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De quoi avez-vous peur, Beni Riedi?

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Jeudi, 22 Septembre, 2016 - 05:55

Propos recueillis par Anna Lietti et Céline Zünd

Interview. Le député UDC zougois veut imposer le dialecte comme seule langue à l’école enfantine. Il explique ses craintes de voir l’allemand précoce perturber le développement des enfants.

Stopper l’avancée du «Hochdeutsch» en imposant le dialecte comme seule langue à l’école enfantine: après les Zurichois et les Argoviens, les Zougois vont-ils, ce 25 septembre, accepter une initiative dans ce sens? A Glaris, Lucerne et Bâle-Ville, l’idée n’a pas passé. Mais qu’est-ce que les pro-dialecte entendent par «avancée de l’allemand»? Les parlers régionaux sont-ils en danger outre-Sarine? Beni Riedi, 28 ans, député au Parlement cantonal, viceprésident de l’UDC Zoug et expert en évaluation des produits technologiques chez Emitech, porte l’initiative avec conviction.

Des enfants alémaniques, déplorez-vous, parsèment leur dialecte de mots en «Hochdeutsch». Quelle est la nature exacte du danger que vous voulez combattre? Craignez-vous qu’un enfant, s’il parle allemand à l’école enfantine, perde l’usage du dialecte?

Ce que nous réclamons n’a rien de nouveau. Quand j’étais enfant, il était normal de parler suisse allemand à l’école enfantine et jusqu’en troisième primaire. En 2002, le Conseil de l’éducation de la Confédération a décidé d’affaiblir le dialecte pour renforcer l’allemand. Le Hochdeutsch a été imposé, d’abord à l’école primaire puis à l’école enfantine.

Il y avait une raison à cela: les compétences insuffisantes en «Hochdeutsch» des écoliers alémaniques, mises en évidence par PISA. Le but était d’améliorer leur niveau.

Le niveau s’est amélioré, mais cela n’a rien à voir avec le fait que l’école a imposé l’enseignement en allemand! Ces dernières années, il y a eu un fort afflux d’Allemands en Suisse, alors qu’auparavant il y avait à l’école une plus forte proportion d’enfants issus des pays de l’Est. Cette présence allemande a fait que le niveau global des enfants s’est amélioré. Mais l’autre effet, c’est que toujours plus de petits Suisses alémaniques intègrent des mots d’allemand dans leur dialecte.

Craignez-vous qu’une fois adultes ils finissent par parler «Hochdeutsch» au bistrot avec les copains? Le dialecte est-il en voie de disparition?

Non. Le suisse allemand n’est pas menacé, il reste prédominant dans le quotidien. Mais il y a toujours plus de concepts allemands mêlés au dialecte. Nous considérons l’école enfantine comme un lieu où les enseignants peuvent rendre les enfants attentifs à l’utilisation du mauvais mot: nous voulons soigner notre langue maternelle.

Vous craignez donc que le dialecte ne perde sa pureté?

Oui. En imposant le Hochdeutsch trop tôt à l’école, nous avons affaibli le dialecte. Nous voulons revenir à la situation antérieure, comme l’ont fait les cantons de Zurich et d’Argovie.

Et si un enfant mélange les dialectes? Si, pour cheval, il dit «Pikker», comme à Fribourg, au lieu de «Ross»? Vous utilisez aussi des mots français comme «trottoir» ou «coiffeur», et même anglais… C’est très mauvais pour la pureté, ça…

Pour soigner le suisse allemand, c’est important que l’instituteur ou l’institutrice parle correctement un des différents dialectes, sans les mélanger. Mais que les enfants fassent des fautes, c’est normal. Ils sont à l’école pour apprendre la langue. Le suisse allemand est à l’image de la diversité linguistique de la Suisse. Il est bon de conserver cette diversité.

Ils ne peuvent pas être des enfants en apprenant à jongler en deux langues, le dialecte et l’allemand?

Ce que nous voulons, c’est que les enfants à l’école enfantine n’aient pas à apprendre une nouvelle langue. Et que, pendant les cours de sport, ils puissent s’exprimer dans leur langue maternelle, celle des émotions. L’école enfantine est avant tout un lieu de socialisation. Et si l’on impose une langue étrangère, ça entrave le développement, les enfants ne peuvent plus être des enfants.

Un enfant bilingue, de père suisse et de mère anglophone, n’est pas un enfant?

Vous faites bien de prendre cet exemple: il y a des enfants qui ne parlent que l’anglais. A Zoug, nous avons 30% d’étrangers. Il faut intégrer ces personnes. Jusqu’ici, nous avons estimé que, face à cette diversité linguistique, il fallait parler allemand… Que fera-t-on dans dix ans? On passera à l’anglais?

Mais pourquoi jouez-vous l’allemand contre le suisse allemand? Il s’agit seulement d’encourager un bilinguisme précoce…

Où place-t-on la limite? Deux langues, trois langues, quatre langues… Les enfants ont toujours plus de branches à l’école, et toujours plus tôt, c’est le vrai problème.

Si votre initiative passe, l’allemand serait-il complètement interdit à l’école enfantine?

L’initiative dit que le suisse allemand doit être la langue d’enseignement. On ne va pas interdire l’accès à l’école à un enfant qui ne le parle pas.

Il faudra donc aussi interdire l’engagement d’enseignants allemands?

Nous devrons dire à ces enseignants qu’il faut qu’ils apprennent le suisse allemand. En Suisse romande, on n’engage pas un maître qui ne parle pas le français.

Vous prévoyez des examens de dialecte pour les candidats?

L’entretien oral, lors d’une procédure d’embauche, suffit. D’ailleurs, si l’initiative passe, une enseignante qui ne parle qu’allemand ne va pas se porter candidate.

Revenons aux résultats PISA. Le niveau de «Hochdeutsch» s’est amélioré grâce à la présence des élèves allemands, dites-vous. Cela veut-il dire que le niveau des petits Suisses alémaniques est resté mauvais?

Ou alors qu’il était plus mauvais avant à cause de la forte proportion d’enfants étrangers non germanophones…

Mais le danger que les enfants Suisses alémaniques perdent la maîtrise de l’allemand, vous le considérez?

Nous ne parlons que de l’école enfantine. Dès la première année primaire, ils devront parler l’allemand, c’est amplement suffisant pour arriver à une bonne maîtrise.

Les Suisses alémaniques sont-ils parfaitement à l’aise en «Hoch-deutsch»?
Bien assez pour leurs besoins.

Sur la scène professionnelle, on voit pourtant des Allemands prendre l’avantage grâce à leur aisance linguistique…

N’oublions pas que la communication orale, en Suisse alémanique, est le dialecte. Quand on postule, on utilise le suisse allemand. On joue même sur le dialecte. Il y a des métiers où c’est un avantage. Mais je suis conscient que beaucoup de Suisses alémaniques ne parlent pas volontiers allemand.

Pour les élèves étrangers, le dialecte est-il un passage obligé de l’intégration?

Le cœur de l’intégration est la langue. Un enfant qui vient d’ailleurs veut se sentir comme les autres et, pour cela, apprendre la langue du groupe est primordial.

Vous vous souciez du confort psychologique des immigrés, en somme? Ce n’est pas une préoccupation habituelle pour l’UDC.

Nous pensons qu’il est bon que les enfants s’intègrent au plus vite. Et nous ne voulons pas des immigrés qui ne contribuent pas à la société suisse. Beaucoup d’Allemands et de secundos approuvent notre initiative: ils savent qu’il faut se frotter au dialecte le plus tôt possible car, plus tard, c’est plus difficile de l’apprendre.

Pourtant, le dialecte est un problème pour les étrangers qui n’ont appris que lui: toutes les communications officielles sont en «Hochdeutsch».

Ceux qui suivent leur scolarité ici apprennent l’allemand pendant neuf ans à l’école, c’est amplement suffisant.

Pensez-vous qu’on n’est pas un vrai Suisse si on ne parle pas le dialecte?

Est-on un vrai Français lorsqu’on ne parle pas français?

Les Romands sont-ils moins Suisses que vous parce qu’ils ont abandonné les patois?

Non, tout comme les Suisses alémaniques ne sont pas moins Suisses lorsqu’ils ne parlent pas français.

Dans les années 1920 est né un mouvement pour promouvoir le «Bunschwitzertütsch» langue nationale. Argument: la «défense psychologique» de la Suisse passe par le dialecte. C’est aussi votre conviction?

Nous ne voulons pas que le dialecte devienne langue nationale.

Pour «soigner» votre langue maternelle, le meilleur moyen serait pourtant de la fixer par écrit et de l’officialiser.

Nous communiquons oralement en suisse allemand et par écrit en allemand, c’est ainsi. Nous ne voulons pas changer le monde.

Même dans vos rêves?

Il n’y a que les Romands qui pensent qu’on veut faire du suisse allemand une langue nationale, ça me fait sourire. Encore une fois, tout ce que nous voulons, c’est revenir à la situation antérieure. Nous avons chamboulé le système scolaire à cause d’une mauvaise interprétation des résultats PISA. Et maintenant, il faut passer par un vote populaire pour avoir le droit de parler notre propre langue à l’école… 

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Caroline Minjolle
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