste de l’histoire des représentations de la virilité.
«Il alliera la force et la tendresse»
«L’homme en 2014 continuera son évolution, suite d’une série incroyable de bouleversements advenus au XXe siècle. Sa virilité sera en crise. En vérité, elle l’a été à chaque époque! Mais ces crises ne ressemblaient pas à celle que nous vivons. Au XXe siècle, pour la première fois, la place de la femme a changé. En accédant au monde du travail, elle a obligé l’homme à se déplacer. Cela a créé des frictions, des résistances. Comme les manifestations contre le mariage pour tous, en France. Au XIXe siècle, il fallait, pour être viril, combattre et entreprendre. Aujourd’hui, la virilité n’appartient plus seulement à l’homme, c’est une qualité qu’il partagera de plus en plus avec la femme. La domination n’est plus l’apanage du masculin. Mais les héros existeront toujours. Les modèles continueront d’allier la force et la tendresse. Comme Yannick Noah ou David Beckham.»
Barbara Polla, médecin, galeriste, écrivain, elle publie l’essai «Tout à fait homme» chez Odile Jacob le 20 février.
«Il risque de m’ennuyer grave!»
«J’attends des hommes qu’ils soient qui ils sont. Authentiques. Je pense qu’ils sont pleins de désirs, d’une vie différente de celle qu’ils mènent. J’attends d’eux qu’ils vivent en fonction d’eux-mêmes et qu’ils osent cette liberté-là, et celle aussi de dire ce qu’ils veulent. Des hommes debout, qui résistent. Avec, pourquoi pas, un grain de folie… La société, quant à elle, en Suisse en particulier, attend d’eux, surtout une fois qu’ils sont en couple, qu’ils soient «polis». Sans aspérités, donc. Gentils, fidèles, responsables, de bons pères, travailleurs, efficaces, respectueux, à l’écoute, discrets.
Etre cool, oui, un brin nonchalant pourquoi pas, ne pas être impliqué, ne pas désirer follement, ne pas avoir de problèmes existentiels, ne pas être violent. Avec cet homme-là, je vais m’ennuyer grave!»
Vincent Veillon, humoriste, créateur de «120 secondes» avec Vincent Kucholl, sur Couleur 3.
«Il aura le pied sûr, mais sera peu bricoleur»
«On me dit parfois que je suis féminin, sensible, on me reproche d’être trop dans la communication. Moi, je pense que c’est une chance. Sans être un carriériste féroce, je sais que l’autre peut toujours m’apprendre quelque chose. Aujourd’hui, il est mal venu de mettre en avant vulgairement son ambition. Je la planque sous un vernis, pour ne pas braquer les autres et être justement compris. J’essaie d’être cool. Sinon, en tant que mec, je ne suis pas très bricoleur… Cela fait une semaine que je dois changer une lampe, et j’ai peur de m’électrocuter! Je voudrais bien être Quentin Tarantino. Il a les moyens de créer ce dont il a envie. C’est un modèle d’homme cohérent, honnête et authentique. Il a digéré beaucoup d’influences et en a fait un propos personnel. Il a trouvé l’équilibre. Tenir et avoir le pied sûr, c’est important, comme le disait mon arrière-grand-père, guide de montagne.»