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Les nouveaux clients de la chirurgie esthétique

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Jeudi, 25 Août, 2016 - 06:00

Céline Bilardo et Julien Calligaro

Enquête. Le secteur se démocratise pour toucher une population toujours plus jeune, plus masculine, et de moins en moins riche. Le marché progresse par ailleurs grâce à des techniques toujours moins invasives. Le nombre d’interventions sur les zones intimes féminines connaît une forte croissance, tout comme les réductions mammaires chez les hommes.

«J’étais très complexé par mon torse et je n’osais pas enlever mon t-shirt à la plage.» Fabrice Mazenauer a alors subi une réduction mammaire l’an dernier. Aujourd’hui, ce Vaudois de 24 ans  se sent «beaucoup mieux dans [son] corps». Sa démarche est représentative de l’évolution des pratiques: la chirurgie esthétique touche une population de plus en plus jeune et masculine (lire Les hommes aussi ont des seins). «Lorsque j’ai commencé ce métier il y a une dizaine d’années, un patient sur dix était un homme, dit le chirurgien genevois Alexander Cuno. Aujourd’hui, c’est le double, et la tendance est clairement à la hausse.»

A part la réduction mammaire, les interventions les plus courantes pour la clientèle masculine sont les injections de botox ou d’acide hyaluronique, le raffermissement des paupières, la liposuccion, les greffes de cheveux ou de barbe.

L’ouverture de cliniques réservées aux hommes illustre l’augmentation de la demande masculine. Après Zurich en 2014, le groupe The Gentlemen’s Clinic a inauguré une succursale à Genève en avril dernier. La clientèle type de l’établissement va de l’ouvrier au chef d’entreprise, et 80% ont moins de 40 ans.

«Les hommes avec un revenu modeste me demandent d’ailleurs davantage d’interventions que les autres, et ce afin d’être plus compétitifs sur le marché du travail», précise Alexander Cuno, qui opère à la Gentlemen’s Clinic. Chloé Gaden, responsable de la succursale genevoise, estime que la chirurgie esthétique est aussi davantage acceptée socialement aujourd’hui: «Les hommes se sentent moins complexés d’y avoir recours, d’autant que les résultats sont beaucoup plus discrets.»

En 2015, 54 000 interventions de chirurgie esthétique ont été pratiquées en Suisse, selon Acredis, groupe de centres spécialisés dans la chirurgie esthétique en Suisse et en Allemagne. Cela représente 65 interventions pour 10 000 habitants, un chiffre qui place le pays en deuxième position sur le podium des nations, juste derrière le Brésil (66 opérations). Ce chiffre s’explique par l’importante clientèle étrangère, souligne Pierre Quinodoz, président de la Société suisse de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique. «La Suisse jouit d’une très bonne réputation, même si les prix des interventions y sont plus élevés.» Dans certaines cliniques de l’arc lémanique, comme celle de Genolier, la proportion d’étrangers représente le tiers de la clientèle.

Des jeunes sous influence

La chirurgie esthétique, dont le marché croît de près de 4% par an, séduit également une clientèle de plus en plus jeune. «Beaucoup d’adolescentes consultent pour les augmentations mammaires et les garçons pour des cas de gynécomastie», confirme Françoise Narring, responsable de l’unité Santé Jeunes des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), qui accueille les patients âgés de 12 à 25 ans.

Elle rappelle que l’adolescence représente une période d’adaptation durant laquelle les jeunes se questionnent sur leur adéquation à une certaine «normalité». Ils sont aussi plus confrontés à des images pornographiques ou à celles de silhouettes parfaites dans les publicités. «Submergés par ce bain d’images qui exposent le corps dans ses moindres coutures et auxquelles ils ont tous accès facilement aujourd’hui, les adolescents s’identifient davantage à des corps déjà retouchés.»

Michal Yaron, spécialiste en gynécologie pédiatrique et adolescente aux HUG, note une hausse des demandes au sujet des interventions intimes (lire Les demandes d'interventions intimes explosent), plus particulièrement pour la labiaplastie. Un phénomène qui a pris une ampleur sans précédent aux Etats-Unis où les demandes émanant des adolescentes pour cette chirurgie plastique des petites lèvres du vagin a doublé entre 2014 et 2015.

La gynécologue constate souvent une méconnaissance des jeunes filles de leur organe génital et que leur gêne émane fréquemment de pressions extérieures, des envies de leur petit copain ou d’un effet de mode. «Mais elles ne comprennent pas que leur sexe peut être différent de celui d’une autre et être tout à fait normal! Les conséquences d’une telle opération ne sont pas anodines pour leur vie intime. Nous essayons toujours d’ajourner ces demandes, au moins jusqu’à la majorité.»

Radiofréquence, lumière pulsée et cryolipolyse

Comment expliquer cette tendance? «Les jeunes patients cherchent souvent à corriger un complexe pour améliorer leur estime de soi, explique Pierre Quinodoz. La raison est différente pour les personnes âgées, chez qui un sentiment d’inadéquation domine: elles se sentent jeunes, mais voient que leur corps ne suit pas forcément.» Un constat partagé par Francesco Panese, sociologue des sciences et de la médecine à l’Université de Lausanne. «La chirurgie esthétique prend les habits d’une chirurgie de l’accomplissement de soi. Elle en devient une chirurgie psychique.» Pour le sociologue, cela s’inscrit même dans une tendance plus globale: «Le corps est devenu un critère de différenciation. La société se réalise de plus en plus à travers lui.»

«Les chirurgiens esthétiques pratiquent de moins en moins la chirurgie», constate Pierre Quinodoz. Aujourd’hui, 35% de ses interventions concernent la chirurgie non invasive, appelée aussi médecine esthétique. Un chiffre qui se montait à 20% il y a dix ans. «Certains chirurgiens ne réalisaient pas d’opérations de médecine esthétique à cette époque. Aujourd’hui, la demande est telle que je n’en connais plus aucun qui ne la pratique pas.»

«Les techniques non invasives se sont massivement développées ces dix dernières années», confirme le chirurgien Sabri Derder. A l’image de la radiofréquence, permettant notamment de raffermir les tissus du visage, ou encore de la lumière pulsée, grâce à laquelle les spécialistes peuvent atténuer les vergetures ou les taches sur le visage. La cryolipolyse est également à la mode: substitut à la liposuccion, ce procédé permet de faire «fondre» la graisse par le froid.

Abus et assurances

Moins récentes mais aussi très prisées: les injections de botox (une toxine qui paralyse les rides actives) et d’acide hyaluronique (un gel qui comble les rides permanentes). Des procédés qui comportent néanmoins des risques (lire Le botox ne fige pas que les rides) et dont les effets ne sont pas aussi durables que ceux de la chirurgie esthétique classique. Il faut par exemple répéter les injections d’acide hyaluronique une à deux fois par année pour obtenir un résultat visible. Une habitude qu’a prise Patricia*, 47 ans, Genevoise adepte du botox et de l’acide hyaluronique depuis ses 40 ans. «J’y pensais depuis des années, je trouvais que la peau de mes paupières était lourde. Je me suis lancée après avoir appris que mes copines avaient déjà reçu des injections. On a davantage de recul sur ces produits aujourd’hui.»

La fréquence des piqûres ne dérange pas cette mère de deux enfants qui en fait usage sur les paupières et sur le front pour masquer quelques ridules. «Parce que les effets de ces produits se résorbent, on a le contrôle, on peut choisir de ne pas y retourner. Mais souvent, après six mois, on ne se reconnaît plus, alors on recommence.» Le prix de ces injections (400 francs environ) est aussi raisonnable pour la jeune femme, qui dit pouvoir facilement mettre ce montant de côté.

Pierre Quinodoz met pourtant en garde contre la croissance de l’offre en matière de médecine et de chirurgie esthétiques. Selon le chirurgien, n’importe quel médecin peut effectuer une opération de chirurgie esthétique aujourd’hui, ce qui se solde par une hausse des complications liées aux interventions chirurgicales et aux injections. Son conseil: vérifier que le médecin est certifié par la Société suisse de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique avant de franchir le pas.

Il convient aussi de se renseigner auprès de son assurance avant l’opération: toutes les interventions ne sont pas couvertes. Une distinction est faite entre les opérations de confort (lifting, opération esthétique du nez, botox, etc.) et les opérations de nécessité résultant d’un accident ou d’une pathologie (brûlures, cancers du sein, etc.). Dans le second cas, les frais sont pris en charge, soit par l’assurance accident, soit par l’assurance maladie. Seules certaines interventions de chirurgie plastique, une réduction mammaire par exemple, peuvent être remboursées par l’assurance maladie, mais selon des critères stricts.

Une start-up dans la course

La tendance ne faiblissant pas, de nouveaux procédés en médecine esthétique ne cessent de voir le jour. Exemple avec la start-up lausannoise PB&B, qui veut révolutionner le marché avec un produit biocompatible permettant de réduire – voire d’éliminer – les rides, qui apparaissent avec l’âge lorsque les tissus graisseux perdent en volume.

«Des microsphères constituées d’acide oléique (un acide gras présent notamment dans l’huile d’olive, ndlr) sont injectées localement, explique Sergio Klinke, cofondateur. Grâce à l’eau présente dans le corps, ces petites billes vont fondre et ainsi relâcher la graisse qu’elles contiennent. Cela permet au corps de restaurer par lui-même les tissus graisseux vieillis ou endommagés, en augmentant localement la taille des cellules.»

La technique de la start-up se démarque des produits existants dans la mesure où la substance injectée reforme les plaques de graisse naturellement présentes dans le visage, tandis que l’acide hyaluronique ne fait que «remplir» temporairement les rides. Les premiers tests effectués sur des souris se sont montrés concluants. Des essais cliniques sur les êtres humains sont prévus pour 2017 et la commercialisation du produit est attendue pour 2019. A terme, la start-up espère pouvoir étendre l’utilisation de son produit à la poitrine, afin de remplacer l’implantation de prothèses mammaires, un geste que Sergio Klinke considère comme «barbare».

* Nom connu de la rédaction


Quelques chiffres

188

Le nombre de chirurgiens plasticiens FMH exerçant en Suisse en 2015

20 millions

Le nombre d’interventions invasives et non invasives réalisées dans le monde en 2014

27 milliards

La valeur du marché de la chirurgie esthétique estimée d’ici à 2019

Coûts des interventions les plus courantes en Suisse pour l’année 2015

Liposuccion De 3000 à 5000 francs

Chirurgie des paupières De 3000 à 6000 francs

Augmentation mammaire De 10 000 à 14 000 francs

Rhinoplastie De 6000 à 10 000 francs

Réduction mammaire De 9000 à 13 000 francs

Sources: Fédération des médecins suisses FMH, PRnewswire, ISAPS, Acredis
 

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