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L’autre «Genesis» de Sebastião Salgado

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Vendredi, 3 Janvier, 2014 - 05:51

Environnement. Au départ du reportage du photographe brésilien est sa propriété familiale dans le Minas Gerais. Naguère à l’agonie, les terres ont bénéficié d’un spectaculaire programme de reforestation.

Luc Debraine

«Genesis», l’exposition la plus populaire de l’histoire du Musée de l’Elysée, s’achève en ce début janvier. Le livre, qui en est à sa 6e édition, reste d’actualité. Mais le début de la grande aventure photographique de Sebastião Salgado, dédiée aux sanctuaires naturels de la planète, n’était pas présenté dans le musée lausannois. Il était en revanche détaillé à la Maison européenne de la photographie, à Paris, qui a proposé la même exposition, aux mêmes dates. Ce point de départ est le lieu de l’enfance et de l’adolescence du photographe dans l’Etat du Minas Gerais («Mines communes»), dans le sud-est tropical du Brésil.

A la fin des années 90, Sebastião Salgado a repris la ferme d’élevage bovin de son père dans la vallée de la rivière Doce, près de la petite ville d’Aimorés. Les 700 hectares étaient en mauvaise condition. La propriété avait été «rendue laide et pauvre alors que j’avais toujours eu le sentiment d’avoir grandi au paradis», comme l’écrit le photographe dans sa récente autobiographie, au titre explicite: De ma terre à la Terre (Ed. Presses de la Renaissance).

En cause, un mal endémique au Brésil: la déforestation. L’exploitation minière et l’agriculture intensive ont eu raison de la «mata atlântica», la forêt atlantique qui couvrait la vallée grande comme le Portugal. Dans le ranch des Salgado, comme ailleurs dans la région, l’herbe des pâturages ne repoussait même plus. Dégradé, le sol était d’autant plus exténué que la terre rouge de l’endroit est vulnérable à l’érosion et peu perméable aux infiltrations d’eau.

Sebastião Salgado et sa femme Lélia ont alors décidé de replanter la propriété avec des essences locales. La ferme a été transformée en l’Instituto Terra, fondation à but non lucratif, qui a rapidement obtenu de l’Etat du Minas Gerais le statut de réserve naturelle. Les autorités fédérales, régionales et locales ont soutenu le projet, ainsi qu’une série impressionnante d’ONG, de fondations, d’entreprises ou de collectivités, brésiliennes et étrangères.

Soutien en question. Parmi elles, la société minière Vale, qui a fourni à l’Instituto Terra des plants de son propre programme de reforestation. La même multinationale, dont le siège administratif est à Saint-Prex pour des raisons fiscales, embarrasse actuellement Sebastião Salgado: la presse française a questionné ce soutien, également apporté au long reportage et aux expositions «Genesis». Comment justifier un tel financement à une «ode en images à la majesté et à la fragilité de la Terre» (De la terre à la Terre) alors que Vale est un des plus gros exploitants miniers de la planète? C’est effectivement problématique. Même si l’éthique du photographe ne saurait, elle, être questionnée. Ancien militant de gauche contraint en 1969 de quitter son pays alors sous dictature militaire, diplômé en économie, écologiste convaincu, Sebastião Salgado n’est pas précisément une oie blanche qui serait tombée dans le piège du grand-capital-destructeur-de-l’environnement. Pour lui, même si l’exploitation de l’or et du fer a causé de gros dégâts dans la vallée du Doce, et que Vale est originaire de la même région, l’industrie minière est bien moins préjudiciable à la nature que les industries agricoles ou pétrolières.

Les premiers plants ont été mis en terre en décembre 1999. Depuis lors, 2 millions d’arbres de 290 espèces différentes ont reverdi l’ancienne propriété, ainsi que les terres avoisinantes, sur une superficie totale de 7000 hectares.

L’institut comprend également une pépinière qui a déjà produit 4,5 millions de plants, devenant l’une des premières exploitations spécialisées dans le pays. Sa capacité de production annuelle est d’un million de plants de 100 espèces, avec l’ambition de passer à terme à 5 millions. Il a également mis sur pied 700 projets éducatifs qui ont bénéficié à 70 000 personnes et mène des projets de recherche scientifique. «Une centaine de collaborateurs travaillent sur place, note Lélia Wanick Salgado. Une bonne part de nos ressources financières provient aujourd’hui de notre pépinière.»

Aujourd’hui méconnaissable, la ferme a retrouvé son statut d’écosystème tropical: huit sources d’eau fonctionnent de nouveau, même en période de sécheresse, avec un débit moyen de 20 litres par minute. La faune est revenue en masse, avec 172 espèces d’oiseaux (six en danger d’extinction) et 33 espèces de mammifères, dont des félins (pumas, léopards nains, panthères, ocelots). Ajoutons 15 espèces de batraciens, autant de reptiles. Et 293 végétaux.

Un projet de vingt-cinq ans.«Notre projet actuel, soutenu par l’ONU et le gouvernement fédéral, est de récupérer les 350 000 sources du fleuve Doce, qui est l’un des grands réservoirs d’eau du pays. Nous replanterons plus de 50 000 millions d’arbres dans le bassin du Doce. Le projet durera au moins vingt-cinq ans. Nous risquons de ne plus être là quand il s’achèvera. Peu importe: cette terre, c’est notre vie, aujourd’hui. L’autre, c’est la photographie!»

La résurrection de ce bout de vallée, sans équivalent au Brésil, a donné à Sebastião Salgado, il y a huit ans, l’idée de «Genesis». Le somptueux reportage lui a fait «prendre conscience qu’à force de nous être coupés de la nature du fait de l’urbanisation, nous sommes devenus des animaux très compliqués; à force de devenir étrangers à la planète, nous devenons des êtres étranges. Mais ce n’est pas un problème insoluble. Le remède passe par l’information et je suis heureux si j’ai pu y contribuer.»

«Genesis», Sebastião Salgado, Musée de l’Elysée, Lausanne, jusqu’au 5 janvier. www.elysee.ch, www.institutoterra.org

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Sebastião Salgado / Amazonas
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Sebastião Salgado
Lélia Deluiz Wanick
Leonardo Merçon
Amazonas
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