FRANCE. Front national en pleine forme, cascade d’affaires judiciaires: l’ex-chef de l’Etat se nourrit de l’adversité et met le cap sur 2017. On n’est pas obligé d’y croire.
Il semblerait être passé du stade de «l’envie d’avoir envie», chère à l’idole de sa jeunesse, Johnny Hallyday, à celui de l’envie ferme. Nicolas Sarkozy préparerait son «retour», avec en point de mire l’élection présidentielle de 2017. Enfermé dans un savant mutisme, il laisse à ses amis le soin de dévoiler ses intentions, qui se précisent et enflent telles ces rumeurs précédant d’imminentes annonces. «Il montre de plus en plus d’appétence», confie au Monde Brice Hortefeux; «il est dans une phase de réarmement», assure un dirigeant de l’UMP, cité par le même quotidien. On croirait entendre des médecins de cour renseignant sur l’état de santé du monarque, lequel, à les en croire, va beaucoup mieux et s’apprête à remonter en selle pour livrer bataille.
Qu’on se le dise donc, Nicolas Sarkozy, défait en 2012 par François Hollande, est prêt à retourner au combat. Si des doutes demeurent, son épouse Carla Bruni-Sarkozy est là pour les lever. Ses troupes, en revanche, sont dans un piteux état. Les troupes, en politique, c’est l’«appareil». Or, l’appareil UMP est une ruche gagnée par l’anarchie, avec deux reines dauphines jalouses l’une de l’autre, Jean-François Copé et François Fillon, et des ouvrières qui n’en font qu’à leur tête. Rien que de très normal dans un parti politique où cohabitent de saines ambitions, dira-t-on, sauf qu’à un moment donné il faut savoir dire stop.
Cette agitation effrénée vaut toutefois mieux que l’apathie et, d’un certain côté, elle fait l’affaire de celui qui se pose en recours, un classique de la Ve République. Ce recours, Nicolas Sarkozy entend bien l’incarner, non seulement auprès de sa famille politique, mais aussi, le jour venu, face au Front national de Marine Le Pen, dont les performances remarquées lors de deux scrutins législatifs partiels, en mars dans l’Oise et dimanche 23 juin dans le Lot-et-Garonne, le PS étant à chaque fois exclu du jeu dès le premier tour, font réapparaître le spectre du 21 avril 2002. Sarkozy de retour sur le trône en 2017? Ce serait une première sous la Ve.
Mais l’homme qui rêve d’un tel destin n’est plus l’être virginal des premiers élans victorieux. Il a tranché dans le vif alors qu’il était au pouvoir, il a ouvert chez d’autres des plaies qui ne se sont pas refermées et lui-même en est recouvert. Plaie «morale»: son «à droite toute» dans l’entre-deux-tours de la dernière présidentielle, l’œuvre du très droitier Patrick Buisson, son conseiller à l’époque, son «âme damnée», s’était-on ému.
Plaies judiciaires, récentes ou plus anciennes: les instructions ouvertes dans les dossiers Bettencourt et Karachi, qui le menacent directement; les soupçons de financement occulte de sa campagne de 2012 via le carnet de chèques de feu le colonel Kadhafi, et désormais le «scandale d’Etat», commentent les plus empressés, des 403 millions d’euros accordés à Bernard Tapie pour solde de tout compte lors de ses démêlés avec le Crédit Lyonnais, un «arbitrage» taché peut-être de copinage. Qu’à cela ne tienne, doit se dire l’intéressé, ils veulent ma peau, par la grâce du peuple, j’aurai la leur.
Sarkozy le bonapartiste. L’actuelle situation de Nicolas Sarkozy a des airs de Cent Jours et nous ramène au début du XIXe siècle. Après la retraite de Russie qui signait la débâcle de la Grande Armée, les puissances réunies au Congrès de Vienne avaient pensé se débarrasser de Napoléon Bonaparte en l’exilant sur l’île d’Elbe. On sait ce qu’il advint: l’empereur quitta l’île de la Méditerranée, débarqua sur la côte antiboise et rallia à lui, un a un, les détachements militaires au fur et à mesure qu’il regagnait Paris dans la ferveur populaire. Il remit le couvert de la guerre et ce fut Waterloo, la défaite de trop, synonyme d’un exil définitif, dans les eaux lointaines de l’Atlantique sud, à Sainte-Hélène. Cette entreprise de reconquête dura cent jours et s’acheva piteusement.
Nicolas Sarkozy le bonapartiste ou l’opportuniste, une qualité dans beaucoup de domaines, particulièrement en politique, a devant lui 1500 jours pour quitter ses bureaux de la rue de Miromesnil, où il «consulte» à tout-va, et monter sur l’Elysée. Les deux adresses étant situées dans le même arrondissement parisien, la tâche paraît plus facile, à ce détail près que c’est en province, au contact des Français, qu’il devra s’imposer. Il trouvera sur sa route François Fillon, un homme apparemment déterminé à en découdre mais surtout plus «convenable», «salonfähig» dirait-on en Suisse, que l’impétueux Sarkozy.
Régner sans partage. Métaphore pour métaphore, dans le numéro de juin du mensuel Causeur, le journaliste Luc Rosenzweig, qui fut notamment le correspondant du Monde en Allemagne au moment de la chute du mur, compare la bataille qui oppose, à l’UMP, Nicolas Sarkozy à des ambitieux, à la partie que joua Mao Zedong. «Dépossédé de l’essentiel du pouvoir par Liu Shaoqi et Deng Xiaoping (toutes proportions gardées, les Fillon et Copé de l’époque, ndlr), le Grand Timonier lance, en 1964, la “Grande révolution culturelle prolétarienne”, dont le mot d’ordre est déjà: “Feu sur le quartier général!” Il parvient, au prix de millions de victimes, à rétablir son autorité absolue sur le Parti et le pays jusqu’à sa mort, en 1976.»
Dans les démocraties, les «purges» à l’intérieur des partis sont heureusement moins sanglantes, mais l’idée et le but sont les mêmes: régner, et si possible sans partage. Nicolas Sarkozy peut compter pour l’y aider sur ses «gardes rouges» ou «maréchaux» en culottes courtes que sont Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, deux jeunes fougueux de la «Droite forte», le courant de l’UMP dont une partie des thèses ressemblent à s’y méprendre à celles du Front national.
«Cassez-vous!» Pour Franz-Olivier Giesbert, le directeur de l’hebdomadaire Le Point qui «roule» pour François Fillon, c’en est trop. «Cassez-vous», enjoint-il à Nicolas Sarkozy dans des termes plus polis: «Si M. Sarkozy veut rendre service à la droite, il a un devoir, écrit-il dans son éditorial du 20 juin: confirmer au plus vite les propos par lui tenus pendant la campagne de 2012, et se retrancher définitivement de la vie politique, ou plutôt de ses manœuvres d’arrière-cuisine, pour défendre son honneur devant les juges qui l’attendent au tournant.» Et toc!
Nicolas Sarkozy n’est pas homme à se laisser abattre. Mais il n’est pas un perdreau de l’année non plus. Il lui reste à jouer sa carte favorite, celle de l’ami du peuple entravé par les juges et les bien-pensants. Un jeu qui peut se révéler dangereux. Pour le joueur comme pour la démocratie.