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Thomas Wiesel, envoyé très spécial à Las Vegas

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Jeudi, 27 Octobre, 2016 - 05:46

Retrouvez toutes les vidéos de Thomas Wiesel ici!

Récit. Habitué à commenter l’actualité politique suisse, l’humoriste Thomas Wiesel est parti pour «L’Hebdo» à Las Vegas, à la découverte de la campagne électorale américaine. Cette plongée dans le monde du spectacle lui ferait presque regretter le train-train confédéral.

On raconte souvent que, au moment de créer les Etats-Unis, les fameux Founding Fathers se seraient inspirés du mode de fonctionnement de la Confédération helvétique. Enfin, on le dit surtout en Suisse. Là-bas, ils ont déjà assez de peine à nous différencier de la Suède, on ne va pas trop leur en demander.

Mais difficile de comparer nos discrètes élections fédérales, qui peinent à mobiliser l’électorat, avec l’énorme capharnaüm de la présidentielle américaine. Dans mon entourage, rempli de sales jeunes abstentionnistes, nombreux sont ceux qui se révèlent nettement plus au courant d’une élection où ils n’ont pas leur mot à dire que des votations qui nous concernent plus directement. Même moi, qui suis payé pour suivre la politique suisse, j’avoue avoir lu cinquante fois plus d’articles au sujet de la présidentielle américaine que sur l’initiative AVSplus.

Un truc qu’on ne peut pas enlever aux Américains, c’est qu’ils ont le sens du spectacle. Alors, quand on m’a proposé d’aller voir de plus près la fin de cette campagne hors norme, à Las Vegas qui plus est, je n’ai pas hésité longtemps. J’aurais peut-être dû.

Ça a commencé par une fuite hydraulique dans l’avion, qui me fait passer 24 heures dans un aéroport, avec des passagers venus des quatre coins de l’Europe, très énervés et très impatients de traverser l’Atlantique. Ça donne mal à la tête, mais ça démontre aussi que le rêve américain existe encore bel et bien. Si les Américains voyaient l’enthousiasme que suscite toujours leur pays à l’étranger, ils ne ressentiraient peut-être pas autant le besoin de le rendre «Great Again».

Mais s’il y a une chose qu’une bonne partie des Américains rechignent à faire, à part un footing, c’est sortir du pays. Seuls 40% des citoyens possèdent un passeport. Des gens avides de raccourcis simplificateurs pourraient constater que c’est quasiment le score de Donald Trump dans les sondages, mais ce n’est pas mon genre.

De toute façon, pourquoi aller à l’étranger quand le monde entier est pastiché le long du fameux Strip de Las Vegas? La tour Eiffel, l’Egypte, la Rome antique, Venise, tout ça à distance de marche. Ou de scooter. Un chauffeur Uber nous avait avertis: le Strip, c’est l’un des rares endroits où l’on croise toutes les Amériques, d’habitude si séparées.

Et il n’avait pas tort. Entre les scooters motorisés, les retraités, les enterrements de vie de jeune fille et de garçon, les hommes et femmes d’affaires en congrès et les rednecks, dont l’absence de passeport est compensée par des drapeaux américains affichés sur l’intégralité de leurs habits, on est face à un rêve mouillé de responsable de sondage: un échantillon représentatif de la population américaine, unie dans son désir de consommer de l’alcool, du jeu et de la nourriture peu diététique (bien que tous les grands chefs aient désormais leur restaurant à Las Vegas, même Joël Robuchon, et rien que pour entendre les Américains tenter de prononcer son nom, ça vaut le déplacement).

A quelques mètres de là, sur le campus de l’Université du Nevada-Las Vegas (UNLV), qui accueille le troisième et dernier débat entre Donald Trump et Hillary Clinton, on trouve une Amérique bien moins unie. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour les deux candidats. Clinton est loin devant dans les sondages et gère son avantage. Au point même de disparaître entre le deuxième et le troisième débat, limitant ses apparitions pour éviter au maximum le risque de faire ou dire une connerie, et laissant le champ libre à son adversaire pour qu’il le fasse, lui.

Et, avec cet adversaire-là, c’est une assez bonne stratégie. Trump est dos au mur, contraint de frapper un grand coup pour revenir dans la course. Il lui faut remporter le débat, ensuite qu’un tremblement de terre arrache la Californie du continent et qu’un ouragan submerge New York, et il aura peut-être une chance de rattraper Clinton.

Un Show TV comme les autres

CNN a installé son plateau au milieu d’un parc sur le campus et diffuse déjà en direct, bien qu’on soit à plus de 24 heures du début du débat. La foule n’est pas dense, surtout des étudiants et des curieux, ainsi que quelques illuminés qui tentent de faire voir à la TV leurs pancartes jaune fluo et brouillonnes vantant les mérites de Jésus.

Pas de doute, il était charpentier, pas graphiste. L’assistance n’écoute pas les discussions sur le plateau, se contentant de crier le nom d’Anderson Cooper, présentateur star de CNN. Une sorte de Darius Rochebin puissance 10. Pendant une coupure pub, il se retourne et fait un signe de la main, déclenchant l’hystérie. On imagine mal un présentateur européen déchaîner un tel remue-ménage par sa simple présence, à part Morandini dans une cour d’école.

Pour certains, l’élection est devenue un show TV comme les autres. Un autre chauffeur Uber dévoile son programme pour le débat: «Avec mes potes, chaque fois qu’ils se critiquent ou s’insultent, on prend un shot. On prévoit d’être ivres après trente minutes.» Je serais étonné s’ils en ont tenu plus de quinze.

A quelques heures du débat, ça s’anime, les panneaux Jésus sont toujours là, mais submergés par les énormes «Make America Great Again» de Trump/Pence et «Stronger Together» de Clinton/Kaine. Ou même «Juntos, se puede» (Ensemble, nous pouvons), le Nevada ayant une forte minorité latino, Clinton ne va pas se gêner pour les draguer, provoquant en moi le même dégoût que les politiciens qui tentent de parler djeune.

Certains ont fabriqué leurs propres panneaux, aux messages moins politiquement corrects: «Cachez vos filles, Donald est en ville.» En tendant l’oreille, on réalise que les supporteurs de Trump ne se sont pas laissé décourager par les mauvais sondages, car ils dominent la bataille des décibels: «Ben-gha-zi», «Wi-ki-Leaks», «Build the wall!» (Construire le mur!) et le très percutant «Lock her up!» (Enfermez-la!).

La présence de l’orchestre de l’université ne fait que renforcer l’impression d’être à un match de football. Sauf que, à un match de foot entre deux septuagénaires, les brancardiers auraient sans doute plus de travail que celui qui compte le score.

De toute manière, comme dans un match de foot, la majorité des gens ont choisi l’équipe qu’ils supportaient avant le coup d’envoi, avant le début de la saison même, et ce qu’il va se passer durant le match ne les fera pas changer d’avis.

Les Etats-Unis sont divisés entre républicains et démocrates, selon des critères démographiques assez prévisibles (en caricaturant, les régions côtières, les minorités raciales et les diplômés universitaires votent plutôt démocrate, le Midwest, le Sud, les très riches et les Blancs non diplômés votent surtout républicain) et l’élection nationale est décidée par quelques centristes dans des Etats stratégiques à même de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.

Entre frasques et scandales

En tant que politicienne aguerrie qui prépare cette élection depuis au moins deux décennies, Clinton s’adresse depuis le début à ces électeurs indépendants en étant la plus centriste possible, ce qui a failli lui coûter la primaire face à Bernie Sanders, son adversaire plus à gauche, voire socialiste, l’équivalent d’un Pokémon très rare aux USA.

Quant à Donald Trump, ce que ses fans adorent, c’est qu’il est loin des calculs politiques, il plaît principalement à la droite dure de son parti, ce qui lui a permis de triompher pendant les primaires contre des candidats moins charismatiques ou plus modérés, mais qui le condamnaient quasi d’office pour l’élection générale. Il ne s’est pas rendu en baissant les armes. En Suisse, il nous faudrait un siècle de scandales politiques pour réussir à égaler ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis ces dix-huit derniers mois.

Hillary Clinton a un amas de casseroles qui ne ferait pas tache dans la cuisine de Nicolas Sarkozy, mais Trump la bat à plates coutures. Le restant des pages de ce magazine ne serait pas de trop pour énumérer les frasques et scandales qui collent aux basques de l’Oompa Loompa le plus puissant du monde. Et c’est là son génie: de façon paradoxale, la multiplication des dossiers rend chaque élément moins important individuellement.

Les détracteurs n’arrivent plus à suivre, les supporteurs crient que les médias sont biaisés et qu’on ne parle pas assez des scandales de Hillary, et tout le monde passe à autre chose, en attendant le prochain tollé. C’est presque comme si Trump avait compris que le meilleur moyen de faire oublier une connerie, c’est d’en commettre une encore plus grosse. La technique du «T’as mal à la main? [Gros coup de pied dans le tibia.] Voilà, maintenant, t’as plus mal à la main» appliquée en politique.

Et bien entendu que les médias sont biaisés. Heureusement que les médias sont biaisés. Leur rôle est de publier les informations, et il y en a beaucoup plus du côté de Trump (Clinton se prépare depuis trente ans à cet examen à la loupe, elle a mieux balayé ses étrons sous le tapis). Et si les médias ne s’intéressaient pas un peu à un candidat misogyne, xénophobe, islamophobe, vulgaire, antidémocratique et incontrôlable, à quoi serviraient-ils?

Pour un média généraliste aux Etats-Unis, l’accusation de subjectivité est à éviter à tout prix (à part Fox News qui assume son conservatisme, il faut au moins lui reconnaître cette honnêteté). Chaque panel réunit des porte-paroles des deux camps, et quand le sujet porte sur les agressions sexuelles ou les insultes racistes, par géométrie, cela force presque la moitié des experts à être pro-racisme ou pro-agression sexuelle. Une carrière américaine s’ouvrirait à Eric Zemmour.

La politique américaine est similaire au pointillisme; vu d’ici, le tableau paraît clair, on arrive à organiser les éléments pour obtenir une scène cohérente. Mais de près, difficile de distinguer le vrai du faux, l’important du trivial, ceux qui crient la vérité de ceux qui hurlent le mensonge. Et comme quand on est trop près d’une peinture, les vapeurs donnent mal à la tête.

Démon contre incarnation du mal

En zappant, en surfant, en discutant avec les gens en plein cœur de cette élection, on se retrouve assourdi par un brouhaha d’informations, où chacun choisit ce qui l’arrange. Les trumpistes sont fans de théories du complot disséminées dans les recoins d’internet: un sondage récent montre que 40% des partisans de Trump pensent que Clinton est possédée par un démon. Vous voteriez pour un démon, vous? Au moins, elle devrait faire 100% chez les gothiques.

Mais les pro-Clinton sont si persuadés de combattre l’incarnation du mal qu’ils en oublient que le bilan de leur candidate n’est pas aussi immaculé que sa tenue lors du débat.

Et, bien souvent, les deux catégories ne se confrontent pas; j’ai été fasciné par une conversation en ligne entre un anonyme qui raconte qu’il ne connaît personne qui va voter Clinton, et un professeur d’université new-yorkais qui répond qu’il ne connaît personne qui votera Trump. Le véritable perdant de cette élection sera peut-être celle qui devra gouverner ce pays si divisé.

Car Trump s’en sortira bien, au final. Il a un projet secret, si bien gardé que tout le monde est au courant, de monter sa propre chaîne de télévision, dont le nom se devine aisément, et les scores d’audience aussi. Il laissera derrière lui un Parti républicain en lambeaux. Le seul groupe démographique dominé par le parti, c’est les vieux hommes blancs; on comprend pourquoi certains sont nostalgiques d’une époque où les non-Blancs et les femmes ne pouvaient pas voter.

Mais, en 2016, miser sur les baby-boomers n’est pas vraiment une stratégie d’avenir, sauf si c’est pour vendre un remède miracle contre le cancer de la prostate. D’ailleurs, les responsables républicains se distancent et condamnent Trump les uns après les autres, prétextant l’un ou l’autre scandale comme étant la goutte d’eau. La vérité, c’est qu’ils sont capables de soutenir un candidat raciste et misogyne, mais pas un loser. Ils ont bien trop peur pour leur propre siège.

Clinton va gagner, par défaut. Comme Chirac contre Jean-Marie Le Pen en 2002. Elle va gagner grâce à qui elle n’est pas, plutôt que grâce à ce qu’elle est. D’ailleurs, la majeure partie de son discours vise à montrer pourquoi Trump ferait un mauvais président plutôt que dire pourquoi elle en ferait une bonne, car le premier argument est plus facile à démontrer.

Quelle Hillary pour les États-unis?

Mais qui sera la première présidente des Etats-Unis? La Clinton qui s’est engagée pour une université gratuite pour les moins riches, des impôts augmentés pour le «1%» ou des règles strictes pour Wall Street? Ou celle qui donne des discours pour des millions de dollars à Goldman Sachs en assurant les banquiers d’affaires en secret de son soutien? Celle qui semble être revenue de l’interventionnisme américain à outrance, ou la guerrière que l’Europe redoute?

Et va-t-elle enfin réformer le système électoral, qui fait que le pays est à la solde des milliardaires arrosant tous les candidats et récoltant leur dû vers celui qui est élu? En tout cas, ce sera une présidente qui a appris à utiliser ses e-mails correctement, la troisième guerre mondiale n’éclatera pas pour une histoire de pièce jointe oubliée.

Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis continueront de nous fasciner, et la seule chose qui nous fera plus plaisir que d’en rêver, c’est de les critiquer.

Car on aime bien se sentir supérieurs à eux, comme si tous les pays d’Europe, les partis et les candidats similaires à Trump n’avaient pas le vent en poupe, comme si, chez nous, un homme filmé en train de se vanter d’agressions sexuelles serait immédiatement disqualifié. Comme s’il ne pouvait pas devenir premier ministre en Italie ou chroniqueur chez Hanouna.

J’ai cru que j’adorerais me rapprocher de cette élection. J’ai eu tort. Les Américains ont parfait l’art de la politique-spectacle. Notamment en supprimant le politique et en ne gardant que le spectacle. Ce n’est pas un hasard si une star de téléréalité est passée si proche de gagner. Tout ça serait vraiment divertissant si l’avenir de la planète n’était pas en jeu.

Chez nous, on s’ennuie, et je râle dès que je tombe sur un discours de Guy Parmelin ou une interview de Christian Levrat, mais une partie de moi sait que si on s’amuse trop, c’est qu’on est au cirque. Et une chose sur laquelle on est tous d’accord, c’est que les clowns sont terrifiants. 
 

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Victoria Rauccio
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