Analyse. Ras-le-bol des conseils de mode ou des tutoriels sur le maquillage. En France, des filles ont décidé d’occuper le web avec un discours antisexiste. Le résultat est génial.
«J’aimerais pouvoir t’envoyer des messages contraires à tout ce qui existe autour de nous, qui nous aliène, qui nous asservit. On n’a pas besoin d’être des machines à désirer. Tu n’as pas à être féminine. Tu n’as pas à souffrir pour inspirer le désir.»
Dans cette vidéo, intitulée Pas féminine et vue plus de 415 000 fois à ce jour, Solange scande les mots devant un fond noir. Son visage est flou, sa voix lente et belle. La jeune Québécoise installée à Paris a été l’une des premières, il y a quelques années déjà, à se démarquer sur YouTube par des prestations poétiques et militantes. Drôles aussi, quand elle parle braguette, camembert ou poils pubiens.
Ses vidéos sont à mille lieues de toutes celles qui pullulent généralement sur la Toile et qui s’adressent aux femmes en particulier: des tutoriels sur la manucure (Tartofraises Nail Art), des conseils pour améliorer son look hivernal (Estelle, Axelle Blanpain), des théories sur le mascara ou le lissage des cheveux (Babillages, Carnet prune, Et pourquoi pas Coline…). Certes, toutes ne sont pas inutiles ou ridicules. Mais elles laissent penser que la mode et les cosmétiques, sans compter la décoration d’intérieur, sont les principaux centres d’intérêt des femmes sur l’internet. Mensonger, et dangereux.
Face à ce constat, un groupe de youtubeuses francophones a décidé d’agir. Elles ont créé il y a quelques semaines le label Les Internettes. Leur page Facebook compte déjà près de 12 000 fans. L’idée est simple: mettre en avant les femmes vidéastes, qui sont sous-représentées sur YouTube. «Elles apparaissent rarement dans les vidéos recommandées sur la plateforme, dont certaines thématiques, comme l’humour, sont souvent exclusivement masculines», regrette Marie Camier-Théron, communicante à Paris et blogueuse, qui a participé au lancement des Internettes. «Par ailleurs, ajoute-t-elle, les femmes hésitent à se lancer, car elles doutent de leur légitimité, ou ont peur d’être harcelées ou jugées sur leur physique.»
Pour mettre fin à ce déséquilibre, chaque jour, le collectif Les Internettes poste désormais un lien vers le travail d’une youtubeuse qui parle de politique, de psychanalyse, de jeux vidéo ou encore de sport et de cuisine. «Nous n’avons rien contre les blogueuses de mode, car elles ont ouvert une brèche, explique Marie Camier-Théron. Mais nous voulons aussi montrer que les femmes peuvent être expertes dans d’autres domaines.»
En plus de cette revue du web 100% féminine, les Internettes comptent bientôt lancer des ateliers et des rencontres pour aider les femmes à publier leurs premières vidéos et à trouver une visibilité sur la Toile.
Dialogues fantasques
Dans la mosaïque de sujets à leur disposition, les vidéastes sont de plus en plus nombreuses à aborder les inégalités hommes-femmes ou la sexualité féminine, souvent taboue. Sur leur chaîne Parlons peu, parlons cul, qui compte près de 300 000 abonnés, les comédiennes Juliette Tresanini et Maud Bettina-Marie décryptent sans détours et sans complexes la masturbation féminine ou l’endométriose, maladie gynécologique répandue.
Leurs dialogues sont fantasques, mais abordent de front ces thèmes délicats, dont il est rarement question dans la sphère publique. Marinette, dont la chaîne YouTube compte déjà environ 11 000 abonnés malgré seulement cinq mois d’existence, se démarque, elle, par une vidéo sur la musculature des femmes: elle y montre, et y vante, ses abdominaux, critiqués par les hommes, un témoignage sur le harcèlement au travail ou encore l’avortement, où elle interroge simplement sa mère et sa grand-mère, qui ont toutes deux subi une IVG.
Le rire est aussi l’un des meilleurs ressorts de ces youtubeuses féministes. Sur le sujet sensible du harcèlement de rue, la jeune Sheria Kerienski excelle en singeant les hommes qui la sifflent pour la séduire. Quant à la très populaire Natoo, elle se moque des publicités pour les protections hygiéniques, qui confinent à l’absurde. Sa vidéo, simplement intitulée Les règles, a été vue 11 millions de fois.
«Je ne veux pas faire des vidéos girly»
Ina Mihalache, alias Solange, a lancé sa chaîne sur YouTube en 2011. Désormais modèle du genre, elle est suivie par près de 226 000 personnes.
Dans l’une de vos dernières vidéos, vous mettez en avant des vidéastes 100% girl power. Pourquoi avoir décidé de promouvoir ces femmes sur YouTube?
Je me sens un peu seule, parfois. Les vidéastes francophones ne sont pas si nombreuses sur le web. D’ailleurs, je regarde beaucoup plus de contenus anglophones, car j’ai l’impression de mieux m’y retrouver. Mais il existe aussi des Françaises qui ont des choses à dire et du talent. Les filles que j’évoque dans ce post, Marinette, Mardi Noir, pensent, et j’aime les regarder penser. Elles parlent de psychanalyse, de culture, de leur vie… Je voulais aussi contrer cette croyance que les filles ne font que de la beauté sur l’internet.
Considérez-vous votre travail comme féministe?
A partir du moment où j’ai fait ma série pour la radio Mouv’, «Solange pénètre ta vie intime», j’ai pris conscience des humiliations, des intimidations quotidiennes subies par les femmes, et de la colère et de la frustration que cela générait. J’ai envie que les femmes soient perçues et considérées pour ce qu’elles pensent et disent, plus que pour leur apparence. Mais je ne suis pas dans le militantisme.
Depuis le début, je suis dans une démarche de douceur, de réconfort. Tout comme les artistes femmes qui m’inspirent, Sophie Calle ou Björk, je voudrais composer avec le féminin sans que cela soit le cœur de mon travail. D’ailleurs, il n’est pas question que ma chaîne YouTube soit ghettoïsante, réservée aux femmes ou aux thèmes féminins. Je ne veux pas faire des vidéos girly. Mon public est plutôt mixte, et j’y tiens.
Les femmes sur YouTube sont souvent critiquées. Est-ce votre cas?
Dès le début, j’ai dérangé, j’ai énervé. Je pense que c’était plus lié à mon style qu’à mon genre. Mais j’ai reçu et je reçois encore beaucoup de messages insultants, notamment sur mon physique. On me dit que je suis moche, ou au contraire que ma réussite est liée à mon joli minois. On me menace de viol. Certes, l’anonymat de l’internet favorise cette violence. Mais je me suis rendu compte que les créateurs mâles ne recevaient pas autant de commentaires portant sur leur allure. Par chance, j’ai une bonne estime de moi-même, donc j’arrive à prendre du recul.