Elisabeth von Thadden
Eclairage. La pneumonie dont a souffert Hillary Clinton en septembre doit-elle inquiéter les électeurs américains? Pas sûr. Retour sur la longue liste des problèmes de santé des présidents.
Un certain Dr Harold N. Bornstein, 101 East 78th Street, New York, a délivré un certificat de bonne santé au nom de Donald Trump. Il y est indiqué que le candidat républicain «serait la personne la plus en forme de tous les temps à être, le cas échéant, élue à la Maison Blanche». Pression 110/65, un vrai jeune homme! Le patient absorbe 81 mg d’aspirine par jour, il a perdu au moins 7 kilos en un an. Le médecin admet certes avoir rédigé ce certificat en cinq minutes seulement, mais il insiste: «Sa santé est excellente, surtout sa santé mentale.»
Il est dans l’air du temps de se soucier de l’état de santé des candidats à la Maison Blanche. En réalité, la bonne santé n’a jamais été la caractéristique première des présidents qui ont écrit l’histoire américaine. Et ils n’ont pas été les seuls: arrivé à un âge certain, l’ancien chancelier allemand Helmut Schmidt a confessé qu’il n’avait jamais été en très bonne santé et s’était évanoui au moins 100 fois durant l’exercice de ses fonctions.
On a longtemps pensé que seules les femmes s’évanouissaient et qu’il fallait leur faire respirer des sels. Et voilà que Hillary, en pleine commémoration du 11 septembre, est tombée dans les pommes. Ses jambes chancelantes ont préoccupé toute la planète médiatique.
Qu’y avait-il donc d’écrit dans le certificat médical établi en 2015 par le médecin personnel de la famille Clinton, Lisa Bardack? Pourquoi ne compte-t-il que deux pages? Que signifie le diagnostic d’hyperthyroïdie mentionné? Pourquoi la candidate a-t-elle tu la pneumonie que son médecin a plus tard attestée? Pourquoi, peu après avoir perdu connaissance, portait-elle des lunettes d’un bleu criard et saluait-elle mécaniquement la foule? Ce qui est arrivé à cette femme de 68 ans est-il normal? En somme, que nous cachet-on?
L’hystérie médiatique qui a entouré le cas Clinton et les rugissements des adeptes de droite de la théorie du complot à propos de sa capacité à assumer la charge à laquelle elle aspire sont une situation nouvelle. Auparavant, c’était le règne du secret et de la dissimulation. En effet, la culture politique américaine a toujours voulu que le peuple ignore l’état de santé de ses présidents: ils devaient incarner le bien idéal, indépendamment du caractère périssable de leur corps.
Cela a fonctionné aussi longtemps que les caméras n’existaient pas ou qu’elles ne se montraient pas trop intrusives: le peuple ne voyait presque jamais de près celui à qui le bonheur de la nation incombait. Or, le corps régalien a souffert de mille maux tout au long de l’histoire américaine. Après un seul mois à son poste, en avril 1841, William Henry Harrison succombait à une pneumonie que nul n’avait détectée.
En 1850, on parvint à dissimuler presque jusqu’à la fin le choléra qui allait emporter le président Zachary Taylor. Abraham Lincoln souffrait d’une maladie héréditaire rare, la néoplasie endocrinienne multiple de type 2B. Woodrow Wilson avait déjà souffert de plusieurs attaques avant d’accéder à la présidence et, lorsqu’il en eut une de plus, en 1919, sa femme reprit discrètement la gestion des affaires.
En 1925, Calvin Coolidge luttait contre la dépression, Franklin D. Roosevelt tentait au mieux de masquer sa poliomyélite infantile et Dwight Eisenhower faisait mine de ne pas être malade du cœur.
La levée du secret
D’emblée mythifié pour sa jeunesse et sa vitalité (y compris sexuelle), John F. Kennedy prenait des médicaments si puissants qu’il n’était pas toujours tout à lui. Les injections de procaïne atténuaient la douleur, le Nembutal l’aidait à dormir, le Lomotil soulageait son intestin. Pour ne parler que de trois des huit médicaments qu’il absorbait quotidiennement. En grand secret.
Il est difficile de dire quand la surveillance médiatique de la santé des présidents et la mise à jour régulière de leurs bulletins médicaux ont commencé. Lorsque Jimmy Carter se mit à faire son jogging dans les rues de Washington, on vit pour la première fois des photos d’un président tout en sueur. C’est en 1980 que le New York Times s’est mis à interroger régulièrement les candidats sur leur état de santé. Et c’est avec Bill Clinton que, pour la première fois, des fonctions corporelles plus privées sont tombées dans le domaine public au fil d’une cruelle bataille politique.
Reste que, depuis l’an 2000, la curiosité populaire a trouvé son avocat en la personne du Dr Zebra. Sous ce pseudonyme, le cardiologue John Sotos a mis en ligne tout l’éventail des maux affreux qui ont affecté les présidents des Etats-Unis, en commençant par le premier, George Washington. Pour être politiquement neutre, il est loisible d’affirmer que, républicain ou démocrate, aucun ne se portait très bien.
Trois malades à Yalta
Peu importe qu’on préfère ne pas connaître tous les détails: les hémorroïdes puis le cancer du pancréas de Jimmy Carter, le cancer de la peau et la prostate hypertrophiée de Ronald Reagan, la couperose pathologique et l’hypoacousie de Bill Clinton, le ménisque flageolant de George W. Bush qui n’est en rien lié à sa période d’alcoolisme galopant.
Le Dr Zebra a posé des diagnostics précis et les a comparés avec les fantasmes populaires qui envahissent la Toile, attribuant à Hillary Clinton un mélange de maladies qui vont de l’autisme à parkinson. On en est presque à regretter le bon vieux temps des présidents alcooliques, fumeurs et avaleurs frénétiques de pilules. Comme dans la vraie comédie humaine.
Quand on examine aujourd’hui la photo emblématique des trois grands, Winston Churchill, Franklin Roosevelt et Joseph Staline, à la Conférence de Yalta en 1945, on en retire l’impression d’être devant un résumé aberrant de toutes sortes de maladies cachées. Après un accident cardiaque en 1941 et un second en 1943, le premier ministre britannique donna à son médecin particulier, Lord Moran, un motif de s’arracher les cheveux.
Le médecin déplora le fait que Churchill était à peine capable de suivre les débats à la conférence. Roosevelt était paralysé et affecté d’une grave maladie cardiaque. Son cardiologue, Howard Bruenn, lui diagnostiqua une hypertension de 240/130, une manière de ne pas insister sur la gravité de la maladie. Quant à Staline, le dictateur soviétique, il avait le bras gauche paralysé depuis l’enfance et souffrait de phobies: ce sont surtout les médecins qui lui faisaient peur.
C’est ainsi que, dans le désert de ruines et d’extermination laissé par les nazis, naquit la paix en Europe.
l’Amérique obsédée par la perfection physique
La publication des dossiers médicaux présidentiels n’est devenue une exigence politique que très récemment aux Etats-Unis. En 2008, le jeune candidat Barack Obama a divulgué à ses électeurs une attestation irréprochable de 276 mots, tandis que son rival plus âgé John McCain, blessé et prisonnier de guerre, livrait 1000 pages de diagnostics divers. Une sorte de validation biologique à des fins politiques.
Dans son ouvrage Anthrax, l’historien zurichois Philipp Sarasin a montré combien la crainte d’un danger biologique poursuit une Amérique obsédée par la perfection physique. Au point de vouloir tout contrôler depuis les alertes à la guerre bactériologique au lendemain du 11 septembre 2001, au nom d’une cleanliness puritaine qui s’étend de Boston à Seattle.
Tout bien pesé, ces constats mènent à la question suivante: le Dr Harold N. Bornstein ne s’est-il pas trompé en qualifiant Donald Trump de candidat «le plus sain de tous les temps»? Peut-on imaginer qu’un homme puisse devenir président quand son dossier énonce simplement «Il n’a rien»? Pourquoi cela ne préoccupe-t-il pas davantage le bon peuple?
Le fait que Hillary Clinton, en pleine commémoration du 11 septembre, ait senti ses genoux flageoler peut être pris comme un atout pour sa candidature. Après tout, cela prouve qu’elle est humaine. C’est une bonne chose que la caméra d’un passant ait pu saisir l’épisode: historiquement, nous avons tellement progressé que même une femme a le droit de tomber malade.
© Die Zeit traduction et adaptation gian pozzy