Propos recueillis par Fabien Goubet
Interview. Selon Stefano Santinelli, qui quittera Swisscom Health en octobre, après cinq ans passés à sa direction, l’avenir du domaine de la santé sera sans conteste numérique. Cette évolution concerne les hôpitaux et les médecins, mais aussi les patients.
«Mon parcours dans la santé? Il se résume à ce que j’ai fait chez Swisscom Health ces cinq dernières années…» Avec son accent tessinois chantant, Stefano Santinelli rappelle qu’il n’a pas oublié d’où il vient: Monsieur Santé connectée de Swisscom est avant tout un ingénieur commercial, et non un spécialiste de la santé. Et alors? Ce qui l’a attiré, explique-t-il, c’est «le défi posé par l’aspect novateur» de sa mission: accompagner le système de santé suisse dans sa révolution numérique, en inventant et en commercialisant des outils informatiques adaptés. Après cinq ans passés dans la division santé du géant bleu, il estime que nous sommes désormais à une période charnière et que les jours des dossiers médicaux en papier poussiéreux sont comptés.
Vous dirigez depuis cinq ans Swisscom Health. Que vient faire le plus grand opérateur de télécommunication suisse dans le domaine de la santé?
Swisscom Health, c’est un prestataire de solutions informatiques pour le secteur de la santé. Dit plus simplement, notre mission est de numériser la santé en Suisse. C’est un domaine qui est actuellement en pleine mutation. Nous sommes là pour proposer à tous les acteurs (médecins, hôpitaux, assurances maladie et grand public) un éventail de solutions numériques qui répondent à leurs besoins.
En quoi consistent-elles?
Il s’agit de solutions très variées. Pour les hôpitaux, cela consiste par exemple en un logiciel en ligne permettant de mieux gérer les transferts de patients ou de communiquer des informations avec les autres établissements. Nous proposons aux médecins des outils d’administration, de facturation ou de prescription qui sont plus performants, plus sûrs et leur font gagner du temps. Nous avons aussi Evita, un dossier de santé en ligne qui rassemble tous les documents et données d’une personne. Toutes nos solutions sont ouvertes, c’est-à-dire qu’elles communiquent avec le monde extérieur, par exemple avec le dossier électronique du patient qui doit entrer en vigueur en 2017.
Vous quitterez pourtant vos fonctions avant sa mise en application, puisque vous allez prendre la direction de Swisscom Directories à partir du 1er octobre. Quel bilan tirez-vous de ces cinq dernières années?
Il est très positif sur le plan du business. Nous sommes passés de 60 à 300 collaborateurs et avons développé un véritable savoir-faire, une valeur ajoutée, pour le système de santé. C’est un marché en pleine croissance. On estime que 250 millions de documents sur papier sont échangés chaque année dans le système de santé suisse. Nous en avons numérisé 20 millions, soit moins de 10%. Il y a donc encore un potentiel certain pour la santé connectée.
La santé connectée, c’est le dernier «buzz word» à la mode. Pourtant, quand on se rend chez le médecin, on n’a pas l’impression que les choses avancent beaucoup…
C’est vrai, il y a toujours quelque chose de frustrant dans l’organisation actuelle du système de santé, encore fortement ancré dans le papier et le téléphone. Mais les choses bougent. On assiste ces dernières années à une importante vague de numérisation. La preuve: nous avons équipé 220 hôpitaux avec nos solutions de communication.
A vous entendre, c’est une orientation très «business to business». Et le consommateur dans tout ça?
Les choses ont évolué pour lui aussi, surtout dans le domaine des wearables, ces appareils que l’on porte sur soi. Il y aurait aujourd’hui un million de capteurs santé en service en Suisse, et environ 100 000 applications mobiles liées à la santé. Ces nouveaux outils enregistrent de nombreux paramètres physiologiques, de la fréquence cardiaque au nombre de pas effectués dans la journée. Tout cela n’existait pas il y a cinq ans! Je pense que la convergence de ces deux révolutions, professionnelle et grand public, va véritablement faire progresser la santé connectée.
Quels avantages va-t-on en tirer?
Pour les grandes structures, on voit en premier lieu des économies. Nous avons ainsi récemment commandé une étude sur les coûts des communications dans le domaine de la santé. Aujourd’hui, quand un médecin requiert une hospitalisation pour un patient, il envoie un courrier ou un fax à l’hôpital, lequel doit réceptionner ces documents sous forme papier, les traiter, les stocker, les retrouver quand arrive le patient, etc. Cela nécessite du personnel, du temps, de l’espace… Tout cela a un coût, que l’étude a estimé entre 35 et 50 francs pour chaque envoi de document.
En passant au numérique, il ne serait plus que de 4 ou 5 francs, soit une diminution de presque 90%! Ces économies s’expliquent notamment par le fait que tous les documents relatifs au parcours d’un patient, de la prescription des médicaments à la facturation de son séjour, sont centralisés dans une même chaîne d’information. On réduit ainsi les coûts, tout en abaissant les risques d’erreur ou de pertes de données.
Et pour les médecins?
Lui aussi va gagner du temps, et faire moins d’erreurs. Un exemple: quand il saisit tel ou tel médicament dans son logiciel, celui-ci vérifie que la prescription est bien sans risque pour le patient. S’il y a une association médicamenteuse qui peut poser problème, ou encore une contre-indication qui a échappé à son attention, le médecin est alors alerté.
Autre exemple: à plus long terme, l’intégration des données des capteurs de santé sera précieuse pour les médecins, qui pourront être immédiatement prévenus si certaines mesures chez un patient (sa tension artérielle, sa glycémie, etc.) s’écartent trop de valeurs définies. Il peut ainsi proposer au patient de prendre rendez-vous, au lieu d’attendre des mois ou des années que celui-ci se présente de son propre chef.
Concrètement, combien cela lui coûte-t-il?
Environ 250 francs mensuels, pour une solution complète, clé en main.
Revenons aux capteurs de santé. Ils doivent intéresser les assurances maladie, non?
Oui, nous travaillons avec les assurances sur des programmes de motivation. Ils consistent à offrir un rabais aux clients qui atteignent un certain niveau d’activité physique au quotidien. En échange, ces derniers s’engagent à porter un capteur d’activité qui transmet les données qu’il enregistre.
On commence à pénétrer dans la sphère de la vie privée. Avez-vous prévu des garde-fous?
Le client a toujours la possibilité d’autoriser ou non les données qu’il partage. C’est lui qui décide jusqu’où il va. D’un autre côté, quel mal y a-t-il à partager des informations avec son assurance maladie? Elle dispose de notre historique médical, elle sait quels médicaments nous prenons, si nous sommes régulièrement malades, etc. Ils ont déjà énormément de données sur nous!
Cela dit, il est très important, d’un point de vue éthique, d’expliquer aux patients ce qui advient de leurs données et de toujours leur laisser la possibilité de refuser ce qu’ils jugent relever de leur vie privée. Il convient de rappeler que Swisscom Health est un prestataire: nous fournissons des outils, mais ne faisons pas d’analyse de données. Le big data de la santé, ce n’est pas notre métier.
Didier Trono, professeur à l’EPFL, qui va codiriger le futur Centre lémanique pour la santé personnalisée, indiquait récemment à «L’Hebdo» que la question de l’interopérabilité des données, autrement dit leur standardisation et leur compatibilité entre cantons, établissements ou encore spécialités médicales, était loin d’être résolue. Qu’en pensez-vous?
La loi fédérale sur le dossier électronique du patient définit ces standards d’inter-opérabilité. Ils portent sur le format des données, mais aussi sur toute l’infrastructure du système: la sécurité, l’identification des utilisateurs, etc. Pour les prestataires comme nous, il conviendra de s’y conformer, ce qui implique de réaliser les investissements nécessaires. La question n’est pas encore résolue, mais les hôpitaux disposent de trois ans après l’entrée en vigueur de la loi, soit jusqu’en 2020, pour s’y adapter.
A quoi ressemblera, selon vous, la santé suisse dans les dix prochaines années?
Je ne sais pas exactement ce qui va émerger de ces innovations, mais une chose est sûre: nous sommes arrivés à un point critique. Les consommateurs sont prêts, la loi va entrer en vigueur, donc les choses vont énormément bouger. Dans moins de cinq ans, tous les hôpitaux suisses seront connectés, tout comme la moitié des médecins en exercice. Pour nous, c’est un nouveau marché, dans lequel nous allons devoir imaginer des solutions innovantes. C’est très excitant.
Profil. Stefano Santinelli
Ingénieur en informatique de formation, ce Tessinois de 46 ans a fait ses armes dans de grandes entreprises telles que UBS, ABB et SAP. Après avoir surfé sur la vague start-up à la fin des années 90 à Boston, il est entré chez Microsoft où il a occupé pendant dix ans plusieurs postes de responsable commercial en Suisse, en Russie et en Italie. Il a pris les rênes de Swisscom Health en 2011.