Décodage. Dans un contexte de concurrence accrue, les palaces cherchent à courtiser le grand public. A Lausanne, les trois grands hôtels rivalisent ainsi d’opérations séduction. Exemple au Beau-Rivage: le Marché d’Anne-Sophie Pic.
Autrefois, un palace se devait de rester un écrin privé, où un public ciblé se retrouvait «entre gens du même monde» dans de vastes et paisibles enfilades de salons. Une vision qui appartient désormais au passé. Finis les espaces vides, chaque mètre carré doit être rentable. A Londres, plus moyen de lire le journal dans le hall d’un grand hôtel: il sert aux petits-déjeuners le matin, aux snacks à midi, au thé l’après-midi et aux encas toute la soirée. Sans réservation, inutile de se déplacer.
Et ce ne sont pas les clients de l’hôtel qui occupent le terrain, mais le public local. Un public qui se révèle aussi l’un des meilleurs vecteurs de promotion d’un établissement. D’abord parce que le monde attire le monde. Puis la démultiplication des tweets, messages sur Facebook, photos et selfies qui en découlent contribue à l’ancrage, à la crédibilité, et donc aussi au rayonnement d’une maison: on ne recommande que ce que l’on connaît.
Démocratisation
La preuve à Genève, où par exemple le vénérable Richemond reconstruit avec succès son image de marque à coup de soirées jazz, d’afterworks, de repas à thème. Même constat à Lausanne: «l’ancrage local, c’est capital, confirme Nathalie Seiler-Hayez, directrice générale du Beau-Rivage Palace, à Ouchy. Impossible à chiffrer, c’est l’élément clé qui contribue à la vie d’un hôtel. Or, la vie et l’atmosphère particulière, c’est exactement ce que la clientèle internationale recherche.»
Le 26 août, de 10 heures à 13 heures, les jardins du prestigieux hôtel lausannois vivront donc au rythme du Marché d’Anne-Sophie Pic, qui réunira dix fournisseurs romands privilégiés de la cheffe (boucher, pêcheur, fromager, vignerons, apiculteur, maraîcher, herboriste, sélectionneur d’épices et fleuriste).
Conviviale, une buvette – gratuite! – proposera en portions dégustation du thé glacé hojicha-cubèbe-cassis ou sencha-vanille fumée, des bouchées sucrées et salées… Et la cheffe triplement étoilée Michelin et notée 18/20 par GaultMillau, à Valence comme à Lausanne, tient à rencontrer personnellement les visiteurs. «Les gens se montrent très curieux d’information sur la cuisine», constate la cheffe, ravie de pouvoir, en dialoguant, faire mieux comprendre le processus de création qui fait le luxe en cuisine.
Au Beau-Rivage, c’est une première. Mais pas une dernière, promet la direction. Il faut dire que, en plus de l’authentique souhait d’Anne-Sophie Pic de partager ses passions, le contexte de l’hôtellerie lausannoise se révèle particulièrement favorable au marketing créatif.
En matière de démocratisation, le Lausanne Palace a pris une longueur d’avance. Visionnaire, Jean-Jacques Gauer a ouvert sa maison à tous les publics depuis des années. Sa recette? Garder le glamour, mais intégrer la vie: musique live, buffet de tapas gratuit à l’apéro, démultiplication des espaces publics et des restaurants dans divers segments de prix ont porté leurs fruits. Le Palace n’a plus rien d’un repaire de rombières à permanente bleutée. «Un ami l’a même qualifié de seul palace de gauche», s’amuse le directeur sortant. A son successeur, Ivan Rivier, Jean-Jacques Gauer laissera cet automne un lieu de vie à la popularité rare.
Puis il y a le nouveau venu, le Royal Savoy. Même si sa tant attendue terrasse sur le toit n’est pas encore ouverte, ce cinq-étoiles tout neuf s’apprête à être officiellement inauguré. Depuis des mois, il attise les curiosités, notamment avec sa brasserie supervisée par Marc Haeberlin. En mains qataries, il semble aussi avoir raflé à ses deux concurrents une part non négligeable de leur clientèle moyen-orientale cet été. On comprend donc encore mieux qu’au Beau-Rivage le Marché d’Anne-Sophie tombe… à pic.