Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Alimentation: haro sur les additifs

$
0
0
Jeudi, 13 Octobre, 2016 - 06:00

Enquête. Conservateurs, édulcorants, antimoussants… L’industrie alimentaire a recours à de nombreuses molécules pour fabriquer les aliments. Ces additifs aux noms barbares sont de plus en plus décriés. Certains auraient même des effets néfastes sur la santé. Face aux nouvelles attentes des consommateurs, les grands groupes tentent de produire des gammes plus naturelles. Mais aussi plus chères.

Ces grands chefs ne montrent jamais leur visage à la télévision. Pourtant, leurs petits plats nourrissent des millions de personnes. Anonymes et discrets, ils travaillent dans les cuisines surprotégées des grands groupes alimentaires. Pour rendre leurs pizzas, sauces ou desserts plus goûteux, ils ont leurs petits «trucs», des produits chimiques miracles, qui donnent des crèmes plus savoureuses, plus brillantes et plus colorées.

Tout comme une grand-mère qui ne dira jamais qu’elle ajoute une cuillère de sucre dans sa bolognaise, les développeurs de l’industrie alimentaire gardent bien au chaud leurs bottes secrètes. D’autant qu’elles portent des qualificatifs moins romantiques que la fleur d’oranger ou le miel. Ces produits magiques, ce sont les numéros que vous pouvez lire sur les emballages: E162, E322, E621… Tous sont des additifs et il en existe des milliers.

L’Ordonnance fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels définit les additifs comme des «substances ajoutées intentionnellement, de façon directe ou indirecte, aux denrées alimentaires pour des raisons d’ordre technologique ou organoleptique». Ces produits n’apportent que peu, voire aucune valeur nutritive au plat. Leur usage est multiple. Certains permettent à une béchamel d’être crémeuse, d’autres augmentent le goût d’un yaourt aux fraises ou procurent un aspect gélifié à un pâté de campagne.

Les additifs ne datent pas d’hier. Certains sont utilisés depuis longtemps, comme les nitrites et les nitrates, par exemple, qui servent à conserver le jambon et la charcuterie. Au temps de l’Empire romain, on conservait la viande et les poissons grâce au salpêtre. Et l’amidon, qui épaissit les sauces en conserve, ressemble peu ou prou à celui que l’on met dans une béchamel maison.

Coton, jus d’insectes, particules de sable

Mais l’usage de ces produits a pris de l’ampleur avec la consommation de masse et la mondialisation. Dans nos sociétés industrielles, où il faut nourrir des milliards de personnes quotidiennement, les grands groupes ont dû réussir à fabriquer des produits qui se gardent mieux et plus longtemps, qui se congèlent, qui se transportent facilement et qui sont, en plus, agréables à manger. Leur savoir-faire n’a cessé d’augmenter avec les années.

Pour réussir ce défi, ils ont à leur disposition des milliers d’additifs aux effets plus étonnants les uns que les autres. Le jaune de quinoléine (E104) permet par exemple de donner une belle couleur dorée à certaines moutardes. Pour que les sauces soient d’un joli brun, il existe notamment le caramel ammoniacal (E150c).

La gomme xanthane (E415), elle, est un épaississant qui va lier les sauces ou les soupes contenant trop d’eau. Les triphosphates (E451) sont là pour stabiliser un produit qui pourrait se décomposer avec le temps ou pour retenir l’eau dans les filets de poisson congelés. Quant à la couleur rose des yaourts à la fraise, elle est obtenue à partir de concentré de jus de betterave rouge.

Certains additifs sont fabriqués dans des laboratoires, avec l’aide de la chimie ou de micro-organismes. D’autres sont issus de produits naturels, puis transformés. Saviez-vous, par exemple, que pour donner une couleur rouge aux fraises Tagada, au tarama ou à certaines conserves de fruits rouges, l’acide carminique (E120) est très efficace?

Il s’agit littéralement d’un jus d’insectes, puisqu’il est extrait des cochenilles, de petites bêtes vivant dans les cactus du Mexique. La cellulose (E460), elle, qui vient du bois ou de résidus de coton, sert à épaissir certaines crèmes ou des fromages râpés. Et le dioxyde de silicium, silice (E551), c’est-à-dire des particules de sable? Elles permettent aux comprimés d’édulcorant de ne pas s’agglomérer.

Ainsi décrites, ces petites astuces pourraient donner la nausée. C’est pourquoi les industriels sont les plus discrets possible à leur sujet. Pourtant, la fabrication des additifs est une industrie en bonne santé, qui propose des innovations technologiques prometteuses. Les deux leaders du secteur des arômes ont leur siège en Suisse. Firmenich, fondé à Genève en 1895, présente un chiffre d’affaires de 3 milliards de francs et emploie pas moins de 6000 personnes.

Son concurrent, Givaudan, affiche une santé tout aussi florissante avec un chiffre d’affaires de 2,3 milliards de francs au premier semestre 2016, en hausse de près de 7%. Comment ces experts fabriquent-ils les arômes? Le sujet est tabou: ni Firmenich ni Givaudan n’ont souhaité nous ouvrir leurs portes afin de lever le voile sur ces mystérieuses molécules.

Quel impact sur la santé?

Si les fabricants se font discrets, c’est aussi que les additifs font l’objet de plus en plus de suspicion. Les colorants artificiels que l’on peut trouver dans les bonbons, la margarine ou les glaces à la menthe, par exemple, sont accusés d’induire une forme d’hyperactivité chez les enfants qui en consomment régulièrement. Les édulcorants sont aussi très critiqués.

«Des études ont évoqué les effets neurocomportementaux de l’aspartame, comme l’irritabilité ou la dépression», indique Dimitrios Samaras, médecin nutritionniste consultant aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ce spécialiste ne diabolise pas les additifs en général, mais souligne les effets potentiellement négatifs des édulcorants, dont l’usage pourrait induire une résistance à l’insuline, donc un prédiabète, selon un article publié par la revue scientifique Nature en 2014.

Ces analyses inquiètent les consommateurs, qui se méfient de plus en plus de tous les additifs qu’ils rencontrent dans les produits au supermarché. Sur l’internet, sites et forums abritent des discussions alarmantes et interminables sur les effets néfastes de telle ou telle molécule, et le livre de l’activiste Corinne Gouget Additifs alimentaires: danger est devenu un best-seller. En Suisse, l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) assure que «la Suisse et

l’Europe ont renforcé la sécurité alimentaire, et les consommateurs sont protégés des risques». Paradoxalement, leur confiance s’est réduite: «En 2010, 66% des Européens étaient préoccupés par la présence de conservateurs, d’arômes et de colorants dans la nourriture», mentionne l’OSAV. Et ce nombre est en augmentation.

Les consommateurs sont-ils devenus paranoïaques? Le manque d’informations claires sur l’alimentation industrielle renforce en tout cas leurs craintes. Dans le doute, certains vont même jusqu’à prendre des décisions radicales.

En 2005, Claude Berdoz a commencé à se documenter sur la question. Après des années à soigner ses deux enfants victimes notamment de déficits immunitaires et de problèmes gastro-intestinaux, cette Vaudoise fait un choix drastique: chez elle, à table, il n’y aura plus aucun mets transformé. Elle bannit les laitages, les sauces toutes faites et le gluten de ses placards. Ses enfants mangent principalement des fruits, des légumes, de la viande. Elle confectionne elle-même son pain et ses biscuits. Et en cas de fringale, ils ont droit aux fruits à coque.

«Au bout de dix mois de ce régime, mon fils et ma fille ont cessé de prendre des médicaments», explique Claude Berdoz. Ses ennemis jurés: le glutamate, présent dans beaucoup d’aliments préparés, comme dans certaines chips, qui a notamment des propriétés addictives et peut empêcher la sensation de satiété. Et les phosphates, que l’on retrouve étonnamment dans beaucoup de tablettes de chocolat.

Aujourd’hui, ses deux enfants se portent très bien et continuent de suivre ce régime alimentaire sans additifs lorsqu’ils sont à la maison. Après le succès de son livre Déjouer les turbulences, dans lequel elle raconte son expérience, Claude Berdoz s’est lancée dans une activité de consultante en micronutrition à Renens, à Lutry et à Ecublens.

Des contrôles stricts

Le choix de cette Suissesse nécessite beaucoup de temps et d’investissement personnel: il faut cuisiner soi-même ses propres aliments et se renseigner de près sur ce que l’on met dans son assiette. Dans un monde globalisé, peut-on raisonnablement demander aux consommateurs de faire leur pain et de cultiver leur potager?

A Genève, Dimitrios Samaras se veut rassurant: «En tant que médecin, je dis et je répète que nous ne sommes pas sûrs de l’effet néfaste des additifs. Il est possible que certains nous fassent du mal. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’ils ne nous font pas du bien. Il n’a jamais été démontré que prendre des édulcorants va nous faire maigrir. Ce que je conseille, c’est donc d’aller vers une alimentation la plus naturelle possible, dans la mesure de ses moyens.»

L’autre raison de ne pas paniquer, c’est que les additifs alimentaires font l’objet de contrôles stricts de la part des régulateurs suisses et européens. «La liste des additifs autorisés évolue en permanence», explique Nathalie Hénin, consultante dans le domaine de l’alimentation industrielle. En Suisse, c’est l’OSAV qui en est responsable.

Au cours des dernières années, il a interdit plusieurs additifs comme la bentonite (E558), une sorte d’argile auparavant utilisée pour décolorer des boissons. La législation helvétique est à peu de chose près calquée sur celle de Bruxelles. Une fois la liste des additifs autorisés en main, c’est aux entreprises de s’assurer qu’elles respectent bien la loi.

Rares sont celles qui utilisent des produits interdits ou dépassent les normes légales. Les chimistes cantonaux sont là pour en témoigner: ils effectuent régulièrement des analyses sur des produits vendus dans le commerce et, en cas de problème, ils sanctionnent le fabricant. A Lausanne, le chimiste cantonal vaudois, Christian Richard, étudie au total près de 5000 prélèvements par an. Il dénombre moins de 10% de cas problématiques.

En ce qui concerne les additifs, il s’agit en majorité d’erreurs d’étiquetage, de surdosages (trop de colorants, par exemple) ou d’usage abusif (additif non autorisé pour l’aliment en question). Il n’est pas rare de voir des épices importées contenir des colorants interdits. Les additifs ne font pas peur à Christian Richard: dans la mesure où ils sont tous mentionnés sur l’étiquette, «le client a le choix de ne pas en acheter, contrairement aux pesticides, par exemple, dont la présence n’est pas détectable par le consommateur».

Produit naturel: une désignation à définir

Il est vrai que la composition des aliments industriels est de mieux en mieux précisée sur les étiquettes. Le consommateur suisse trouvera sur le site ch-fr.openfoodfacts.org les additifs présents dans la plupart des produits qu’il consomme. La loi oblige désormais les fabricants à plus de transparence – excepté pour les arômes, dont les ingrédients restent inconnus (lire en page 9). Consciente que leurs clients réclament des ingrédients plus sains, l’industrie met en avant la «naturalité» de ses produits – Nestlé en a créé un secteur entier.

«Cela fait plus de dix ans que nous travaillons sur cette tendance en lançant des gammes naturelles», explique Stéphanie Collier-Blanc, en charge de la nutrition et de l’évaluation sensorielle pour Nestlé Suisse. Le groupe agroalimentaire a commencé avec les glaces Mövenpick puis Frisco. En se donnant une règle: utiliser uniquement des ingrédients qui viennent d’une source naturelle.

Le problème: il n’existe encore aucun cadre réglementaire national ou international qui définit ce qu’est un produit naturel. L’entreprise se réfère donc à un standard interne. Aujourd’hui, un cinquième du portefeuille des produits Nestlé Suisse porte la mention «100% ingrédients naturels»: glaces, surgelés, pâtes à gâteau, sauces, etc.

Ces évolutions ne se font pas sans efforts, car les additifs naturels sont plus chers que les additifs chimiques. Dans l’industrie alimentaire, le coût est le nerf de la guerre. Pour composer un yaourt, un jus ou de la margarine bon marché, le fabricant va essayer de mettre beaucoup d’eau dans sa recette. Pour qu’elle ne se voie pas, il ajoutera un composant qui épaissit et émulsifie. Conséquence logique: c’est dans les produits les moins chers que l’on trouve le plus d’additifs.

n Suisse, un séré premier prix peut ainsi contenir moins de 6% de concentré de fruits, mais de l’amidon et de la maltodextrine, une forme de sucre. Dans le haut de gamme, en revanche, le consommateur a désormais à sa disposition des biscuits, des céréales ou des produits laitiers riches et naturels. Mais il devra en payer le prix…

Au consommateur d’être vigilant

Dans ce contexte, la responsabilité est encore et toujours mise sur le dos du consommateur. C’est à lui de veiller à ce qu’il achète et, en conséquence, les ménages au petit budget devront donc faire plus d’efforts pour se nourrir mieux. Aux HUG, le médecin nutritionniste Dimitrios Samaras résume: «On ne peut pas diaboliser tous les additifs, parce que, grâce à leur utilisation, nous profitons d’une meilleure variété alimentaire. Cependant, on peut essayer de diminuer leur charge dans notre assiette quotidienne.»

Il n’existe pas d’études scientifiques sur les effets de tous les additifs. Les autorités déterminent donc des doses journalières admissibles qu’il vaut mieux ne pas dépasser. Leur calcul est simple: elles prennent la quantité à partir de laquelle la substance a des effets toxiques sur les animaux testés et divise cette quantité par 100 pour obtenir la dose maximale quotidienne pour l’homme.

Chez les adultes, il n’est pas vraiment risqué de dépasser de temps en temps cette dose si, un jour, on mange beaucoup de brioches et on boit des litres de boisson gazeuse. «Mais pour un enfant de 15 ou 20 kilos, c’est différent, précise Dimitrios Samaras. Car les additifs auront plus d’impact, proportionnellement à son poids.» 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Gaetan Bally / Keystone
123 RF
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles