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Le succès jusqu’au bout des ongles

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Jeudi, 1 Septembre, 2016 - 05:53

Trajectoire. Ils ne connaissaient rien aux ongles et ont lancé leur entreprise dans un marché saturé. Ils ont gagné un prix et ouvrent leur onzième enseigne. Portrait des rois de la manucure-pédicure.

Un marché saturé et zéro connaissance dans le domaine. Quand Florence et Daniel Stumpe se sont lancés dans les bars à ongles, en 2010, leurs amis ne donnaient pas cher de leur peau. «Vous êtes fous!» commentait leur entourage. Eh bien pas tant que ça, peut-on répondre aujourd’hui. C’est qu’ils en ont fait, du chemin, les Stumpe. En juin, les deux Lausannois ont gagné le Swiss Economic Award, catégorie services, en septembre, ils ouvriront leur dixième bar à ongles à Monthey et, en octobre, ils s’approcheront de la Suisse alémanique en installant leur onzième enseigne à Bienne.

Tout a commencé par un voyage à New York, où les bars à ongles sont légion; les clientes s’y rendent d’ailleurs sans rendez-vous. De retour en Suisse, Florence, qui s’offre alors régulièrement des manucures, son mari et un ami, professeur d’économie, se demandent pourquoi le concept du «sans rendez-vous» ne marche pas en terre helvétique. Il y a peut-être un marché à prendre, se dit le couple, qui décide de se lancer et de créer The Nail Company.

Daniel Stumpe: «Nous avons ouvert notre boîte en pensant que cela ne durerait que six mois. C’était une sorte de gag, mais en même temps nous avons beaucoup travaillé…» Florence Stumpe complète: «Et puis nous nous sommes dit: si nous nous lançons, l’un des deux doit arrêter son job.»

S’est alors posée une question: qui peut retrouver du travail le plus facilement si ça ne marche pas? Criminologue de formation et détentrice d’un postgrade en lutte contre la criminalité économique, elle travaille alors à 60% à l’antenne lausannoise de la police fédérale. Lui a fait HEC (Hautes études commerciales) et est senior product manager chez Orange. C’est elle qui donnera sa démission.

Sa première réflexion? «Je vais quand même pas faire les ongles.» Et pourtant. Au contact des clientes, l’universitaire se prend au jeu. Après quelques jours de formation dans une école, six mois durant, elle lime, vernit, apprend et observe. «C’est loin d’être simple», constate-t-elle. Sa journée terminée et les deux enfants couchés, son mari se remet au travail, pour s’occuper de la partie marketing et financière de la petite entreprise, sa femme à ses côtés. Florence Stumpe: «Deux heures durant, je ne lui transmettais que les problèmes, alors que pendant une journée dans l’entreprise il se passe aussi de jolies choses, mais il n’avait pas l’occasion de les voir.»

Le Lausannois finira par quitter Orange début 2013 pour se lancer dans l’aventure à plein temps. «Je m’occupe des RH, de la finance, de la stratégie, alors que mon épouse, qui est une femme de terrain, se charge de l’opérationnel, des services, de la fonctionnalité des magasins et de la recherche de nouveaux produits.» Complémentaires, les époux, qui passent la journée dans les mêmes locaux, ne se croisent pas souvent, occupés qu’ils sont à des tâches différentes. Et bonne nouvelle: même s’ils se coupent souvent la parole, les Stumpe ne s’engueulent plus.

Leur concept? La manucure avec ou sans rendez-vous, sur des ongles naturels uniquement, à des prix abordables, soit de 19 fr. 90 à 79 fr. 90, boissons à volonté comprises. Le programme, qui se présente comme un menu écrit sur un grand tableau noir, est le même dans toutes les enseignes, qui se reconnaissent grâce à la couleur violette: pas moins de quinze soins différents, aux dénominations originales, allant du simple retrait des cuticules-limage-polissage à la pose de vernis semi-permanent censé rester quelques semaines. La durée des soins est indiquée pour toutes les variantes et la palette est la même pour les pieds.

Daniel Stumpe: «Nous avons voulu démocratiser la manucure. Beaucoup de femmes ne s’offraient pas ce soin, car c’était trop cher. A Genève, c’était 100 francs pour une heure. Le mot le plus important de notre enseigne est celui de «bar». L’idée est d’aller se faire les ongles comme si on allait boire un café.» Un petit noir un peu chérot, tout de même.

Protocole et formation

Quatre cents couleurs au choix, même service, même nombre de minutes selon le soin choisi et même ordre dans les gestes: le couple met en place un protocole et une formation, de quelques jours à deux semaines. Apprendre la politesse en fait aussi partie pour certaines jeunes femmes. Les «Est-ce que vous désirez boire quelque chose?» remplacent les «Vous voulez boire quelque chose?». Les stylistes ongulaires apprennent également à décrire ce qu’elles sont en train de faire à leur cliente.

Florence Stumpe: «Certaines dames n’ont jamais fait de manucure, c’est important de leur donner des explications.» Particulièrement à cheval sur l’hygiène, le couple lausannois a même adopté des produits, fabriqués en Suisse, qui désinfectent les surfaces en 30 secondes.

Si les employées à la marque violette sont en majorité des Suissesses et des Françaises, beaucoup sont originaires d’Espagne, du Portugal ou d’ex-Yougoslavie. Certaines ont suivi une école d’esthétique, soit de six mois à une année de cours, d’autres ont obtenu un CFC d’esthéticienne. Lorsque les Stumpe commencent à recruter et à découvrir les pratiques salariales et les usages dans le domaine, ils déchantent.

Beaucoup d’employées, qui travaillent pour la concurrence, n’ont pas de contrat et sont payées au lance-pierre, soit 2500 francs par mois pour un plein temps. Florence Stumpe: «Certains employeurs font miroiter un emploi fixe et, au bout de trois mois, une fois la haute saison passée et le temps d’essai terminé, ils licencient. D’autres offrent de longs stages non rémunérés et, finalement, n’embauchent pas la personne. Au début, les collaboratrices ne nous faisaient pas confiance.»

Parallèlement, le couple vaudois découvre qu’être patron, ce n’est pas toujours une sinécure. La plupart du temps jeune et célibataire, la population qu’ils emploient est fragile. «Dès qu’elles ont un problème dans leur vie privée, elles sont malades ou, du jour au lendemain, ne viennent plus. C’est une nouvelle génération qui a beaucoup moins peur du chômage que nous.» Forts de leurs découvertes, les Stumpe décident que de bonnes conditions de travail seront l’une de leurs priorités. Car ils le savent bien: une employée heureuse, c’est la garantie d’une bonne ambiance et donc d’une cliente heureuse.

65 employés

Si les salaires sont adaptés à chaque canton, les Stumpe offrent un salaire minimal de 3750 francs pour 42,5 heures par semaine et garantissent un samedi de congé par mois. Les responsables des bars à ongles, elles, ont des objectifs mensuels à atteindre. Daniel Stumpe: «Si elles y arrivent, elles peuvent compter sur un treizième salaire. Mais ce n’est pas toujours facile.» Car, qui l’eût cru, le business des ongles dépend lui aussi de la météo.

La haute saison? Ce sont les mois de juin, juillet et août. Daniel Stumpe: «Il y a deux ans, l’été était moche et il a beaucoup plu en juillet. Et en cas de pluie, les clientes vont moins en ville, n’enfilent pas de tongs et ne viennent donc pas faire de pédicure.» Florence Stumpe complète: «C’est un peu le même principe que dans le domaine agricole. Le grain récolté en été permet de vivre en hiver. Durant les mauvais jours, nous faisons des pertes sèches, mais nous devons tout de même verser les salaires à nos 65 employées.»

Concept innovant, succès économique et politique RH respectueuse: le Swiss Economic Award vient récompenser un beau parcours. Et qui des deux Stumpe a eu l’idée de s’inscrire? «Nous aimerions bien savoir qui a soumis notre nom. Nous ne connaissions même pas l’existence d’un tel prix, célèbre outre-Sarine. Aujourd’hui, il nous ouvre des portes en Suisse alémanique.» 

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Lea Kloos
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