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Nelly Valsangiacomo: «L’image de l’italianité a connu un basculement spectaculaire»

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Jeudi, 20 Octobre, 2016 - 05:48

Interview. Saviez-vous que le Valais veut ajouter l’italianité au patrimoine immatériel de l’Unesco? La notion a inspiré un pôle de recherche et un colloque à l’Université de Lausanne. Les précisions de l’historienne Nelly Valsangiacomo.

La joie de vivre? Le génie artistique? Ou alors le machisme et l’art de la fanfaronnade? Qu’est-ce qui fait l’italianité? Disons-le tout de suite: le colloque* (en italien) qui se penche sur cette notion à l’Université de Lausanne en cette fin du mois d’octobre ne répondra pas aussi simplement à la question puisque, précisément, il se propose d’observer comment les représentations varient et évoluent au fil du temps.

La rencontre inaugure les travaux d’un pôle de recherche issu de la collaboration entre italianistes et historiens. Nelly Valsangiacomo en est coresponsable.

Le mot «italianité» existe, «germanité» aussi. Mais pas «francité». Pourquoi?

Peut-être parce que pour le français, il y a «francophonie», qui est d’ailleurs une notion à connotation nettement plus institutionnelle et politique. Derrière la «francophonie», il y a des pays qui ont le français pour langue nationale. L’«italianité» déborde les frontières nationales. Derrière cette notion, il y a plutôt des groupes, qui peuvent être minoritaires, comme en Suisse.

L’italianité est donc aussi un élément de «l’âme suisse», comme l’a dit Didier Burkhalter. Mais en quoi?

Le cas de la Suisse est intéressant, car il montre à quel point le concept est à géométrie variable. La première chose à laquelle on pense quand on évoque l’italianité suisse, ce sont les parties italophones du pays. Mais il y a aussi, plus largement, une italianité qui imprègne l’ensemble du territoire: on la doit aux vagues d’immigration successives.

En 2011, le Valais a ajouté l’italianité à la liste de ses propositions candidates pour figurer au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. C’était une manière de reconnaître que l’apport des immigrés fait désormais partie de son identité.

C’est vrai que, si Romands et Alémaniques mangent aujourd’hui des courgettes et de la roquette, c’est davantage grâce aux immigrés qu’aux Tessinois…

Ce qui ne va pas forcément de pair avec une image positive de l’immigré dont on adopte la nourriture. On peut manger de la pizza et considérer que les Italiens sont sales, bruyants et pleins de couteaux dans les poches, comme ce fut le cas longtemps en Suisse.

Aujourd’hui, les Italiens eux-mêmes disent «nous, on était de bons immigrés», par opposition aux suivants, qui sont diabolisés. Ces dernières décennies, l’image de l’italianité a connu un basculement spectaculaire. Replacer cette notion dans l’histoire, observer ses nombreuses variantes et leurs transformations, c’est le propos central du pôle de recherche pluridisciplinaire récemment créé à l’Université de Lausanne.

Quels sont les ingrédients de l’italianité? L’art, la culture, la joie de vivre? La désorganisation, la pauvreté, l’esprit mafieux?

La représentation est complexe et variable. Il y a une vision très positive héritée de l’élite voyageuse du XIXe, éblouie par le génie des artistes de Pompéi et de Florence. Elle coexiste avec celle de la pauvreté qui, à la même époque déjà et jusque dans les années 70, était liée aux émigrés. Et puis, il y a le tournant important des années 80, sur lequel nos recherches portent en priorité. C’est un moment de reflux des idéologies, où une sorte de diplomatie à la fois culturelle et commerciale se met en place pour vendre une autre image de l’Italie: la mode, le design, la modernité.

Il n’y a donc pas d’italianité immuable et essentielle?

La question du caractère propre à un peuple a beaucoup mobilisé les esprits dès le XIXe siècle, notamment au moment de l’édification des Etats-nations. Jusqu’à nourrir le discours justifiant la suprématie d’un peuple, voire d’une «race» sur l’autre. On est sur le terrain délicat de la construction identitaire. Avec, sous-jacente, la question fondamentale de la perception de l’altérité. C’est pourquoi il est important d’observer que les représentations ne sont pas immuables, qu’elles changent au fil de l’histoire. L’immobilisme, c’est ce qui sert de base au cliché.

* «A l’italienne: narrazioni dell’italianità dagli anni ottanta a oggi». Du 27 au 29 octobre. UNIL, bâtiment Anthropole. Entrée libre. www.unil.ch/ital

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Katja Snozzi
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