Simon Tisdall
Zoom. La stupéfiante remarque du nouveau président philippin Rodrigo Duterte à propos de Barack Obama s’insère dans une longue tradition de langage, disons, peu diplomatique.
«Fils de p…» L’invective de Rodrigo Duterte, le nouvel autocrate philippin démocratiquement élu, à l’encontre du président américain Barack Obama a jeté un certain froid sur les relations entre Washington et Manille. Mais le choix des mots de Duterte n’est pas nouveau dans l’histoire du discours politique. Des insultes de tout type ont été utilisées par d’autres politiciens, dirigeants et figures populaires au moins depuis que la Grèce antique a inventé la démocratie.
Dans la première partie de Henry IV de Shakespeare, Falstaff qualifie le jeune prince de Galles, futur roi d’Angleterre, de «bite de taureau» et le prince réplique par un «fils de p… obèse». Pas trop différent de ce que, six cents ans plus tard, Duterte dira. D’ailleurs, Barack Obama, premier président noir des Etats-Unis, a eu le temps de s’habituer. On l’a accusé d’être un musulman converti et un membre des Black Panthers, d’avoir menti à propos de la mort d’Oussama Ben Laden, de financer ses campagnes avec l’argent de la drogue.
Un t-shirt électoral proclamait: «Quelque part au Kenya il manque l’idiot du village.» On se souvient que George Bush Sr., remplacé en 1992 par Bill Clinton et Al Gore, parlait de ses rivaux démocrates comme de «deux abrutis».
En France, Nicolas Sarkozy a réussi l’exploit d’insulter trois dirigeants alliés d’un coup lors d’un déjeuner officiel en 2009 en disant qu’Obama n’était «pas toujours à niveau quant aux prises de décision et à l’efficacité»; que le premier ministre espagnol José Luis Zapatero n’était «sans doute pas très intelligent» et qu’Angela Merkel ne comprenait pas bien la crise financière mondiale.
Les gaffes ont aussi été la spécialité de l’ex-maire de Londres Boris Johnson, aujourd’hui ministre des Affaires étrangères. Il a causé un scandale – et un éclat de rire – en Turquie en écrivant un limerick (poème humoristique de cinq vers rimés, ndlr), évoquant Recep Tayyip Erdogan en train d’honorer une chèvre.
Une arme de choix: le sexisme
Les rivalités historiques entre nations ont souvent incité leurs dirigeants à recourir à un vocabulaire indélicat. Napoléon traitait dédaigneusement les Anglais de «nation de boutiquiers», tandis que Jacques Chirac affirmait: «On ne peut se fier à des gens qui ont une cuisine aussi nulle. La seule chose qu’ils ont apportée à l’agriculture européenne, c’est la maladie de la vache folle.»
Le sexisme a souvent été une arme de choix. Accusé d’être en état d’ébriété à la Chambre des communes, Winston Churchill répliqua à la députée Bessie Braddock: «Ma chère, vous êtes laide. Pis, vous êtes affreusement laide. Mais demain je serai sobre et vous, vous resterez affreusement laide.»
Un mot de Sarkozy est entré dans le langage courant: lorsque, à la Foire de l’agriculture de Paris, un électeur refusa de serrer la main du nouveau président, il se vit gratifier d’un inélégant «Casse-toi, pauvre con, va».
Quiconque imagine que l’insulte en politique est un phénomène moderne devrait se pencher sur ce qu’a dû encaisser, successivement, un président américain du XIXe siècle, selon Geoffrey Stone, du Chicago Tribune: menteur, despote, usurpateur, voleur, monstre, parjure, ignare, tricheur, tyran, esprit du mal, lâche, bouffon, pirate, boucher, démon, monte-en-l’air et traître à la patrie!
Ce président-là était Abraham Lincoln, dont la réputation est manifestement remontée depuis.
© The Guardian
Traduction et adaptation Gian Pozzy