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Le roi des nuits lausannoises préfère le matin

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:52

Portrait. Le D! Club, à Lausanne, fête ses 20 ans. A deux reprises, il a été sacré meilleur club du pays. Rencontre avec son patron depuis 2003, Thierry Wegmüller.

C’est le monde à l’envers. Le patron du D! Club n’est pas un noctambule. Il est «du matin» et se lève vers 5 heures tous les jours pour travailler. «Je n’ai fait la fermeture du club que 3 fois», s’amuse l’intéressé.

Il est 23 heures, ce samedi soir, l’établissement de 550 m2 se remplit rapidement. Le D!, ce sont deux espaces, séparés par un mur amovible. Le dancefloor principal et un balcon plus intimiste, le Bar Club ABC. Là, une citation de la série Grey’s Anatomy accueille le visiteur: «Je pense que l’on pourrait être extraordinaire ensemble, plutôt qu’ordinaire séparément.» Cela pourrait être l’adage du maître des lieux, depuis. «On est parti de rien! Mais j’ai eu la chance de travailler avec les bonnes personnes. Le D!, c’est un travail d’équipe», explique Thierry Wegmüller en présentant son programmateur musical depuis douze ans, Thierry Collado, et l’architecte Pierre Winthrop, qui a œuvré au récent et habile réaménagement du club.

Ne lui parlez pas de «discothèque». Le D!, c’est autre chose. Ici, les DJ ne se contentent pas de changer de disques dans l’ombre mais font face au public, dans une communion musicale. La salle programme aussi des artistes. Après vingt ans, la liste se révèle longue: Laurent Garnier, IAM, Keziah Jones, Sophie Hunger, Paolo Nutini, Justice, Camille, Louis Bertignac… «Je tiens à continuer à faire des concerts, même si c’est un suicide financier!»

La marque du lieu, c’est le rouge des lumières, qui se marie au noir des murs. Stendhalien. Ce soir, le dancefloor s’est rempli avant minuit. Comment créer la bonne ambiance? Tout y concourt: l’architecture, l’éclairage, la musique… Tout est fait pour favoriser l’alchimie des corps, pour que les visiteurs se mettent à danser le plus tôt possible. Et, bien évidemment, la sécurité est primordiale, à une époque où les nuits sont devenues parfois plus agressives, où l’image de Lausanne a été écornée. «Ce problème me tient particulièrement à cœur. A l’époque, pour une soirée hip-hop avec 800 personnes, j’engageais 6 agents de sécurité. Maintenant, pour une jauge de 950 personnes, ils sont 20 par soirée.»

A chaque soirée son style et sa musique. Jeune et urbain le jeudi. Plus mature, électro et house le vendredi. Le week-end, 50% de la clientèle vient d’autres cantons. «Toute société a besoin d’un défouloir. Nous avons, en tant que club, un rôle social très important. Je pense sincèrement que nous devrions être subventionnés par la santé publique.»

Traumatisé par Godard

Le D! se situe dans un ancien cinéma. Début 1911, c’est ici qu’ouvrit le Lumen, 1000 places, plus grand cinéma-théâtre de la ville. Il fut rebaptisé Cinéma ABC en 1935. Enfant, Thierry Wegmüller était déjà un habitué. Et c’est sur ses fauteuils qu’ils ont vu leur premier film, avec Yasmine Char, celle qui allait devenir sa femme (directrice du théâtre de l’Octogone, à Pully, et écrivaine): Le petit diable de et avec Roberto Benigni. Depuis, la salle est devenue le D! Club en 1996, grâce à Stéphane Bezançon. Et quand Thierry Wegmüller est arrivé en 2003, le matériel de projection avait été démonté. Il s’en désole. Il aurait bien gardé un peu de l’âme de l’ancien temple du 7e art.

Après l’école hôtelière, Thierry Wegmüller a voulu devenir acteur. Il a tourné dans un film, un seul, Hélas pour moi, de Jean-Luc Godard, sorti en 1993. Hélas pour lui. «Se retrouver dirigé par Godard, c’était traumatisant.» Le novice donnait la réplique à Depardieu. «Je devais dire: «Je m’appelle Wegmüller.» C’était ridicule, je n’ai jamais revu le film et ne sais pas s’ils ont coupé la scène…» Il a eu plus de succès en musique, avec son complice le musicien Pierre Audétat. En 2001, son remix de Highway to Hell, tube de AC/DC, a figuré sur la compilation Paris Dernière, de Béatrice Ardisson, écoulée à plus de 80 000 exemplaires.

Du Couscous au Bleu Lézard

L’homme né en 1963 se décrit comme «50% Allemand, 25% Suisse et 25% Tunisien». Dès 1958, son père crée le restaurant lausannois Au Couscous. Mais ce cuisinier, gravement malade, doit rester alité près de dix ans. Il décède lorsque Thierry Wegmüller a 16 ans. Le restaurant est repris par sa veuve, aidée de ses trois enfants, Thierry, Gilles et Jasmina. «J’ai commencé à travailler à l’âge de 10 ans, c’était tout à fait illégal», sourit celui qui est devenu aujourd’hui le roi des nuits lausannoises.

Son histoire familiale vaut bien un film, elle. Sa grand-mère paternelle, une Bernoise, partit comme jeune fille au pair en Tunisie. Là-bas, elle tomba amoureuse du facteur. Ce dernier, polygame, avait déjà deux épouses? Qu’importe, ils se marièrent. Tout ce petit monde vivait en bonne intelligence, à chaque épouse sa chambre. Jusqu’à ce que ce grand-père tunisien meure à la guerre et que sa grand-mère rentre en Suisse avec sa descendance.

La mère de Thierry Wegmüller, elle, a fui l’Allemagne de l’Est au moment de la construction du mur. Pendant dix ans, elle n’a pas pu revoir sa propre mère.

Thierry Wegmüller a beaucoup voyagé lui aussi. Il a travaillé dans l’hôtellerie et la production d’émissions de télévision en Afrique, en Allemagne, étudié la finance aux Etats-Unis. De retour en Suisse, il hésitait entre carrière artistique et hôtellerie, commençant à comprendre qu’il pourrait allier ces deux passions. La rencontre avec sa future femme est décisive. Un soir, Yasmine est venue manger au Couscous. Elle était accompagnée de son époux d’alors, mais il a osé lui offrir une rose. A la même époque, en 1992, son frère Gilles lui propose de créer le Bleu Lézard.

Le défenseur des nuits

Après la fin du mythique club lausannois la Dolce Vita, en 1999, la Cave du Bleu Lézard est la seule à organiser des concerts. Les Wegmüller créent d’autres établissements, notamment le Java, puis plus tard Les Arches et le Café Enning. Ces dernières années, Thierry Wegmüller est monté au front pour défendre la réputation des nuits lausannoises en présidant le Pool Lausanne La Nuit. Depuis 2015, il est à la tête de GastroLausanne, l’association des cafetiers et restaurateurs de la ville. Ses détracteurs l’accusent de «slalomer» pour protéger ses intérêts. D’entretenir de bons rapports avec la ville pour favoriser son club. Dans le milieu, la concurrence est féroce…

Grégoire Junod, syndic de Lausanne, voit en lui un acteur important de la vie culturelle lausannoise, qui a permis à la capitale vaudoise d’être à la pointe en termes de musique actuelle: «Il a collaboré avec nous dans le dossier de la pacification des nuits. Il a compris qu’il fallait pacifier, sans mettre sous cloche. Que la bonne image d’une ville la rendait plus attractive.» Et il a développé un music club romand de qualité. Ainsi, le D! a été élu meilleur club suisse lors des Swiss Nightlife Awards en 2014 et en 2015, à Zurich. Pas mal, pour un couche-tôt.

Du côté des Wegmüller, on chercherait en vain d’autres noctambules. Jasmina s’occupe de l’administration des établissements familiaux. C’est la plus introvertie de la fratrie, à la différence de Thierry. «On est très complémentaires, sinon on ne serait pas encore là, à travailler ensemble depuis vingt-quatre ans!» explique-t-elle, attablée au Bleu. Gilles, lui, a pris en charge le Bleu Lézard et la programmation de sa cave, le Java et le Café Enning. Tous deux sortent peu et passent leurs soirées à la campagne…

Yasmine Char, épouse de Thierry Wegmüller depuis 1997, préfère, elle aussi, sa solitude aux nuits lausannoises. Dans le foyer du théâtre de l’Octogone, elle éclate de rire: «Avec Thierry, nous sommes opposés en tout! Il est du matin et je suis du soir…» Pourtant, elle se dit ravie de vivre avec cet homme «très généreux, qui a mille idées à la fois». «Il comprend mon humour décalé et acide. On rit beaucoup ensemble, par plaisir du jeu de mots. Pour rien, comme ça.» Mieux que dans un Godard, donc. Tant mieux pour eux.

Le D! Club organise un mois de concerts et d’événements, qui culmineront lors de la soirée d’anniversaire du 20 octobre.
www.dclub.ch

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François Wavre / Lundi13
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