Richard Werly
Reportage. Joyau naturel, la presqu’île est aujourd’hui l’une des enclaves mondaines et balnéaires les plus prisées de l’Hexagone. Dans un raffinement chic à faire pâlir l’arc lémanique…
Automobilistes impatients s’abstenir! Chaque week-end, et presque tous les jours en période de vacances estivales, l’interminable cordon de voitures se transforme, à hauteur de Claouey, en un ruban de véhicules à l’arrêt.
Oubliées, les années bohèmes qui, jusqu’en 1990, permettaient sans souci les allées et venues motorisées sur l’unique route départementale D106 à une voie qui, passé Lège, relie Bordeaux au cap Ferret. Cap-Forêt, le village de vacances de Claouey achevé en 1983, composé de 240 logements répartis sur trois hameaux, est le verrou du cap.
Conducteurs nargués par les cyclistes en train de pédaler sur la belle piste pour vélos, le long des forêts de pins dont les billes, chargées sur des pontons encore visibles, partaient jadis à destination de l’Angleterre pour y finir en meubles so British.
Moteurs au point mort. Embouteillages. Patience. Premier conseil aux lecteurs de L’Hebdo curieux de découvrir la presqu’île sans avoir besoin d’y circuler à quatre roues: le train reliant toutes les heures Bordeaux à Arcachon, puis la navette Transbassin pour rejoindre le cap Ferret en vingt minutes – via l’île aux Oiseaux et ses fameuses maisons «tchanquées» sur pilotis – est une solution à ne pas négliger.
Les années bénies
Les Bordelais aisés sont les meilleurs historiens du cap Ferret. 1970. Années bénies. La presqu’île recouverte de forêts, ses sentiers sablonneux, et ses incontournables «cabanes» ostréicoles, abrite un petit paradis tranquille sur lequel lorgnent les cossues villas masquées par les feuillages. «On a tous grandi en se promettant de se voir le week-end au cap, soit chez Hortense, soit sur la terrasse à l’Hôtel de la Plage», sourit Constance Leman, conseillère municipale de Bordeaux, dont l’enfance fut ponctuée des séjours dans la villa familiale les pieds dans l’eau, revendue depuis.
Bienvenue dans les coulisses du film à succès Les petits mouchoirs, tourné en 2009 par Guillaume Canet, un amoureux des lieux. Presque dix ans! Jeanine et Michou, deux sœurs, régnaient alors encore sur la silhouette reconnaissable, genre chalet balnéaire, de l’Hôtel de la Plage, au bout de l’avenue de l’Herbe, que les habitués continuent d’appeler «Chez Magne».
Les cabanes à huîtres, entre deux rangées de casiers remplis de crustacés, offraient le spectacle d’une France côtière populaire, agricole, besogneuse, mélangée avec les notables du Médoc attachés à leurs «pinasses» – les barques traditionnelles – et pas encore ivres de yachting.
Nicolas Lascombes est aujourd’hui le restaurateur le plus en vue de la péninsule où il possède, en plus de l’Hôtel de la Plage – racheté aux deux sœurs qui habitent désormais juste en face et épient les clients – Le Bouchon du Ferret: «Le cap est un morceau de l’âme bordelaise qui a changé avec la ville. Tout s’est gentrifié. Avec un avantage aussi: tout est mieux préservé.»
Les Suisses en visite peuvent commencer leur périple par le port de La Teste-de-Buch, là même où, au XVIIIe siècle, le banquier helvétique Daniel Nezer tenta en vain la première opération d’exploitation agricole de ces «sauvages confins landais» (voir "Dans le bassin d'Arcachon, sur les traces du banquier suisse Nezer"). Quinze ans avant la première ruée immobilière sur Arcachon, les pontons de La Teste accueillent, à partir de 1840, les premières cabanes du bassin, où se retrouvent d’abord les familles de forestiers.
Le plan de base de celles-ci, depuis, n’a guère changé. La plupart n’excèdent pas 6 x 8,2 mètres et les planches de pin des Landes, verticales à couvre-joints, sont toujours de rigueur. Tuiles «chaulées» (enduites d’un mélange de chaux et de sable) obligatoires pour les naissains d’huîtres.
Un espace codifié
Seules ont changé les ouvertures desdites cabanes, bien plus grandes aujourd’hui qu’en ces temps agricoles et rustiques. Idem pour l’étanchéité, longtemps assurée par un badigeonnage à l’huile de vidange ou au coaltar (un liquide noir visqueux utilisé pour protéger matériel et bateaux): les peintures vert marine soignées ont supplanté depuis belle lurette les badigeons.
Et tout cela est codifié: depuis juin 1958, soit quelques mois après le retour au pouvoir du général de Gaulle, un arrêté préfectoral réglemente dans les moindres détails la construction, l’entretien ou la réparation des cabanes données «en concession» par l’Etat, propriétaire du littoral et exploitant du «domaine publique maritime».
Déguster les huîtres du bassin d’Arcachon, plus grande concentration ostréicole de France, est évidemment une étape obligée. Sylvie Latrille, une exploitante arrivée sur les lieux il y a vingt ans, offre depuis plus de dix ans dans sa Cabane 57 (www.lacabane57.com) le concentré du cap Ferret avec ses tables posées sur le ponton de bois ouvert au large et sa terrasse active jusqu’à fin novembre, puis à partir du début mars.
Les curieux d’histoire locale et d’ostréiculture pourront, auparavant, avoir fait une halte au port voisin de Larros (Gujan-Mestras), construit à la fin du XIXe siècle, où la Maison de l’huître est au Ferret ce que la Cité du vin est à Bordeaux.
Les petits ports du cap (port de la Hume, port de Meyran, port de Gujan, port du Canal, port de la Barbotière…) résonnent d’ailleurs chacun comme les appellations des vignobles de l’arrière-pays. A chaque «darse» (le ponton) son histoire, à chaque «parqueur» sa légende dans ce territoire partagé entre mer et terre. Le parc ornithologique, lieu d’accueil de plus de 200 espèces d’oiseaux migrateurs, enserre huîtres et hommes.
Les prés-salés narguent les blockhaus allemands, vestiges de la Seconde Guerre mondiale et du fameux mur de l’Atlantique: «Le bassin comme le cap Ferret ne peuvent pas se réduire à une carte postale, raconte Rodolphe Martinez, auteur de Du côté du bassin (Ed. Mollat). Protégé des convoitises des promoteurs, il est un lieu de vie, de retraite, de travail et de vacances à la fois.»
Protégé, vraiment? De l’exploitation foncière et immobilière abusive, oui, depuis que la loi du 6 août 1905 a fait des 44 hectares du bout du cap Ferret une terre hors d’atteinte des promoteurs, une «presqu’île aux trésors» justement surnommée ainsi par la revue locale touristique et érudite Le festin. La compétition entre propriétaires de magnifiques villas, les voitures de luxe garées devant les portails que le visiteur découvre, le week-end, à bord du petit train qui sillonne la presqu’île, disent combien le cap n’est plus ce bout de terre sauvage d’antan.
La légende de la famille Bartherotte, installée à la pointe du Ferret depuis une trentaine d’années, et affairée, depuis 1985, à y construire une digue controversée pour protéger de l’érosion océane ses cabanes de bois soignées, dit à la fois la passion des lieux et l’envers de cette France rêvée. Le charme du Ferret, préservé mais si convoité, a toujours été l’objet d’intenses batailles.
À LIRE:
«Du côté du bassin». De Rodolphe Martinez. Ed. Mollat.
«Le bassin d’Arcachon en 101 sites et monuments». Revue «Le festin», hors série.