Décodage. Financer des rentes viagères par des cotisations périodiques en 3e pilier lié au lieu d’une prime unique en 3e pilier libre: avantages et inconvénients.
On l’ignore parfois, mais l’une des formes que peut prendre le 3e pilier lié, ce sont des rentes viagères, financées par des primes périodiques. Dans ce cas, les cotisations annuelles déductibles s’élèvent à 6768 francs pour un salarié et 20% du revenu annuel, mais au maximum 33 840 francs pour les indépendants qui ne sont pas affiliés à une caisse de pension. Ces primes périodiques pourraient également être versées dans le cadre du 3e pilier libre, mais en ne bénéficiant d’aucune déduction fiscale en Suisse romande, à l’exception de Genève et de Fribourg, mais dans une moindre mesure. En revanche, les rentes ne seront soumises à l’impôt sur le revenu qu’à hauteur de 40% de leur valeur, contre 100% pour les rentes du 3e pilier lié.
Quel taux de conversion?
Militant de l’assurance de rentes viagères financées par des primes périodiques, Antoine Faure, le responsable de la société de conseils financiers Univie à Carouge (GE), affirme proposer régulièrement cette solution à ses clients. Il leur fait ainsi souscrire des rentes viagères différées, à primes périodiques, constituées en 3e pilier lié ou libre.
Pour justifier sa politique, notre interlocuteur met en avant un argument démographique: «Une personne de 40 ans qui souscrirait aujourd’hui une rente différée dans vingt-cinq ans bénéficierait du taux garanti actuellement. Or, avec l’espérance de vie qui augmente d’une année tous les dix ans – phénomène qui pourrait s’accélérer avec les progrès médicaux –, on peut s’attendre à des taux nettement inférieurs à l’avenir.»
Ce raisonnement ne convainc cependant guère Albert Gallegos, responsable de la prévoyance et du conseil patrimonial auprès de la Banque cantonale de Genève: «Il est plus judicieux d’essayer de faire fructifier ses avoirs avant de souscrire éventuellement à une rente viagère à un âge avancé, pour couvrir le risque de longévité. Le taux de conversion en sera ainsi nettement plus élevé.» Mais, avant de se décider pour l’une ou l’autre méthode de financement de ses rentes viagères, il est essentiel de prendre en compte la composante fiscale, comme le montre notre banquier.
Le poids de la fiscalité
Pour illustrer son propos, notre interlocuteur prend tout d’abord le cas de rentes viagères souscrites en 3e pilier lié, avec l’exemple suivant concernant une personne mariée: le montant accumulé à l’échéance du contrat serait de 150 000 francs, pour un taux de conversion de 4% et un taux marginal d’imposition de 25%. Les 150 000 francs seraient alors convertis en une rente de 6000 francs (= 150 000 x 4%), sur laquelle un impôt de 1500 francs (= 6000 x 25%) va être prélevé, donnant lieu à une rente nette de 4500 francs.
Si ces 150 000 francs avaient été accumulés dans un 3e pilier lié versant un capital, son bénéficiaire aurait également pu le transformer en rentes viagères, mais après avoir réglé un impôt cantonal sur son retrait. A Genève, cet impôt serait d’environ 6680 francs, laissant un capital net de 143 320 francs (= 150 000 – 6680). Cette somme permettrait ainsi d’obtenir une rente viagère de 5733 francs (= 143 320 x 4%). Etant donné que la rente aurait été financée dans le cadre du 3e pilier libre, elle ne serait imposée qu’à hauteur de 40%, soit 2293 francs (= 5733 x 40%). L’impôt dû serait donc de 573 francs (= 2293 x 25%). La rente nette s’élèverait ainsi à 5160 francs (= 5733 – 573).
Dans ce cas de figure, la seconde solution s’imposerait. Il faut toutefois prendre garde, comme l’indique Albert Gallegos, au fait que l’impact varie en fonction du revenu imposable qui, dans cet exemple particulier, oscillerait entre 65 000 et 70 000 francs: «Il est clair que plus le taux marginal d’imposition est faible, plus la différence s’estompe.» Autre facteur de distinction, l’impôt sur le retrait serait nettement plus élevé pour un ou une célibataire (mais sans doute également l’impôt sur le revenu). Par ailleurs, le taux sur le retrait est par exemple nettement plus lourd dans le canton de Vaud.
Enfin, pour tenir compte de l’argument d’Antoine Faure, il aurait fallu considérer un taux de conversion différent entre les deux solutions. Mais dans quel sens et avec quelle ampleur? Tout dépend des hypothèses retenues: c’est la limite de l’exercice.
Heureusement, le choix peut s’opérer juste avant la conversion du capital en rentes, comme le rappelle le patron d’Univie, «car la personne qui conclut son 3e pilier lié ou libre en rentes pourra toujours demander le versement de la prestation en capital et le convertir en rentes viagères si cette solution se révèle plus favorable à ce moment-là».
Les rentes viagères sont-elles assez rentables ?
On peut maintenant se poser la question de savoir quel serait l’intérêt des rentes viagères conclues en primes périodiques en 3e pilier libre. Sans doute assez faible puisqu’il n’y aura pratiquement aucune déduction sur le revenu, à l’exception notable de Genève, et dans une moindre mesure Fribourg. Mais, même à Genève, les montants déductibles sont assez modestes, soit un peu plus de 3000 francs par année pour un célibataire, par exemple.
Au-delà de leur méthode de financement, les rentes viagères constituent-elles vraiment une bonne solution? Ce n’est pas le cas aujourd’hui, estime Roland Bron, directeur de VZ VermögensZentrum pour la Suisse romande: «Leurs rendements sont en effet beaucoup plus bas que ceux du 2e pilier. Ainsi, pour la personne qui est déjà en retraite et qui n’a pas d’autre choix que de laisser son capital sur un compte qui rapporte 0%, tout en lui assurant la flexibilité et la disponibilité de son avoir, une rente viagère avec un rendement nul, voire négatif, n’a aucun sens.»
Cette analyse fait réagir Pierre Zumwald, directeur des Rentes genevoises, qui met en avant le caractère de prévoyance de ces produits: «Quand vous souscrivez une rente viagère, vous n’achetez pas seulement un rendement, mais surtout la couverture du risque de longévité, vous garantissant un revenu jusqu’à la fin vos jours.»