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Emmanuel Macron: «La France ne gagnera pas contre Google et Facebook. L’Europe si.»

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Jeudi, 29 Septembre, 2016 - 05:54

Propos recueillis par Éric Fottorino

Interview. Ex-ministre de l’Economie, candidat pressenti à l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron, 38 ans, livre sa vision du rôle de la France dans le monde et en Europe. Et plaide aussi pour un Etat moins régulateur. Rencontre entre l’ancien membre du gouvernement et Eric Fottorino, directeur de publication de l’hebdomadaire «Le 1».

A quelle condition serez-vous candidat à l’élection présidentielle?

Je ne vois pas de condition extérieure à ma candidature. Quand on croit à la révolution du système, on ne lui paie pas son tribut. C’est la lucidité. Je crois dans la transformation du pays et dans les idées de progrès. Je crois en la capacité à convaincre sur le discours d’explication et de pédagogie. En notre capacité de faire advenir cette nouvelle offre politique dans toutes ses composantes. Car mon seul objectif est de refonder l’offre politique autour du progressisme et donc d’un projet cohérent, clair et exigeant et de tout faire pour que ce projet l’emporte et puisse refonder la France.

A votre départ de Bercy, vous avez insisté sur les graves blocages de la société française. Quels sont-ils?

Les principaux blocages de notre société viennent des corporatismes, des corps intermédiaires et du système politique. Pour autant, je ne suis pas l’ennemi des corps intermédiaires. Ils sont nécessaires pour structurer la société. Les critiquer m’a valu l’accusation d’être populiste comme Marine Le Pen. Si parler au peuple ou dire que les corps intermédiaires ne jouent plus leur rôle, c’est être populiste, alors je veux bien être populiste! Les corps intermédiaires doivent être réinterrogés dans leur fonction. Ils ont un rôle à jouer dans la structuration de notre démocratie. De ce point de vue, les maires et les associations ont un rôle clé, car ils ont une légitimité d’action.

Pouvez-vous préciser quels corporatismes vous critiquez?

Ce sont des morceaux de la société qui se sont organisés pour défendre leurs intérêts. Des professions ont créé des barrières à l’accès pour les plus jeunes. L’élite politique, administrative et économique a développé un corporatisme de classes. Notre société n’est pas la plus inégalitaire, mais elle est l’une des plus immobiles.

Quel élan faut-il insuffler à votre pays?

La France doit réussir dans la grande transformation du monde en cours tout en restant fidèle à ce qu’elle est. Il faut retrouver le fil du roman français. Je crois au roman national. Je veux pouvoir expliquer dans les prochaines semaines ce que nous sommes, ce qu’est le pays, refonder notre armature économique, sociale et politique, réinvoquer un discours culturel et intellectuel qu’on a perdu. Je ne crois pas qu’il faille adapter la France au monde. Il faut transformer la France pour qu’elle soit plus forte dans un monde qui bouge, car sa vocation est universaliste. Ne pas suivre le cours du monde, mais être en mesure de le changer si nous sommes suffisamment forts. Le poids militaire et diplomatique qui est le nôtre n’existe pas sans réussite politique.

A quoi tiendrait cette réussite?

Il est urgent de réconcilier la France: elle souffre d’avoir divisé son histoire et ses populations. Elle s’est séparée. Les gagnants et les perdants de la mondialisation représentent deux France qui s’écartent et ne se parlent plus. L’élite économique considère qu’elle a peu à dire à la France des périphéries, à ceux qui vivent dans l’anxiété. C’est une faute et une erreur, car notre histoire n’est pas dans la séparation. Je crois à la responsabilité morale des élites si on veut reconstruire le rêve français. Au lieu de cela, on voit aussi une France qui se replie dans le fait religieux et identitaire, et la France inquiète des classes moyennes françaises qui se replient dans l’insécurité culturelle.

Pensez-vous qu’on assiste à une montée du fait religieux?

Le besoin d’absolu qu’ont les hommes traduit une crise de l’anthropologie politique moderne. Les individus en société ont un besoin de spiritualité, de transcendance. Il est normal que les religions prennent cette place. Pour autant, je ne crois pas à la religion républicaine. L’Etat et la sphère politique ne doivent pas chercher à se substituer au religieux. Je pense néanmoins que le rôle de l’Etat est de le mettre à la bonne place. Non pas de le neutraliser ou de l’appeler à la discrétion, ce qui est intolérable, car c’est l’Etat qui est laïque, non la société.

Mais la puissance publique doit intervenir pour permettre trois choses. D’abord, elle doit garantir l’autonomie des individus. De tous les individus, c’est-à-dire de ceux qui croient comme de ceux qui ne croient pas. Cette responsabilité implique que tous les Français qui veulent vivre pleinement leur spiritualité doivent pouvoir le faire librement. Cela implique également que l’Etat doit s’assurer que, partout dans la société, les règles de la République prévalent sur celles de la religion. Ensuite, l’Etat doit garantir la bonne cohabitation des religions. Les religions doivent pouvoir s’exprimer dans le respect l’une de l’autre. Enfin, l’Etat doit lutter contre les idéologies politiques qui se réclament de la religion et qui promeuvent une vision obscurantiste de la société.

On vous a peu entendu sur l’affaire du burkini…

Le burkini n’est pas culturel. C’est culturel, idéologique, politique. Il faut réussir à préserver les libertés individuelles, l’ordre public, mais surtout la juste place de la réponse de l’Etat. Si nous tombons dans le piège, le risque en retour est de séparer toute une communauté de Français qui existe dans le champ social et politique, qui a sa propre foi, et qui se sentira exclue de par sa foi en raison de notre réponse. Il était justifié à certains endroits, pour des raisons d’ordre public, d’interdire le burkini. Il est indispensable de mener une bataille politique, idéologique, pour dire que le burkini est contraire à l’idée que nous nous faisons de la civilité et de l’égalité hommes-femmes.

Il est en même temps indispensable de défendre la liberté individuelle si certains veulent s’habiller d’une certaine façon. C’est une formidable défaite de voir des policiers arriver sur une plage et demander à une femme, au nom de la laïcité, d’ôter un burkini.

Comment redonner confiance aux Français en matière de sécurité?

C’est un vrai défi qui n’est pas seulement sécuritaire mais aussi moral. Il relève du rapport entre la société et le politique. Au premier degré, la réponse concerne les moyens que Nicolas Sarkozy avait affaiblis quand il était en responsabilité. Il faut compter sur la présence militaire et policière, sur le traitement judiciaire de certaines affaires, la capacité à sanctionner rapidement. Il faut aussi restaurer deux éléments clés, la fonction de renseignement et celle de prévention. Puis veiller à un troisième bloc essentiel: notre capacité à former des individus dans chaque classe d’âge pour défendre notre collectivité, sans pour autant recréer le service militaire.

Au-delà des réponses en termes de moyens, il faut admettre que nous sommes dans une société du risque. Nous devons faire comprendre à nos concitoyens qu’une société du risque est une société de responsabilité. Il est impossible de promettre que le pire ne reviendra pas, sans pour autant inquiéter ni traumatiser. On doit être transparent sur les responsabilités de chacun. Savoir si on a bien fait les choses après un attentat, d’où l’utilité des commissions parlementaires. Agir avec calme et autorité.

L’autorité ne se mesure pas à la magnitude du réflexe sécuritaire. Quand le 9 décembre 1893 un attentat anarchiste a lieu au Parlement, les parlementaires sont en train de débattre sur le beurre. Juste après l’explosion, et alors que la fumée n’a pas fini de se dissiper, le président de l’Assemblée dit: «La séance continue. Reprenons le débat sur le beurre.» Chaque président de groupe dit: «Oui, reprenons ce débat sur le beurre, parlons du beurre.» La vraie autorité est de ne pas se laisser imposer l’ordre des choses par ceux qui nous assaillent. Ce qui est moral, c’est la capacité des gouvernants à ne pas se laisser dicter leurs décisions par la tyrannie des événements.

Quel rôle attribuez-vous à l’Etat?

Je crois dans la place de l’Etat. Dans notre histoire, l’Etat tient la nation. Il ne faut jamais l’oublier. Je pense toutefois qu’il faut moins d’Etat dans la société et dans l’économie. A vouloir surréguler, l’Etat s’est affaibli et s’est transformé en étouffoir. On le voit pour ce qui relève de l’entrepreneuriat. On a longtemps considéré que l’Etat devait se substituer à la société pour agir et que la norme permettait de protéger le faible, selon la philosophie de Lacordaire. Ce n’est plus vrai dans un monde ouvert. Quand la norme surréglemente, elle entrave. Elle empêche la liberté d’entrer dans nombre de maisons, y compris celles des plus pauvres.

Dans la vie économique, l’Etat norme trop. Je crois qu’il est légitime, dans certains secteurs, de réfléchir à moins d’Etat, car il est plus efficace et juste de laisser la société respirer, la créativité s’exprimer. Cette vision correspond plus au type de société et d’économie dans lesquelles nous sommes entrés.

L’Etat doit jouer son rôle, assumer les missions de souveraineté et assurer les biens communs indispensables. Nous devons considérer que si on laisse filer, on sera dépendants d’autres puissances politiques. Mais l’Etat est plus efficace s’il sait articuler sa souveraineté avec une vraie souveraineté européenne. Il doit exister une protection à cet échelon. La capacité à transformer le rêve français en rêve européen est fondamentale. Mitterrand avait su le faire. Il faut retrouver cette filiation. Nous devons penser la place de l’Etat à travers l’Europe. C’est un des axes de notre vitalité démocratique.

Justement, qu’en est-il de l’Europe et de la mondialisation?

Le rapport à l’Europe est essentiel. Les souverainistes se sont construits contre elle. Or où est la vraie souveraineté française? Elle est parfois dans le pays. Mais aussi dans l’Europe. La souveraineté numérique, la souveraineté énergétique, la souveraineté face au fait migratoire ou militaire se gèrent à cette échelle. La France ne gagnera pas contre Google et Facebook. L’Europe si. Au moins, elle les régulera. Elle pourra être un acteur critique face à la Chine et aux Etats-Unis. Si on est l’Europe, on peut se battre face au dumping chinois dans l’acier, protéger nos populations et nos entreprises. On ne peut pas si on n’est qu’un pays. Ce paradoxe qui consiste à opposer le souverainisme et l’Europe est aussi un traumatisme français.

Quelle doit être selon vous la place de la France dans le monde?

Nous sommes dans le monde. Par notre géographie. La France est un des seuls pays présents sur tous les continents. C’est aussi notre histoire coloniale et postcoloniale. Par la langue, la France est un pays-monde. C’est notre statut. Nous avons le monde dans le pays, car la France est une terre d’immigration. Une terre où l’universel s’est pensé, une terre de savoir. C’est très spécifique. Ce n’est le cas ni de la Chine ni des Etats-Unis.

Quand des merveilles du monde sont abattues à Tombouctou, la France réagit. Il y a très peu d’Américains que ces événements touchent. Nous avons cette conscience du monde. C’est aussi l’identité française. Notre histoire est que nous avons le monde dans nos tripes. Nous sommes aussi la nation des droits de l’homme. Oui, nous avons vocation à nous mêler aux affaires de la planète.

Une autre raison pragmatique, à présent, est que le monde se déverse dans chacun de nos pays. On l’a vu avec les réfugiés ou le terrorisme. Tout est poreux, tout se déplace. L’extérieur s’importe dans nos débats politiques, dans notre vie. On ne peut s’en désintéresser. Bien sûr, on ne peut agir seuls. La question est: comment parvenir à retricoter un système multilatéral efficace, aujourd’hui essoufflé à cause du repli de l’Amérique sur elle-même, lié aux gaz de schiste et aux grands choix géostratégiques d’Obama?

L’Amérique devient une puissance de plus en plus tournée vers le Pacifique, de moins en moins vers l’Atlantique, de moins en moins dépendante du Moyen-Orient. Or cette région, avec l’Afrique, est au cœur des intérêts géopolitiques, économiques et commerciaux. Comment retrouver des alliés qui partagent nos valeurs comme jusqu’ici l’Amérique?

L’Europe n’est-elle pas une partie de la solution?

Nous avons besoin d’une politique européenne plus coordonnée sur le plan humanitaire, de l’aide au développement et de l’intervention commune. Celle-ci reste très faible. Les choses peuvent changer, car l’Allemagne fait son aggiornamento depuis la crise des réfugiés. Son évolution progressive est importante. Ce qu’on vit avec la crise des réfugiés est la meilleure preuve que si nous n’avons pas une politique commune pour la protection des frontières, le développement et la politique humanitaire, nous en payons cash les conséquences.

Si l’Europe avait été capable de formuler une réponse coordonnée quand on a identifié les problèmes des réfugiés syriens, les premiers camps en Turquie et au Liban, jamais nous n’aurions eu la première route des Balkans et les millions de réfugiés arrivant en Europe. C’est parce que nous n’avons pas su organiser une réponse humanitaire au Liban et en Turquie que nous avons rencontré ce problème. Avec l’Afrique, nous avons ce même défi: la France a un rôle très particulier et doit l’assumer. Je suis pour une vraie politique française de partenariat économique et culturel équilibré. Il faut aider l’Afrique et l’assumer, sans fausse pudeur postcoloniale.

Vous semblez prêt à porter vous-même ce programme.

La seule chose qui m’arrêterait serait de voir que, à un moment donné, je deviens un danger ou un obstacle pour que les idées que je porte puissent accéder au pouvoir. Tant que ce n’est pas le cas, sky is the limit.

Cet entretien est paru dans l’hebdomadaire français «Le 1».
Version intégrale sur www.le1hebdo.fr

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Ed Alcock / M.Y.O.P. 2016
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