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Chemin de croix pour les musulmans

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Jeudi, 22 Septembre, 2016 - 05:57

Nathalie Versieux

Reportage. De nombreux réfugiés iraniens ou afghans veulent se convertir au christianisme. A Berlin, une église accepte de les baptiser, là où Eglises catholique et protestante, dominantes dans le pays, sont très réticentes.

Benjamin va bientôt pouvoir porter une croix autour du cou. Pour l’heure, il est assis sur l’un des durs bancs de bois du premier étage de l’église de la Trinité, un bâtiment moderne d’un quartier vert du sud-ouest de Berlin. Une centaine d’Iraniens et d’Afghans, tous réfugiés, sont assis à ses côtés face à l’immense croix de la nef.

Tous veulent quitter l’islam pour devenir chrétiens. Comme chaque samedi après-midi, ils sont venus assister au cours de préparation au baptême du pasteur Gottfried Martens. «En tant que chrétiens, vous ne serez plus soumis aux lois de l’islam, explique le pasteur à l’assemblée. Mais ça ne veut pas dire qu’on peut faire n’importe quoi ou tout ce qu’on veut! On doit vivre avec notre corps de façon à rendre hommage à Jésus.»

Debout à ses côtés, l’un des premiers convertis de la paroisse traduit en farsi les propos du prêtre. L’heure est réservée aux questions des futures ouailles. Un homme mince, très jeune, veut savoir pourquoi Dieu est qualifié de «roi» dans la Bible. «Comme un roi, Dieu ne se préoccupe pas de savoir ce que les gens pensent de ce qu’il fait. Mais on a beaucoup de chance: notre roi ne nous exploite pas. Notre roi fait tout pour qu’on aille bien.»

Au dernier rang, deux jeunes Iraniens, visiblement épuisés par le manque de sommeil dans leur foyer de réfugiés, bâillent, le regard perdu. De rares femmes et quelques enfants ont pris place dans l’assemblée.

Des Ouailles venues de toute l’Europe

Fahradars, 23 ans, crâne à moitié rasé et petite queue de cheval, fines lunettes sans monture, étudiait l’architecture à Téhéran dans une vie antérieure. Il était encore en Iran lorsqu’il a choisi son nom de baptême, Benjamin. Un long périple de dix mois l’a mené de son pays vers l’église de la Trinité, via un foyer de réfugiés de Halle, en ex-RDA.

«A Téhéran, je fréquentais les églises clandestines, qui se tiennent dans des appartements privés, raconte le jeune homme. Des amis m’avaient parlé de Jésus et de la Bible. Mais en Iran, si vous voulez vous convertir, vous risquez la peine de mort. C’est pourquoi je suis parti.

Quand je suis arrivé à Halle, je suis allé voir le prêtre de la paroisse proche du foyer. Je ne sais toujours pas pourquoi il a refusé de me convertir. Alors, quelqu’un m’a parlé du père Martens, m’a dit qu’il acceptait de convertir les Iraniens.» Le père Martens recueille de fait des ouailles venues de toute l’Europe.

La quarantaine, barbe légère et cheveu raide, Gottfried Martens n’en revient toujours pas de l’affluence nouvelle dans son église: 850 convertis font aujourd’hui partie de cette paroisse, en voie d’extinction voici encore cinq ans, 350 personnes sont inscrites aux cours de baptême. Lors du dernier examen que doivent passer les fidèles avant d’être déclarés chrétiens, 170 des 250 candidats ont obtenu le baptême.

«Beaucoup viennent de Norvège, car ce pays ne reconnaît pas la conversion au christianisme comme motif pour accorder l’asile. Plusieurs des personnes que j’ai recueillies et à qui j’ai accordé «l’asile d’église» étaient menacées d’être renvoyées en Iran, où elles risquaient la peine de mort.»

«L’Asile d’église»

Certains ont passé plusieurs années en Grèce ou en Turquie. D’autres comme Fahradars ont fui le foyer où ils étaient logés, à cause des néonazis et des prêtres qui refusent de convertir les musulmans. «La situation est terrible pour les minorités religieuses dans les foyers de réfugiés, dénonce Gottfried Martens. C’est un véritable scandale. Même dans les foyers tenus par les églises, on refuse de voir les discriminations dont sont victimes les convertis ou les yézidis.»

Le prêtre a donc décidé de faire usage du droit qui lui est accordé par la Constitution allemande d’accorder «l’asile d’église» aux personnes frappant à sa porte. Chaque jour, une vingtaine de personnes dorment sur les tables et les bancs de la salle de réunion, au rez-de-chaussée du bâtiment. Matelas et couvertures sont repliés le matin. La petite communauté se réunit alors pour un petit-déjeuner à base d’olives et de pain turc, de thé et de café. Dans un coin s’entassent les sacs à dos des réfugiés. Une douche a dû être construite dans l’urgence.

Il n’est pas facile de passer de l’islam au christianisme en Allemagne. Les Eglises catholique et protestante qui dominent le paysage religieux refusent de convertir les musulmans, au nom du dialogue interreligieux. «La rencontre avec les musulmans désireux de se convertir menace la paix au sein de la société et est en contradiction avec l’esprit et la mission de Jésus-Christ, estime ainsi l’Eglise évangélique de Rhénanie dans un document consacré à la question. C’est pourquoi il faut résolument rejeter une telle rencontre.»

Mêmes réticences du côté de l’Eglise catholique. En pleines tensions religieuses, catholiques et protestants ne veulent surtout pas passer pour missionnaires, laissant le terrain libre aux Eglises parallèles, comme l’Eglise évangélique luthérienne à laquelle appartient Gottfried Martens. Voire aux sectes. L’Eglise de la Trinité, une église «indépendante», compte 35 000 fidèles dans le pays. De tradition conservatrice, elle est plus proche par ses rites du catholicisme que du protestantisme.

Faciliter l’intégration

La plupart des musulmans qui veulent se convertir sont Iraniens. L’Iran compterait 500 000 à 1 million de chrétiens «clandestins» selon le père Martens. Certains des candidats à la chrétienté espèrent bien sûr augmenter leurs chances d’obtenir l’asile politique en Allemagne.

«Mais c’est une minorité, estime le prêtre. Pour devenir chrétien, il faut un véritable engagement personnel. Vous devez passer un examen. Vous serez ensuite de toute façon mis «sur le gril» par l’Office des migrations qui veut vérifier votre motivation… La véritable motivation de la plupart de ceux qui viennent me voir est le rejet d’une religion – l’islam chiite – vécue comme sinistre, noire, empreinte de tristesse et de violence. La plupart des convertis découvrent ici qu’une fête religieuse peut être quelque chose de gai. Ce message de joie et d’amour les fascine…»

D’autres encore espèrent tout simplement augmenter leurs chances d’intégration. Fahradars-Benjamin attend avec impatience la date de son prochain baptême. Son rêve: apprendre enfin suffisamment l’allemand pour reprendre à l’université ses études d’architecte. 
 

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Martin Lengemann / Laif
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